L’épicentre de la catastrophe
Dans une tribune transmise mercredi 6 mars à France Info, une partie des organisations de « La Marche du Siècle » déclarait : « nous devons préserver la biodiversité, alors que nous vivons une sixième extinction de masse ».[1],[2] La demande ne porte donc pas uniquement sur la réduction draconienne des émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement global à 1,5°C contrairement à ce que le laissent sous-entendre les gros titres.
Comme le rappelle si justement l’Astrophysicien Aurelien Barrau[3], il faut « arrêter de parler du "problème du climat" comme épicentre du danger qui guette. Ce n’est qu’un aspect de la catastrophe : la pollution et la disparition des espaces naturels sont au moins aussi importantes et tuent, à ce stade, beaucoup plus que le réchauffement. C’est tout notre rapport à la vie qui est à reconstruire, pas seulement les émissions de CO2 qui sont à stabiliser !
Homo sapiens : une espèce invasive
Notre empreinte est si conséquente que l’on retrouve non seulement des traces de la civilisation thermo-industrielle dans les abysses, dans la fosse océanique la plus profonde[4], mais également hors de la sphère terrestre. La démesure va si loin qu’on en vient à projeter une voiture Tesla diffusant Space Oddity de David Bowie dans l’espace afin de faire entendre et rendre visible notre existence dans le vide et le silence de la galaxie.[5] En orbite pullule un halo de débris spatiaux, à tel point que les astronautes ne peuvent plus observer la planète vue d’en haut, une planète qu’on ne peut décemment plus qualifier de « bleue ».
Mais qu’est-ce que pousse l’Homme moderne à explorer et s’approprier son habitat, la Terre, dans ses moindres recoins, à aller même jusqu’à prendre de la hauteur pour l’observer ? Sa soif de connaissance, son intelligence ? Comme il beau, le progrès qui permet à Homo sapiens de se surpasser, de se placer au-dessus de la chaîne alimentaire, au point d’être dépassé par les évènements. Nous devons arrêter de péter plus haut que notre cul, « nous sommes des animaux »,[6] comme le dit le réalisateur et compositeur Quentin Dupieux alias Mr Oizeau. Si nous ne pouvons nous empêcher de semer des déchets, c’est parce nous sommes tributaires de nos instincts primaires. Le penseur Michel Serre l'analyse dans son livre Le mal propre[7] : l’homme a besoin de poser sa crotte partout où il passe, comme un animal marque son territoire. La crotte forme désormais un amas pestilentiel, tel le continent de plastique à la dérive dans l’océan. Notre intelligence ne réprime pas ces instincts primaires ; elle peine à les domestiquer ; ils s’en trouvent exacerbés. Ce que l’Homme moderne défèque, il faut qu’il le reprenne. Il a besoin d’énergie. Il grossit. Il a faim. Il mange tout autour de lui. Les dégâts, il les considère comme collatéraux.
De prédateur, il a muté en sur-prédateur
Nul n’est censé ignorer que la pollution de l’air, de l’eau, de la terre et la dégradation des écosystèmes sont les causes directes la disparition massive des espèces vivantes. Beaucoup semblent pourtant vouloir ignorer qu’il s’agit là de l’épicentre de la catastrophe. Toute la chaîne de la biodiversité est impactée, l’équilibre est brisé et le vivant (animaux, végétaux confondus) menacé. La sixième extinction, que nous nous acharnons à vouloir minimiser, entraînerait irrévocablement la nôtre…
« Entre 1970 et 2014, les populations de vertébrés - poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles- ont chuté de 60 % au niveau mondial et de 89 % dans les tropiques, l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale. Les espèces n’ont jamais décliné à un rythme si rapide, qui est aujourd’hui cent à mille fois supérieur que celui calculé au cours des temps géologiques ». Voici le constat alarmant de l’édition 2018 du rapport Planète Vivante, l’analyse scientifique mondiale réalisée tous les deux ans par le WWF sur l’état de santé de la planète et l'impact de l'activité humaine. Une autre étude publiée dans la revue PNAS[8] a cartographié et quantifié plus précisément le déclin des populations d’animaux. Les chercheurs se sont basés sur la répartition géographique des 27 600 espèces de vertébrés comprises dans la base de données de l’Union internationale pour la conservation de la Nature (IUCN) , soit environ la moitié des espèces connues. Ils en ont conclu que le tiers des espèces ont vu leurs populations décliner ou occuper un territoire plus petit au fil du temps, même lorsque les espèces elles-mêmes ne sont pas menacées. Ils ont aussi analysé un échantillon de 177 espèces de mammifères : 40 % d’entre elles ont subi un recul de plus de 80 % de leurs populations de 1900 à 2015.[9]
Selon, Elizabeth Kolbert, auteur du livre La Sixième Extinction[10] le taux d’extinction expansif, qui avoisinera bientôt 75%, ne fait pas réagir. La société reste globalement insensible à ce phénomène. Nombre d’entre nous constatent la disparition des impacts des insectes sur les pare-brises des voitures ; peu comprennent ce signe alarmant. Cela, malgré les alertes lancées par les scientifiques qui, pour les plus optimistes, disent qu’il ne reste que deux à trois décennies pour agir.[11] Pourquoi recevons-nous l’annonce de ces disparitions comme une altération de notre bien-être compensable par la technologie ? Pourquoi ne la percevons-nous pas pour ce qu’elle est réellement : le signe prémonitoire d’une hécatombe ?
