De la musique aux quatre coins de l'Hexagone...
En marge des incontournables en matière de Festival de Musique[1], l'Hexagone compte un nombre non négligeable d'évènements plus confidentiels, dont des nouveaux venus qui peinent à se faire un nom face aux "mastodontes" ou à perdurer plusieurs années de suite indépendamment de leurs succès. En cause, les coupes budgétaires drastiques de l'État et des collectivités territoriales [2], [2 bis]combinées aux contraintes liées à la sécurité de plus en plus réglementée et aux coûts associés de plus en plus expansifs.[3]
Ainsi, on se rappellera la circulaire de l'ancien ministre de l'Intérieur Gérard Collomb en mai 2018. Elle entérinait le désengagement de l'État dans la prise en charge financière des dispositifs de sécurité pour les confier aux festivals. Une mort assurée pour les plus petites organisations, incapables de prendre en charge le coût onéreux des dispositifs imposés dans un contexte post-attentat. « Policiers et gendarmes, mis à disposition des organisateurs d’événements pour garantir la sécurité, sont facturés. Charge aux festivals de rembourser ce que l’État leur fournit ». « Parfois, c’est supportable, pour d’autres, c’est la mort. Et même pour ceux qui résistent c’est, parfois (...), 800 % d’augmentation des dépenses de sécurité ». [3 bis] Deux exemples : du côté des "grands" festivals, les Eurockéennes ont vu leurs coûts en matière de sécurité passer de 30.000 € à 254.000 € ; du côté des "petits", la première édition de Microclimax programmé sur l'île de Groix du 6 au 8 juillet n'aura jamais vu le jour. La raison ? Le préfet et le capitaine de gendarmerie de Lorient imposèrent un dispositif de sécurité titanesque aux frais du festival : « 40 gendarmes pour 450 festivaliers, soit 1 pour 10 ! ».[4], [4 bis],
Sortir des sentiers battus
Dans un tel contexte, sortir des sentiers battus pour créer un festival relève du parcours du combattant[5], se rendre dans de "petits" festivals plutôt que des "grands" vaut acte d'engagement.
Si l'on fait le point sur les évolutions des festivals, leur fonctionnement économique, leur inscription dans les territoires, on peut se poser la question de savoir si l'industrie du festival est une industrie comme les autres et tenter de dresser un profil sociologique du festivalier, comme le rapporte Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS. [5 bis]On brise l'image d'Épinal !
Si l'on dépasse le « fantasme de communion Woodstockienne, autrement dit être au même endroit que 100 000 autres personnes, et chanter, danser ou pleurer ensemble au même moment », on se rend vite compte de la réalité.[6] Les évènements « dont la démesure exponentielle en termes d'accueil du public dépasse aujourd'hui l'entendement » vous offre en fait la possibilité de "consommer" de la musique comme on avale un burger. « Parce que sérieusement, sommes-nous physiquement capables de voir plus de dix groupes dans la même journée, à cent mètres de la scène, derrière 50 000 personnes et de prendre du plaisir ? », demande Rubin Steiner.
Face à ce constat, ce musicien, DJ, membre du groupe DRAME et ancien programmateur dans une salle de concert a créé une carte des "petits" festivals de France. L'objectif est de répondre à une demande :
« Le festivalier lambda n'existe pas, et certains vont encore dans les festivals pour écouter et découvrir des groupes. Nous les appellerons mélomanes avertis ou, plus institutionnellement, les amateurs de "musique vivante". Ceux-là ne trouveront peut-être pas dans ces grands rassemblements de type "blockbusters" l'intimité nécessaire à leur plaisir ».
Il s'agit de faire découvrir des festivals à taille humaine :
« Des petits festivals, dont les programmateurs à tête chercheuse se font plaisir, et donc au public par capillarité d’enthousiasme, sont à taille humaine, certains même ne dépassant pas le millier de festivaliers. Généralement peu ou pas sponsorisés et peu subventionnés, ces festivals ne s'affichent pas dans les pages des magazines ou sur les murs du métro, mais offrent malgré tout, eux aussi, de vrais moments de communion, et on peut compter sur eux pour de belles et inoubliables découvertes, des lieux insolites et une convivialité certaine ».
Se rendre en Région Bourgogne-Franche-Comté...
Il se trouve un festival qui pourrait assurément rejoindre « l'Ode aux "petits" festivals » de Rubin Steiner. Le mélomane n'a pas encore établi une carte 2019 des sentiers à parcourir durant l'été pour échapper aux « blockblusters », redécouvrir « le charme des routes départementales et voyager à peu de frais dans la richesse d'un territoire » avec en bout de course...la découverte d'une programmation de qualité dans un « dépaysement assuré ».[cf.6] Cependant, il a eu le flair d'accepter de participer à un nouveau venu des plus prometteurs.
Le festival en question se déroulera durant trois jours dans le département de la Côte-d'Or en Région Bourgogne-Franche-Comté. La première édition a choisi pour cadre idyllique : Alise-Sainte-Reine le 19 juillet, Semur-en-Auxois et l'abbaye de Fontenay le 20 et les jardins et la cour du château de Bussy-Rabutin le 21 juillet.
