Madame la Députée, Monsieur le Député,
Depuis le 16 septembre vous avez, à l’Assemblée Nationale et au Sénat, délibéré sur la prolongation de la loi de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Le 14 octobre le gouvernement décide, sans vous consulter, de décréter un nouvel état d’urgence sanitaire. Le premier ministre retire donc le texte organisant la sortie de l’EUS deux jours plus tard. Ce nouvel état d’urgence est décidé sans aucun débat et sans base scientifique claire, l’avis du Conseil scientifique n’étant rendu public que le 19 octobre, 5 jours plus tard. Ce comité rappelle lui-même que « Les compétences et les avis du Conseil scientifique se limitent à des considérations d’ordre strictement sanitaire. Elles ne portent en aucun cas, y compris à propos du projet de loi qui lui est soumis, sur la pertinence juridique ou politique plus générale du texte, qui ne relève pas de sa compétence. »
Cette décision témoigne de deux choses : d’une part, l’impréparation et la précipitation du gouvernement, qui n’a pas pu, malgré tout le dispositif mis en place depuis le 23 mars, anticiper la situation, d’autre part, le mépris dans lequel il tient le Parlement qui n’a même pas été consulté, ne serait-ce que pour la forme.
L’argument de l’urgence se comprenait dans le contexte de mars dernier, mais ne fait plus guère de sens aujourd’hui. La possible deuxième vague était prévue de longue date, et son ampleur est bien moindre que celle de la première. L’état d’urgence est une forme de gouvernance qui restreint significativement les libertés fondamentales, le fonctionnement démocratique et le processus normal de préparation et d’examen des lois, afin de répondre à une menace. Ce pouvoir doit rester strictement limité dans le temps, afin d’éviter des risques d’abus. Ainsi prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février, soit pour une durée de quatre mois au total, semble exagéré, ne sachant pas si dans un mois la situation n’aura pas évolué.
Après l’état d’urgence sanitaire, il est proposé un autre état d’exception organisant la sortie de l’état d’urgence. L’expérience de la précédente loi d’état d’urgence qui avait été prolongée jusqu’en juillet, illustre l’absence de rétablissement du droit commun et le renforcement sur la durée d’un déséquilibre fondamental entre le pouvoir législatif et exécutif.
Cela signifie surtout que le Parlement n’a plus son mot à dire dans la gestion de cette crise, qui est très préoccupante, au moins autant du point de vue économique et politique que sur le plan sanitaire. C’est une régression de notre démocratie qui glisse vers un système de plus en plus autoritaire sans possibilités de débat et de délibération publique. Il convient de restreindre le champ de compétence du gouvernement étendu par l’article 4 dudit projet de loi au domaine strictement sanitaire.
L'Assemblée est aujourd’hui en fonctionnement normal (et non restreint comme lors du vote de la première prorogation de l’EUS), vous avez une dernière chance de refuser cet engrenage en votant contre la prorogation de l’EUS, encore une fois soumise dans la hâte. Vous pouvez mener un véritable débat sur la situation sanitaire et sur la stratégie suivie par le gouvernement, et en reprenant le contrôle sur les mesures de restriction des libertés à prendre, afin de s’assurer qu’elles sont effectivement rationnellement justifiées, indispensables et proportionnées aux risques pas seulement sanitaires, mais également psycho-sociaux et économiques. Vos débats permettront aux citoyens de mieux comprendre la situation et d’adhérer aux mesures temporaires qui seront décidées à l’issue de ces débats. Mieux, elles permettraient de remobiliser les énergies et la créativité pour mettre en œuvre la solidarité sur le terrain qui est tellement importante en cette période troublée. Envoyez-nous un signe de bonne santé de notre démocratie.
Nous espérons que vous serez présente dans l’hémicycle lors de l’examen de ce projet de loi et que vous prendrez la parole en votre âme et conscience, car un débat réduit une fois de plus au strict minimum de quelques porte-paroles serait une immense déception pour ceux et celles, dont nous faisons partie, qui pensent que la démocratie représentative n’est pas un mot vain et que la séparation des pouvoirs en est un élément essentiel.
Avec nos salutations citoyennes,
Les Citoyens en Alerte,
Amélie, Christian, Aline, Jeff et Sara
[1]https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_19_octobre_2020.pdf, p. 3.