Pour exemple, la disparition des abeilles ne pose pas seulement des problèmes de pollinisation, contrairement à ceux que certaines entreprises laissent entendre en créant des robots-abeilles[12], mini-drones censés jouer leurs rôles. Il en va de même de la disparition des autres insectes[13] ou celles des poissons qui entraînent celles des oiseaux qui entraînent …la réaction en chaîne n’est pas si longue…jusqu’à arriver à nous. Le fait d’avoir des élevages d’animaux domestiqués pour subvenir à notre subsistance n’y changera rien. Les terres sont épuisées, en burn-out comme les employés d’Amazon. Aucun engrais chimique ne remplacera le travail des micro-organismes vivants et des invertébrés en voie de disparition tels que les vers de terre.
Le maître et possesseur de la Nature ?
Aurelien Barrau s’en indigne : « faut-il vraiment qu’on comprenne que les insectes nous sont "utiles" pour qu’on s’émeuve enfin de leur disparition ? Nous ne voyons « la légitimité ontologique de l’autre que par la prisme de ce qu’il nous rapporte. » Notre civilisation « a validé le postulat cartésien selon lequel l’homme doit se comporter comme le maître et possesseur de la nature », précise Matthias Petel, un assistant de Recherche qui a étudié le sujet d’un point de vue juridique.[14] La nature est considérée comme objet de droit dans le jargon juridique. Elle est considérée comme une chose dont nous pouvons bénéficier de la manière la plus absolue. L’un des articles les plus emblématiques du Code civil français, le numéro 544, le légitimise : « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ».
« Nos sociétés ont validé le credo cartésien selon lequel l’homme doit se comporter comme le maître et possesseur de la nature. Nos conceptions dualistes et anthropocentriques sont au cœur de la crise écologique actuelle. Le droit de l’environnement s’est lui-même intégré dans ce corpus philosophique. Loin d’avoir poussé à l’émergence de nouveaux modèles, ce dernier a maintenu une foi inébranlable dans la propriété privée comme gardienne de l’environnement et dans le marché comme régulateur environnemental », complète Matthias Level. D’où l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Un système à la puissance morbide
Non content de s’être approprié la Nature, d’avoir tué Dieu[15] et de vouloir le remplacer en jouant avec le vivant[16], l’Homme occidental a créé un système qui valide et entretient sa puissance morbide, une machine-monstre qui a contaminé l’entièreté du globe : la mondialisation d’un système néo-libéral et capitaliste. L’adage « après moi le déluge » s’est transformé en « après moi, le néant ; je provoque le déluge ». D’ailleurs, suis-je vraiment « moi » au présent, avec mon interlocuteur actuel ? Ne suis-je pas plutôt dispersé(e) dans les multiples conversations que j’entretiens en simultané sur les réseaux sociaux ? La virtualisation[17] permet de créer un monde en deçà de ce monde-ci. La matrice n’aide pas à endiguer la névrose ; elle la répand à échelle mondiale. Les non contactés[18], comme on appelle ces peuples autochtones qui refusent d’entrer en contact avec la civilisation moderne n’ont qu’à bien se tenir : le monstre-machine viendra à eux. Ce n’est pas une petite flèche dans le derrière ou un mort qui arrêtera la prédation.[19] Bientôt plus de zones infranchissables où se réfugier : on mange les forêts, on organise des croisières en Antarctique et en Arctique, on pense même à déménager sur Mars[20] pour refaire peau neuve ailleurs. Enfin pas nous, quelques privilégiés au porte-feuille suffisamment fournis, des gens assez fous pour accepter de muter, de faire corps avec la machine.[21]