Son nom ?
Image sonore. À ne pas confondre avec Images Sonores, le festival belge, organisé par le Centre Henri Pousseur, qui se déroule chaque année depuis vingt ans à Bruxelles et à Liège entre fin avril et fin mai.
...pour découvrir le son comme un objet de création
Mais qu'est-ce qu'une "image sonore" ?
« Image sonore désigne le lien établi entre une image visuelle et le son qui l'accompagne. Image sonore caractérise également une faculté propre au son. Écouté seul, tenu hors de tout accompagnement visuel, le son engage en chacun de nous une production d'imaginaire. Lecture sans narration, les sons entendus entretiennent une polysémie toujours active. Lorsque l'on entend un verre se casser, la nature de ce son permet de l'associer à un verre en Duralex, une bouteille ou une vitre. Dans son déroulement rien n'est attendu, la surprise se renouvelle à chaque instant de l'écoute. En révélant une matière virtuelle plastique et architecturée, le son s'inscrit dans l'espace : grain, densité, couleur sonore, flux, type de plan, échelle, etc. C'est pourquoi il a la faculté d'être mis en scène. Alors, à son tour, le son devient un objet de création. »
La définition donnée par l'ingénieur du son, professeur des universités et essayiste français Daniel Deshays nous donne déjà une première entrée en matière. [7] , [7 bis]
Recoudre le monde en rapprochant des artistes et des publics éloignés
Afin d'en apprendre davantage sur la genèse du festival et sa ligne artistique, une rencontre avec le directeur Serge Meyer s'impose. Ce passionné et féru de travail, également directeur d'un studio de création numérique ("Et même si"), n'est en rien un novice. « L' expérience développée dans le domaine des arts vivants (...) embrasse, depuis vingt ans, une grande diversité de réalisations de scénographies d’images dans des champs artistiques différents. Les créations touchent à plusieurs disciplines : la vidéo, le mapping, la photographie, l’interactivité... mais aussi le conseil et la formation ». De fait, lui et ses collaborateurs ont su développer « une expertise spécifique dans le domaine de la scénographie numérique. Le studio "Et même si" est présent en moyenne chaque année sur deux festivals de musique de chambre, trois créations de spectacles et quatre-vingt-dix représentations ». Fort de cette expérience, a émergé chez lui le désir de création d'un festival :
« L’idée du festival est née d’une envie de recoudre le monde ! À la fois en rapprochant des esthétiques différentes (classique, contemporaine, électronique, numérique…), à la fois en créant une commande liée aux lieux ( Marc Parazon et Marie Guérin pour L'Agricomonium), à la fois en rapprochant des publics éloignés. Les collaborateurs du festival sont tous issus comme moi du spectacle vivant (théâtre, danse, opéra). J'ai souhaité réunir des festifs, des festoyants, de villes différentes mais avec ce même désir de faire et de partager. Les Artistes que je fait intervenir on tous une écriture singulière… dans un répertoire très vaste. Et pour la plupart une grande envie de créer des passerelles et des ponts entre leurs esthétiques ».
« Proposer des passerelles entre les pratiques artistiques et les styles esthétiques qui se croisent, se suivent et se répondent », est donc l’objectif du festival Image Sonore.[8] L'évènement invitera le public à « redécouvrir son patrimoine au travers d’animations musicales originales et de « mappings », de grandes fresques vidéo projetées sur les façades des monuments ». La programmation se veut « éclectique, entre concerts impromptus, siestes sonores à 360° et expositions autour du son et de l’image, développée avec la volonté de favoriser la convivialité et les échanges entre les artistes et le public ».[cf.8]
Une programmation digne des pionniers en la matière
La soirée d'ouverture s'ouvre entre les cordes et les accords électro. Le Quatuor Tana et la pianiste Mara Dobresco partageront la programmation avec le duo Hamburgeois Extrawelt, des incontournables de la scène Électro Allemande qui ne dérogent pas aux lignes de noblesse du célèbre label Cocoon[9].Connu pour des remix des artistes Minilogue et Gregor Tresher, le premier album Schöne neue Extrawel sorti en 2008 a reçu une critique élogieuse dans le magazine spécialisé Resident Advisor. Depuis, le duo a sorti bien d'autres albums et écumé les scènes. Toujours le même constat en écoutant leur live. Leur son n'a rien a envier aux meilleurs systèmes et ingénieurs. En outre, leur composition garde en toute occasion cette qualité première : une « cohérence remarquable » et une capacité à utiliser des éléments trance sans tomber dans les travers du genre.[9 bis]
Au coeur du festival, la très remarquable collaboration [10], [10 bis] entre Vanessa Wagner et Murcof (la pianiste française auréolée de nombreux prix, dont celui de la « révélation soliste instrumental » des Victoires de la musique classique, et le musicien mexicain, maître de la musique expérimentale moderne), sera restituée dans l'écrin de la collégiale dans l'Abbaye de Fontenay, après le concert résolument féminin du Quatuor parisien Face à Face.
