De la naissance à la mort
L’arbre est un des thèmes symboliques les plus riches dans l’histoire des civilisations, il est la figuration d’une entité qui dépasse l’homme. À la fois ancré dans les profondeurs du sol, déployant sa présence à la surface, tourné vers la lumière et le ciel dans ses cimes, il représente à la fois la verticalité, mais aussi le caractère cyclique de la vie.[1]
Une pratique répandue veut que nous plantions un arbre à la naissance d'un enfant. Pourquoi ne planterions-nous pas un arbre à notre mort ? C'est ce que propose une société en vendant des urnes funéraires bio-dégradables contenant les cendres du défunt ainsi qu'une graine. La charge symbolique est forte : les cendres se transforment en arbre. Farfelu ? L'urne Bios séduit de nombreux adeptes et connait une embellie dans divers pays. En Belgique, par exemple, elle faisait son entrée au catalogue d'un funérarium en remportant un franc succès. [2]
Cette optimisation écologique de notre mort pose cependant des problèmes de gestion. En France, la conservation des cendres d'un proche décédé est tolérée mais extrêmement réglementée. En 2016, une sénatrice, Elizabeth Lamure avait abordé la sujet auprès du gouvernement en suggérant une légalisation de l'humusation. La réponse du ministre de l'Intérieur coupait court : « l’introduction [de l’humusation] en droit interne soulèverait des questions importantes, tenant notamment à l’absence de statut juridique des particules issues de cette technique. (...) les questions que soulève “l’humusation” nécessitent une réflexion approfondie qui pourrait se poursuivre dans le cadre du Conseil national des opérations funéraires (Cnof). »[3] La législation, en vigueur depuis 2017, permet seulement de disperser les cendres dans un espace dédié à l’intérieur du cimetière appelé « le jardin souvenir. »
Si la question n'est pas juridiquement résolue, elle a continué à faire son bonhomme de chemin dans d'autres pays. En Italie, des designers s'emparèrent même du filon[4] en proposant de pousser plus loin : imaginez les cimetières transformés en forêts où les individus viendraient se recueillir et entretenir le souvenir. Une solution face au dérèglement climatique ?
Ce que l’état de nos forêts révèle
A l’issue du dernier rapport du GIEC, le groupe d'experts mandatés par les Nations unies pour évaluer l'ampleur du réchauffement et son impact, les forêts sont apparues aux yeux des décideurs comme de formidables « puits de carbone », capables d’absorber les émissions de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère. Les entreprises les plus pollueuses y ont même vu un investissement pour sauvegarder leur business. Le patron de Shell, Ben van Beurden a ainsi plaidé devant un parterre d'industriels du secteur pétrolier : « Ce qui peut être fait c'est par exemple un reboisement massif ».[5]
Pour réparer les maux provoqués par la société thermo-industrielle, il faudrait planter l’équivalent de la forêt tropicale Amazonienne ou dédier, rien qu'en Europe, l’équivalent d’un territoire comme l’Espagne. Est-ce réalisable ? Plutôt que de proposer une reforestation massive, ne devrions-nous pas protéger déjà les forêts existantes et envisager des programmes de reforestation qui ne profitent pas aux pollueurs responsables de leurs disparitions ?
Ce billet propose une liste non exhaustive d’initiatives à soutenir.
Coupé(es) de la nature ou relié(es) à elle
« Derrière les sites que nous consultons et le cloud que nous utilisons, il y a des millions de serveurs qui carburent, et qui émettent du dioxyde de carbone via les sources d’énergie qui les alimentent. En 2015, une étude de la Global e-Sustainability Initiative démontrait que cette pollution numérique était aussi importante que celle provoquée par le secteur aérien ». C’est ce que révèlent un rédacteur de la plateforme Geeko sur le site du journal belge Le soir ainsi qu’une artiste et chercheuse américaine, Joana Moll. Cette dernière a tenté de mesurer cette pollution : « avec une moyenne de 3,5 milliards de recherches par jour, le géant Google reste le plus grand pollueur du secteur numérique, avec une activité qui représente pas moins de 40% de l’empreinte carbone de l’ensemble d’Internet. »[6]
Vous estimez ne pas pouvoir vous passer d’internet (par conviction, par obligation salariale ou autre) ? Au minima, vous avez la possibilité de limiter la casse, voire même de la réparer, en utilisant un autre moteur de recherche que le géant Google.
Ainsi, le métamoteur de recherche allemand, Ecosia reverse 80 % de ses bénéfices à un programme de reforestation. Sur le terrain, Weforest, OZG, PUR Projet et Eden Projects retroussent les manches et plantent les arbres au Burkina Faso, au Pérou, en Tanzanie et à Madagascar. Depuis sa création en 2009, Christian Kroll l’initiateur de l’opération, voit les bienfaits de son initiative se concrétiser. Ce sont pas moins de 7 millions d’arbres plantés pour 1 milliard de recherches, à raison de 45 recherches en moyenne pour planter un arbre. À vous maintenant d’utiliser le bon outil de recherche internet pour faire de vos clics des gestes citoyens.