On se croirait dans le roman de Frank Thomas, La fin du monde est plus compliquée que prévu, dans lequel personne ne semble intégrer la situation, où chacun se débat dans le marasme ambiant. Passer ce constat accablant digne des pires scénarios apocalyptiques, plusieurs options se présentent. La première consiste à se mettre des œillères, vivre sa petite vie pépère, à appliquer le syndrome de l’autruche.[22] La deuxième implique aussi de se replier sur soi, mais en se préparant au pire, à faire des réserves, à devenir un(e) survivaliste.[23] La troisième suppose une ouverture d’esprit, le courage d’aller au-devant du problème, d’imaginer la fin du système comme un happy end : c’est la collapsologie ou l’art de penser que l’effondrement est nécessaire.[24] On peut donc opter pour le déni de réalité, le défaitisme ethnocentré ou un optimisme forcené. On peut écouter les discours des climatosceptiques, ceux des représentants du capitalisme vert[25] ou ceux des militants que l’on targue parfois d’activistes voire de terroristes verts. Ou se résigner à n’écouter personne, à ne rien penser, à ne rien dire, à ne rien faire, à ne surtout pas se positionner. C’est commode de ne pas faire de choix, ça n’engage à rien. Sauf que le non-choix est déjà un choix : accepter le pire. La jeunesse qui se lève actuellement, portée par sa figure iconique Greta Thunberg[26], l’a bien compris.
La Nature, un sujet de droit, victime d’écocide
« Il est encore temps de freiner les conséquences de l’anthropocène, cette ère géologique que l’homme a façonnée et qui menace les conditions d’existence des plus vulnérables d’entre nous et hypothèque les droits des générations à venir. La justice doit pouvoir s’appuyer sur un droit de la Terre pour être en mesure de maintenir les systèmes écologiques dont nous dépendons, car c’est ainsi que nous préserverons la dignité de l’humanité. Pour cela, il faut redéfinir les valeurs pivots de notre système juridique afin d’affirmer nos liens d’interdépendance avec les autres formes de vie », déclare Valérie Cabanes, une juriste spécialisée dans le droit international humanitaire et les droits humains.[27]
Pour arriver à cet objectif, la reconnaissance de la nature comme sujet et non objet de droit est un outil juridique emblématique. Début 2017, la nouvelle Zélande a reconnu au fleuve Wandanui une personnalité juridique. Ces nouveaux statuts permettent désormais aux citoyens de saisir la justice pour le protéger. De même, la Cour constitutionnelle de Colombie a reconnu en 2016 la rivière Atrato en tant que personne titulaire de droit. Le 5 avril 2018, la Cour suprême colombienne a également reconnu la partie de l’Amazonie tapissant son territoire comme sujet de droit. Elle enjoint le gouvernement à déployer un plan de lutte contre la déforestation. Pour que ces exemples isolés soient reportés à échelle planétaire, il faut intégrer la notion d’écocide dans le droit international.
Qu’est-ce que l’écocide ? Ce néologisme construit à partir des mots écosystème et génocide désigne un acte de destruction ou d’endommagement d’un écosystème lié à un facteur anthropique, notamment par l’exploitation excessive de celui-ci dans le but de subvenir à d’autres systèmes.[28] Depuis 1947, le concept de crime d'écocide est débattu au sein de la Commission du droit international pour préparer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. Sans succès, hélas ! Pourtant, la reconnaissance juridique de l’écocide constituerait une révolution : elle permettrait de punir les activités des multinationales quand elles sont destructrices pour la planète. Bayer qui a absorbé Monsento, Total ou encore Coca Cola seraient condamnables si cette notion entrait dans le droit. Les marées noires, les prélèvement ou la pollution des fleuves, cours d’eau et nappes phréatiques, la déforestation des forêts tropicales ou encore l’agriculture intensive, ou productiviste, qui repose sur l'usage optimum d'engrais chimique, de traitements herbicides, de fongicides, d'insecticides, de régulateurs de croissance, de pesticides sont autant d’exemples concrets d’écocides.