Enfin, la soirée de clôture s'annonce résolument hétéroclite : la scène sera partagée entre les discrets musiciens tous terrains masqués Guess What du label Catapulte Record avec leur style de « musique de détente rétro futuriste », l'artiste lyrique soprano Karen Vouc'h et des compositeurs de musique électronique et DJ aux renommées internationales. Ainsi, la Française Chloé Thevenin alias Chloé côtoiera l'artiste irlandais Max Cooper qui « a fait de la musique son terrain d’expérimentations et de recherches en dédiant ses compositions à des applications scientifiques et à l’art audiovisuel »[11], mais aussi l'invité d'honneur du festival, l'inclassable et toujours surprenant Rubin Steiner associé malgré lui à la French Touch.
Durant les siestes sonores d'autres artistes sont à découvrir dans la programmation : les jeunes artistes solos The Electrokit et David Hess, le collectif de DJ et producteurs parisiens Mashup Superstars spécialistes du « mashup qui consiste à mélanger deux morceaux pour un clash dansant » et :Such. Entre composition électroacoustique, installations sonores et performance, l'ingénieur et artiste « compose et interprète une musique électroacoustique DIY ludique et inquiétante ».
Fédérer le public et dynamiter le cliché tenace du public branché des grandes villes
Image sonore propose la découverte ou la redécouverte de personnalités au parcours protéiforme, des créateurs qui puisent leurs inspirations à la source de plusieurs arts, entre science et expérience. Sa programmation exigeante et résolument paritaire n'a rien à envier aux festivals "mainstream" pour fédérer un public. Elle dynamite un « cliché tenace : le public branché des grandes villes ».[cf.6]
Le nombre de visiteurs attendus pour cette première édition est d'environ 3000 personnes. L'objectif promet d'être atteint à en croire la programmation de « haute volée ». Gageons que tous les heureux mélomanes qui souhaiteront se rendre au festival trouveront de quoi contenter leur soif de musique et de convivialité. La billetterie est d'ores et déjà ouverte en ligne.
Sarah Seignobosc

Agrandissement : Illustration 1

[1] Lire le billet du mois d'avril sur le site wwww.sortiraparis.com : « Guide des Festivals de musique 2019 partout en France ».
[2] Lire l'article du 6 juin 2015 du journal Le Monde : « Dans les coulisses des petits festivals, les ficelles des municipalités ».
[2bis] Compléter en consultant la « Cartocrise - Culture française tu te meurs», un recensement des festivals, structures et associations supprimés/annulés entre mars 2014 et jusque juillet 2015.
[3] Lire l'article du 27 juillet 2018 du journal La Croix : « La sécurité pèse sur les comptes des festivals d’été ».
[3 bis] Compléter par le billet du 4 juillet 2018 sur le site de www.actualitte.com : « Les festivals sont devenus la vache à lait de l'État ».
[4] Lire l'article du 12 juillet 2018 du magazine Telerama : « Les festivals de musique menacés par leurs frais de sécurité ».
[4 bis] Lire l'article du 4 juillet 2018 du journal Le Figaro : « Circulaire Collomb : pourquoi les frais de sécurité menacent les festivals ».
[5] Lire le billet du 10 février 2017 « Quand les festivals changent de cap pour survivre ».
[5] Écouter l'émission « L 'invité des Matins d' Été (partie 2) » du 20 juillet 2018 sur le site de France-Culture : « Festival, une industrie comme une autre ? »
[6] Lire l'article du 9 juillet 2018 du Magazine Littéraire : « Ode aux"petits" festivals ».
[7] Consulter la conférence de Daniel Deshays du 18 juillet 2004 de L'Université de tous les savoirs dans la collection « Image fixe, image mouvante » sur le site : https://www.canal-u.tv
[7 bis] Compléter en lisant l'article de la revue web Synthone du 18 septembre 2015 : « L’image sonore, le travail de la mémoire et le désir de l’écoute ~ Conversation avec Daniel Deshays ».
[8] Voir la présentation du festival sur le site officiel du tourisme en Côte-d'Or : http://www.cotedor-tourisme.com
[9] Lire le billet du novembre 2011 sur le site www.sourdoreille : « Pourquoi on ne parle jamais d’Extrawelt ».
[9 bis] Lire l'article du 16 octobre 2008 du magazine Resident Advisor : « RA Reviews - Schöne neue Extrawelt » ou la source Wikipédia.
[10] Lire l'article du 23 septembre 2018 sur le site de France Culture : « Statea, le nouvel album du duo Murcof / Vanessa Wagner ».
[10 bis] Compléter la lecture par l'article du 7 juin 2016 du magazine Les Inrocks : « Murcof et Wagner : quand électronique et (néo)classique se rencontrent ».
[11] Lire l'article du 4 septembre 2018 du magazine Mixmag France : « Max Cooper, un scientifique au service de la musique électronique ».