De la déforestation à la mal-forestation
Planter des arbres est une action pérenne concrète. Encore faut-il le faire à bon escient et non pas à des fins commerciales. Peut-être avez-vous déjà entendu parler du documentaire « Le Temps des forêts », récompensé au Grand Prix à la Semaine de la critique du Festival de Locarn 2018 ? Le documentaire fait suite à la sonnette d’alarme tirée par des habitants du plateau de Millevaches qui ont réalisé une étude intitulée « Rapport sur l’état de nos forêts » en 2013.[7] Son réalisateur, François-Xavier Drouet dénonce non pas la déforestation, mais la « mal-forestation » : des monocultures de sapins plantés pour servir l’industrialisation. Ils ne servent en rien à maintenir un écosystème. Ils le dénaturent. Les arbres plantés, à intervalles réguliers selon une logique d'optimisation de l'espace disponible, sont des sapins « Douglas », choisis pour leur calibrage et leur pousse rapide. Une fois poussés, ils sont coupés, puis remplacés par d’autres. Et la chaîne de production continue, sans que jamais aucun ne contribuent à régénérer les sols.
L'Appel de la forêt
Dans la continuité de ce constat, le collectif français #NousSommeForêt appelle à l’émergence d’une force d’interposition participative et non violente pour protéger les arbres de leurs abattages abusifs. Elle lance actuellement la pétition « L’Appel de la forêt » adressée au Premier ministre, Édouard Philippe.
Une géographie depuis laquelle il est possible de respirer
« Partout des luttes résonnent de cette même idée : la forêt n’est pas une réserve de biosphère ou un puits de carbone. La forêt, c’est un peuple qui s’insurge. Nous sommes allés à la rencontre de ces forêts et de celles et ceux qui les défendent. Nous y avons découvert des continents innombrables, des sentiers inédits, des êtres ingouvernables. Toute une géographie depuis laquelle il était possible, enfin, de respirer. », explique Jean-Baptiste Viladou, auteur du livre Être forêts (habiter des territoires en lutte).[8]
En s’arrêtant sur des cas français (Les bois de Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure ou dans les Cévennes) ou étrangers (les locaux qui protègent les forêts du Guerrero au Mexique, celles de Broadback au Canada ou de l’île de Punan), il dresse un même constat : la volonté d’entrer en résistance contre le « monde mortifère économique » en se réappropriant ces espaces, en les protégeant d'activités telles que la construction d’un aéroport, l'exploitation de plantations de palmeraie destinées à la consommation d’huile.
Ce que les forêts peuvent nous apporter
« La forêt est une grande école » explique Yacouba Sawadogo[9], lauréat du prix Nobel Alternatif en 2018. Celui que l’on surnomme « l’homme qui a arrêté le désert », depuis la sortie d’un film documentaire intitulé The Man Who Stopped the Desert, a réussi en quelques décennies à rendre une terre aride cultivable en reprenant une technique ancestrale de plantation. Il considère les arbres comme des richesses pour l’avenir. Il a réussi à créer une sylve de quarante hectares appelée « Bangré Raaga », un « temple du savoir » comme cela signifie dans sa langue natale. Grâce aux baobabs, papayers, pruniers et acacias, l’équilibre naturel est restitué dans ce sanctuaire dédié tout autant à la préservation de la biodiversité qu’à la subsistance alimentaire : les animaux ont trouvé refuge au milieu de ces arbres qui leur garantissent nourriture, eau, ombrage.
« Mon projet est pour les générations futures. Je ne veux pas manger aujourd’hui et laisser mes prochains sans nourriture demain. Je travaille pour semer les graines de la richesse, non seulement pour le Burkina Faso, mais pour de nombreux autres pays », précise l’homme qui a transmis son savoir à d’autres dans la région sahélienne fortement impactée par le changement climatique.
Pourtant, la menace gronde, la ville, Ouahigouya, n’est pas si loin, prête à s’étendre et à dévorer ce havre de paix. Ce qui échappe à l’homme moderne et à la société thermo-industrielle, c’est que les forêts ont beaucoup plus à nous apporter que des subsistances alimentaires et énergétiques.
Ce que les forêts peuvent nous apprendre
Le forestier allemand Peter Wohlleben fait l'analogie entre les hommes et les végétaux dans son livre La Vie secrète des arbres. Le documentaire L’intelligence des arbres, réalisé par Julia Dordel et Guido Tölke suite au succès de son best-seller, creuse le sujet. Les forêts fonctionnent, grâce à un « aspect communautaire », selon un « réseau structuré » comparable à celui d’internet à la différence que celui-ci se développe et s'entretient sur base de ce que l'on pourrait assimiler à de « l'entraide et de la solidarité » [10] :
« Les arbres des forêts échangent des molécules par le réseau fongique associé à leurs racines. Cela leur permet de se transmettre de la nourriture et de "l'information" qu’il s’agisse de signaux d’alerte ou de défense ». Il y a même « apprentissage » puisque « ces échanges sont majoritairement dirigés vers les individus les plus jeunes. » Suzanne Simard, professeure d’écologie forestière à l’université de Colombie-Britannique, explique que ce sont les « bases d’un langage végétal élaboré ». « Les arbres « prennent soin les uns des autres », estime-t-elle.