Comment dompter la machine-monstre
L’acceptation juridique entraînerait une révolution structurelle profonde, amenant à un changement de paradigme. En reconnaissant la valeur intrinsèque de la nature, nous aurions un outil nous permettant de bâtir une société dans laquelle le bien-être humain se redéfinirait à l’intérieur des limites écologiques. Les droits de l’homme et les droits de la nature sont complémentaires et interdépendants.
Des millions de citoyens tentent déjà de déployer des alternatives pour changer de système industriel, politique et économique, afin de protéger l’environnement, la société et les individus. Nous pourrions citer des développements telles que « la Bio », une agriculture raisonnée et durable. Elle est une réponse au « Bio », l’agriculture industrielle qui a détourné la notion d’écologie pour en faire une force de vente. Nous pourrions citer d’autres types initiatives : des actions judiciaires. Ainsi, « l’Affaire du Siècle »[29] demande des comptes au gouvernement français pour inaction et l’attaquera en justice s’il ne fait rien pour défendre les citoyens contre les actions des multinationales, des banques et des institutions financières.
Encore faut-il agir de la bonne manière et en condamnant les responsables directes sans affaiblir l’État déjà menacé. Dans la logique économique actuelle, les gouvernements ont pour objectif et contrainte de maintenir la croissance. En appliquant ce postulat, ils ne peuvent pas se passer des multinationales et des banques. Or, pour sauver la société et la planète, il faut opérer une décroissance et donc limiter le pouvoir de ces dernières. Les États en sont structurellement incapables : les traités de libre-échange transatlantiques menacent les choix démocratiques et contraignent les États. Un règlement de différends entre investisseurs et États donne la possibilité aux entreprises étrangères d’attaquer[30] les États devant des tribunaux d’arbitrage au motif que des décisions politiques affecteraient leurs bénéfices réels ou attendus. C’est ce qui s’est passé en Colombie en 2016. Le classement d’un territoire amazonien sacré en « parc naturel national » a provoqué l’annulation de la concession minière de la société canadienne Resources Ltd. Cette dernière a déposé une demande d’arbitrage pour réclamer des dommages et intérêt. Elle a estimé son préjudice à 16 milliards de dollars, soit environ 20 % du budget national colombien. Ainsi, les multinationales peuvent utiliser ce type de menace pour dissuader les pouvoirs publics d'adopter de nouvelles règlementations en faveur des citoyens.
Assainir les institutions
Les institutions ne sont plus des outils neutres. Il y a une porosité évidente entre le marché financier et le champ politique.[31] Pour exemple, beaucoup des membres du gouvernement français sont en conflit d’intérêts. Un cas parmi tant d’autres : Emmanuelle Wargon, la secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, fut directrice générale des affaires publiques de chez Danone, une des vingt-cinq entreprises françaises qui épuisent le plus la planète selon le WWF. Ceci ne représente que la pointe émergée de l’iceberg. Comment peut-on espérer obtenir des mesures d’hommes ou de femmes entretenant ou ayant entretenu des liens étroits avec les multinationales contre lesquelles elles sont censées protéger l’intérêt commun ? Rappelons que Nicolas Hulot a quitté le gouvernement parce qu’il refusait ce constat : « je me surprends tous les jours à me résigner, tous les jours à m'accommoder des petits pas, alors que la situation universelle, au moment où la planète devient une étuve, mérite qu'on change de paradigme ».[32]
Ce qui se joue à l’échelle nationale, se joue à l’échelle internationale. En Europe, la présence des lobbies au sein des institutions pose débat.[33] Un document, publié mercredi 6 février par le think tank bruxellois Corporate Europe observatory et intitulé « États capturés, les gouvernements nationaux, défenseurs des intérêts privés au sein de l’Union », s’attache à démontrer qu’« au lieu d’agir pour l’intérêt public de leurs propres citoyens et de ceux de l’UE tout entière, les États sont devenus des véhicules de l’influence des multinationales ». Avec un tel jeu sur l’échiquier, appeler les politiques à faire le travail revient à demander gentiment à un loup de ne pas manger dans la bergerie.
Dire stop à la langue de bois
Pour ne citer qu'eux, les dirigeants Donald Trump et Emmanuel Macron, ou encore la ministre belge, Marie Christine Marghem ministre de l'Énergie, de l'Environnement et du Développement durable, sont à notre époque ce que les sophistes étaient pour Platon. [34] On doit nommer un chat un chat. Pour rappeler les faits : Donald Trump et son gouvernement ont nié l’existence même du réchauffement climatique et abrogé des lois de protection de la vie sauvage en Alaska, afin de permettre la chasse et le commerce d’espèces en voie de disparition tels que les loups et les ours polaires. Emmanuel Macron, pourtant auteur du slogan « Make our planet great again », et sacré « champion de la Terre » à l'ONU, s’était engagé à faire interdire l’utilisation du glyphosate, un produit dont la toxicité sur les organismes vivants n’est plus à prouver. Il recule en affirmant que la mesure n’est pas réaliste à atteindre pour 2021.[35] Sur Twitter, Marie Christine Marghem s’est félicitée que les jeunes du mouvement « Young for the climat » soient descendus dans la rue pour la soutenir, alors même qu’ils se soulevaient face à l’inaction de son gouvernement.[36]
« Trois ans après la COP 21. Les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse. Les États ne tiennent pas leurs engagements et la responsabilité des multinationales n'est pas remise en cause » souligne Sébastien Bailleul, délégué général du Centre de recherche et d'information pour le développement (CRID), qui a coordonné la tribune du 6 mars 2019. Les gouvernements tergiversent sans cesse, en repoussant l’application des mesures à cinq, quinze, vingt-cinq ans. Ils jettent de la poudre aux yeux en promettant monts et merveilles pour finalement prendre la poudre d’escampette. Alors qu’on ne cesse de culpabiliser les individus à propos de leur empreinte écologique, des cadeaux fiscaux sont accordés aux plus gros pollueurs.[37], [38]
Le capitalisme vert est-il viable ?
Les représentants du gouvernement ne se contentent pas de retarder l’échéance, ils proposent également des mesures obsolètes. Dans une tribune récente[39], Emmanuel Macron enjoignait l'Union européenne à « prendre la tête du combat écologique ». Il appelait cette dernière à faire intervenir les institutions européennes là où les institutions étatiques échouaient : « l’Union européenne doit fixer son ambition – zéro carbone en 2050, diviser par deux l'usage des pesticides en 2025 – et adapter ses politiques à cette exigence », rapporte-t-il. Pour y parvenir, le chef de l'État préconise la création d'une banque européenne du climat pour financer la transition écologique, ainsi que d'une force sanitaire européenne pour renforcer les contrôles de nos aliments. Il prône aussi l'évaluation scientifique indépendante des substances dangereuses pour l’environnement et la santé « contre la menace des lobbies ». Un projet de traité défendu par un collectif d’experts[40] appelle à la création d'une « banque européenne du climat et de la biodiversité », filiale de la Banque européenne d'investissement, accompagné d'un fonds, lui aussi chargé de lever les milliards d'euros que requiert la transition écologique[41].
Une « banque européenne du climat et de la biodiversité » ? Si aucune mesure juridique ne permet de limiter le pouvoir des lobbies, l’avenir est tout tracé : après avoir spéculé sur l’alimentaire, mis en place l’agrochimie, créé des produits dangereux pour entretenir une production de masse inadéquate, après que ces produits nous aient rendus malades, après nous avoir vendu les médicaments pour contrer ces maladies, on spéculerait sur la transition écologique. La machine-monstre a la force d’absorber les initiatives contestataires pour les ingérer dans la perspective de son profit.