Ces observations déroutent nos esprits cartésiens. Elles mettent en doute le primat de l’intelligence humaine sur le végétal. Malgré le scepticisme d’une partie de la communauté scientifique et des institutions telles que l’Académie d’agriculture de France qui avait publié une critique vive remettant en question le sérieux du livre de Peter Wohlleben, d’autres travaux ont depuis étayé et crédibilisé la découverte. C'est le cas d'une étude réalisée par des scientifiques à l'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver.[11]
Le temps de se régénérer
Pourquoi serions-nous réfractaires à considérer que les forêts sont, par essence, protectrices ? Alors que certains pays connaissent des canicules exceptionnelles, l’Australie réputée pour ses problèmes climatiques et sa déforestation massive, ouvre la voie. Le pays lance enfin un vaste plan de reforestation. Le Premier ministre australien Scott Morrison a annoncé fin février qu'un milliard d'arbres seraient plantés sur le continent d'ici 2050.[12]
Il y a le temps que se donne l’Homme pour réparer ses dégâts et celui que prend la Nature pour se refaire. En Amazonie, à condition que la déforestation des forêts primaires s'arrête nette, il faudrait encore que les forêts restantes puisse retrouver leur état primaire. Une étude internationale publiée le 6 mars 2019 dans la revue Science Advances a révélé “le potentiel d’une technique de régénération passive” : si l’homme n’intervient pas dans le processus, les graines d’arbres provenant des forêts secondaires repeuplent progressivement la zone. Cependant, cela ne s'opère pas à échelle de vie d'homme : “des siècles sont nécessaires pour retrouver une composition identique en espèces.”[13] D’où la nécessité d’une préservation de ces poumons fragiles de la planète.
Selon que nous tentions d'instrumentaliser, de rationaliser d'augmenter ou au contraire de réduire l'espace des forêts, un même constat : nous refusons d'affronter la forêt sombre de nos angoisses et d’accepter notre finitude.
Sarah Seignobosc

Agrandissement : Illustration 1

« La timidité est en botanique un phénomène d'allélopathie, encore mal compris de nos jours, par lequel certains arbres maintiennent entre eux, voire entre leurs propres branches maîtresses, une certaine distance, appelée "fente de timidité". » [14]
[1] Pour approfondir, consulter l'ouvrage encyclopédique Le dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gherrbrant.
[2] Lire l'article du 16 octobre 2016 disponible sur le site de journal Belge Sud Info : « Hannut : l’urne funéraire biodégradable qui se transforme en arbre, connaît un certain succès! »
[3] Lire l'article publié le 31 octobre 2017 sur le site Reporterre : « Après la mort, devenir un arbre ».
[4] Lire l'article publié le 22 octobre 2015 sur le site de Maxi Science : « Capsula Mindi, l'étonnant projet de cercueil écologique qui veut transformer le défunt en arbre ».
[5] Lire l'article publié le 13 octobre 2018 sur le site du journal Les Échos : « Reboiser pour lutter contre le réchauffement climatique ? ».
[6] Lire l’article dans la rubrique Geeko du journal Le Soir : « Google, un gigantesque moteur à pollution ».
[7] Lire l’article du Journal Le Monde publié le 12 septembre 2018 : « Le Temps des forêts : le sapin qui cache le « désert vert ». Le « rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenir possibles » est téléchargeable sur internet : http://bogues.fr/wpcontent/uploads/2015/03/BrochureForetTelechargement.pdf
[8] Ce livre, paru le 26 octobre 2017, est disponible aux Éditions Zones.
[9] Lire le portrait réalisé par le journal Le Monde le 13 décembre 2018 : « Au Burkina Faso, Yacouba Sawadogo, le cultivateur qui a "repoussé le désert" ».
[10] Lire l'article publié sur le site du journal Le Monde le 29 mai 2017 : « "La vie secrète des arbres": best-seller et leçon de bonheur ».
[11] Consulter « "L'intelligence des arbres", un documentaire pour regarder la forêt autrement » publié le 26 mars 2017 sur le site de la RTBF en Belgique.
[12] Lire l’article publié par le journal L’Express le 21 février 2019 : « L'Australie va planter un milliard d'arbres d'ici 2050 ».
[13] Lire l’article datant du 21 mars 2019 : « Des siècles seront nécessaires pour recréer les forêts d'Amérique du Sud » sur le site de la revue Sciences et Avenir.
[14] Source : Wikipédia.