Le capitalisme vert peut s'entendre comme l’utopie d’un système économique de forme capitaliste qui respecterait le fonctionnement de la biosphère et le renouvellement des ressources naturelles. « C’est seulement une construction et un habillage idéologique pour faire croire que l'on peut évoluer par rapport à l'environnement sans changer les déterminants fondamentaux de nos régulations sociales, de notre système économique et de la répartition des pouvoirs dans cette société », précise Hervé Kempf, journaliste et écrivain français. Daniel Tanuro apporte un complément pertinent. Dans le livre L'impossible capitalisme vert[42], il propose de réconcilier l’écologie et le projet socialiste, « parce que le capitalisme ne saura rien résoudre. Si l’on n’est pas capable d’articuler lutte sociales et écologiques, le capitalisme causera des catastrophes humaines et environnementales de grande ampleur. Quelles erreurs ceux qui se réclament du socialisme ont-ils commises pour que cette articulation semble aujourd’hui si difficile ? »
Le pouvoir laissé à la jeunesse
Aucun changement ne saurait aboutir sans refonte structurelle profonde. Dans ce dynamitage, nous avons besoin de figures capables de défendre et d’incarner ce changement. La jeunesse qui se lève est de taille à mobiliser l’opinion publique au point d’inquiéter les politiques en « réclamant des changements immédiats ». Le 12 février 2019, Reporterre publiait un de leurs manifestes. Il posait trois ultimatums : déclarer l’état d’urgence écologique et sociale afin de débloquer un plan interministériel à la hauteur des risques encourus, avant de s’attaquer à l’énergie et aux enjeux liés à l’alimentation. Elle a ce qui manquait aux scientifiques qui, depuis dix ans et sans succès, lancent l’alerte. Elle suscite les doses d’émotion et d’espoir nécessaires à toute révolution. Elle est un messager : « il n’y a pas deux coeurs : l’une pour l’économie, l’autre pour le climat », « l’écologie n’a pas de couleur politique ». Elle, seule, est capable de porter les demandes et de permettre une convergence des luttes. Rappelons que la « Marche pour le Climat » du 8 décembre échouait à trouver un terrain d’entente avec la mouvement des Gilets jaunes, malgré l’appel de plus de 290 personnalités - syndicalistes, responsables associatifs et politiques, chercheurs, universitaires et artistes [43] : « il n’y a pas à apposer justice sociale et justice climatique », « fin du monde et fin du mois relèvent du même combat ». Nous devons accompagner cette jeunesse dans sa bonne conduite, afin que ces icônes ne soient pas détournées de leur route… ou récupérées par le capitalisme vert[44].
Sarah Seignobosc
[1] et [2] Lire « Après "l'affaire du siècle", une "Marche du siècle" pour le climat prévue le 16 mars » publié dans L'Obs le 6 mars 2019. Parmi la liste des organisations figurent, entre autres, Attac, Green Peace, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme. Suivre les marches organisées en France sur le site : https://ilestencoretemps.fr/
[3] Source Wikipédia : Aurélien Barrau est engagé dans la question écologique. Il a notamment participé à l'appel du 3 septembre 2018 intitulé « Le plus grand défi de l'histoire de l'Humanité » signé par plus de 200 personnalités, dans le journal Le Monde à la suite de la démission de Nicolas Hulot. Dans le cadre du festival Climax du 6 au 9 septembre 2018, lors de la conférence intitulée Quel nouveau contrat social avec le vivant ?, son intervention se transforme en tribune politique « parce que face à l’urgence, on n’a plus le choix ». Il réitère son appel à un changement sociétal pour préserver la vie et la planète dans les médias et sur les réseaux sociaux à de nombreuses reprises.
[4] Nouvelle annoncée dans Euronews le 17 mai 2018 : Des scientifiques ont découvert des sacs plastiques dans la fosse des Mariannes à plus de dix kilomètres en dessous du niveau de la mer, dans le nord-ouest de l’océan Pacifique, au large des Philippines.
[5] La voiture a été mise en orbite le 6 février 2018 par la fusée Falcon Heavy à l’initiative de la société SpaceX et de son dirigeant Elon Musk.
[6] Paroles extraites du morceau Positif : « Vous êtes des animaux/Vous allez tous mourir/Vous êtes des animaux/Arrêtez de vous reproduire » .
[7] Dans le Mal Propre publié aux Éditions Le Pommier, Michel Serre développe l’analyse selon laquelle « les pollueurs salissent le monde pour se l’approprier ».
[8] Étude menée par les chercheurs Geraldo Ceballos, de l’Université autonome du Mexique, et Paul Ehrlich, de l’Université Stanford.
[9] Lire l’article « La sixième extinction de masse des animaux est sous-estimée » publié le 23 mars 2018 dans Futura Science.
[10] Le livre, publié aux Éditions Vuibert, a remporté le Prix Pulitzer 29018 dans la catégorie non-fiction.
[11] Lire « La sixième extinction de masse des animaux s’accélère » publié le 10 juillet 2018 dans Le Monde.
[12] La chaîne d'alimentation américaine Walmart, le laboratoire néerlandais MAVLab de Delft ou encore des chercheurs de l'Université d'Harvard travaillent au développement de robot-abeilles, les DelFly Nimble et les Robobee.
[13] En trente ans, près de 80% des insectes ont disparus en Europe. Ce déclin est est dû à l’intensification des pratiques agricoles et au recours aux pesticides.
[14] Lire « La nature : d’un objet d’appropriation à un sujet de droit. Réflexions pour un nouveau modèle de société » de Matthias Petel publié dans le numéro quatre-vingt de la Revue Interdisciplinaire d’études de l’Université Saint-Louis en à Bruxelles.
[15] « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? », extrait de Le Gai Savoir, livre III, 125 du philosophe Friedrich Nietzsche.
[16] Le breuvetage du vivant, une notion apparue en 1930 aux États-Unis, s’est accentué avec l’avènement des biotechnologies, ouvrant la voie aux modification génétiques, clonage, etc.
[17] Lire Demain les mondes virtuels de Remi Sussan, publié dans la collection « Fabrique des possible » aux Éditions Fyp. Compléter par la lecture de Cerveau augmenté, humain diminué de Michel Benasayag, publié aux Éditions La Découverte. Dans ce dernier ouvrage, Le philosophe, psychanalyste et épistémologue donne des clefs de compréhension des enjeux des bouleversements amenés par les technosciences.
[18] Lire The Unconquered – In Search of the Amazon’s Last Uncontacted Tribes (Les non conquis – A la recherche des dernières tribus isolées d’Amazonie) de Scott Wallace. L'auteur relate une expédition dans les denses forêts de la vallée du Javari, l’une des plus grandes réserves indigènes du Brésil où se trouve l’une des plus fortes concentrations de peuples isolés dans le monde.
[19] Le 16 novembre 2018, le globe-trotteur John Chau a été tué par la tribu des Sentinelles, la tribu la plus isolée de la planète, alors qu’il tentait de l’approcher. Consulter les articles du 21 et du 28 novembre dans Le Monde : « Un homme tué par la tribu isolée des Sentinelles qu’il tentait d’approcher », « Américain tué par la tribu des Sentinelles : l’Inde appelée à laisser le corps sur l’île ».
[20] La réalisation d'une mission spatiale habitée sur Mars constitue un des objectifs à long terme fixés par l'astronautique. Plusieurs projets tentent d'y répondre : « Mars One », lancé par l'ingénieur néerlandais Bas Lansdorp, vise à installer une colonie humaine sur la planète Mars et à l'occuper dès 2032. Le projet sera financé grâce à une exploitation médiatique de l'expédition, sur le modèle de la téléréalité. Après avoir reçu deux cents milles candidats de cent quarante nationalités différentes, une sélection drastique est opérée. Les résultats seraient communiqués en 2019. La société Space X, quant à elle, dévoilait son projet lors du 68e Congrès international d’astronautique : pour atteindre une colonie d' un million d’habitants, son dirigeant promet des prix abordables. Plus discrètement, la Nasa a réalisé un concours « 3D Print Habitat » en 2018, invitant des architectes et scientifiques à imaginer des maisons imprimables 3D pour habiter sur la planète Mars. Consulter les articles « Conquête de Mars, l’ambition projet d’Elon Musk » sur Futura Science et « Mars One plus de cents candidats pour un voyage sans retour » sur le site d’Europe 1.
[21] Le transhumanisme promeut l’utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour améliorer les performances humaines. Deux émissions, datant du 3 et du 10 octobre 2017, sont disponibles en post-cast sur France Culture : « Leurre et malheur du transhumanisme », et « Trans-, Posthumanisme…et l’homme dans tout ça ? ».
[22] Lire le livre collectif Le syndrome de l’autruche : pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique publié chez Actes Sud.
[23] Lire l'article du 23 mars 2018 publié dans le journal Libération : « Notre présent est si sûr que notre avenir nous angoisse ». Le sociologue Bertand Vidal, auteur du livre Le Survivalisme paru aux Éditions Arkhê, dresse les profils des différents types de survivalistes et analyse ce phénomène qui témoigne, selon lui, de « la fin de la société de confiance ».
[24] Lire Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, paru dans la collection « Antropocène » des Éditions Seuil en 2015.
[25] Lire le livre de Dominique Nora, Les pionniers de l’or vert, édité chez Grasset en 2009.
[26] Une jeune militante écologiste suédoise de 16 ans. Elle a été la première lycéenne à mener une « grève scolaire » pour la planète en se réunissant chaque vendredi devant le parlement de Stockholm, avant de porter les revendications hors des frontières de son pays.
[27] Lire la tribune « Reconnaissons la Nature comme sujet de droit » diffusé dans Le Monde le 30 mars 2017 et le livre Un nouveau droit pour la Terre : pour en finir avec l'écocide publié dans la collection « Antropocène » des Éditions Seuil en 2016.
[28] Source : Wikipédia.
[29] Plus d’informations sur le site internet https://laffairedusiecle.net/
[30] Ce dispositif, prévu dans le cadre de nombreux accords commerciaux internationaux, permet à des multinationales d’attaquer les États devant des juges privés – des avocats d’affaires –, afin de réclamer la compensation d’un manque à gagner réel ou potentiel induit par un changement de législation. Voir le documentaire Quand les multinationales attaquent les états diffusé sur Arte le 10 janvier 2019.
[31] Lire un texte de Pierre Bourdieu : « La représentation politique : éléments pour une théorie du champ politique. » dans Actes de la recherche en sciences sociales, N°36-37, 1981, pp.3-24.
[32] Écouter « Le Grand Entretien » du 28 août 2018 sur France Inter dans lequel Nicolas Hulot annonçait son départ du gouvernement. Compléter par la lecture de l’article « Nicolas Hulot accuse Monsanto de l'avoir menacé » publié le 3 février 2019 dans Le Point.
[33] Lire l’article du 6 février 2019 publié dans le journal Le Monde : « Bruxelles : réquisitoire contre le lobbying auprès des États de l’Union européenne ».
[34] Source Wikipédia : un sophiste désigne une personne utilisant des arguments ou des raisonnements spécieux pour tromper ou faire illusion.
[35] Lire l’article du 25 janvier 2019 « Macron recule : les députés encaissent » sur le site de L’Express.
[36] La vidéo, dans laquelle on voit un député fédéral, Raoul Hedebouw, confronter la ministre Marghem au message des 15 000 écoliers en grève pour le climat, est disponible sur internet.
[37] Lire l'article « Appel et la chasse aux paradis...fiscaux » publié le 5 décembre 2017 dans Le Monde.
[38] Lire le billet « Les plus gros pollueurs exonérés, en silence, de taxe sur les carburants » publié le 6 novembre 2018 sur le blog Vuillaume de Médiapart.
[39] Lire l’article du 6 mars 2019 publié dans le journal Le Monde : « Élections européennes 2019 : la lettre et les propositions de Macron ».
[40] Plus d’informations sont disponibles sur la page « Pacte Finance-Climat : appel à la création d’une Banque européenne du climat » sur le site de l’Observatoire européen de la transition, http://www.transition-europe.eu/
[41] Selon ce projet, la banque européenne du climat ainsi créé, accorderait des prêts à taux zéro aux pays signataires du traité. Un budget européen, doté de 100 milliards d’euros par an et financé par une hausse de la taxe sur les bénéfices, serait débloqué.
[42] Le livre parut en 2012, dans la Collection « Poche/Essais n°365 » aux Éditions La Découverte.
[43] Lire l’article du journal Le Monde datant du 4 décembre 2018 : « 8 décembre : "Gilets jaunes" et climat doivent pouvoir se rejoindre !». Compléter la lecture par l'article publié le 8 décembre dans le journal La Croix : « Marche pour le climat et Gilets jaunes, une convergence hésitante ».
[44] Lire l’article « L'activiste pour le climat Greta Thunberg est-elle instrumentalisée par le "capitalisme vert’"? » publié le 7 mars 2019 dans Libération. Compléter la lecture par un autre article publié le 27 février 2019 sur Reporterre : « La jeune militante du climat Greta Thunberg répond à ses détracteurs ».