Nous nous divisons pour de mauvaises raisons, ou plutôt, on nous divise pour
de mauvaises raisons, comme nous nous regroupons (ou on nous regroupe)
également pour de mauvaises raisons.
Nous courons nous assembler dans les milieux dont les codes sociaux sont les
nôtres, pour mieux nous rassurer, nous valoriser, bref nous sentir exister. Ce jeu
donne toujours lieu aux plus grotesques comédies, rien n’a changé depuis Balzac
et sa « Comédie Humaine ». Seules les apparences comptent. Chacun se sent
rassuré dans son milieu et caresse secrètement l’espoir d’accéder à l’échelon
supérieur (et c’est là le sens de toute une vie ! En général…)
Ces regroupements, et donc, ces divisions entre groupes, adossés à des
aspirations exacerbées par notre « modernité libérale » sont intrinsèques à
l’ordre social établi progressivement par l’agencement des masses (en fonction
des besoins du système social et surtout libéral) en catégories strictement
distinctes et quasi imperméables, catégories rangées dans un système pyramidal
hiérarchique soft, de sorte qu’on ne le sente presque pas. C’est le système des
castes indiennes version occidentale, nous avons, malheureusement, peu de
chances de sortir du milieu social d’où nous venons, et beaucoup plus de
descendre l’échelle sociale libérale que de la monter… probabilités à l’appui…
et quand bien même tout le monde voudrait l’escalader en même temps, les
places sont limitées, et souvent déjà réservées… d’où cette compétition
généralisée exacerbée et violente entre citoyens, mais le voulons-nous vraiment ? Est-ce vraiment nécessaire ?
Il n’existe pas de hiérarchie qui convienne à l’être humain en dehors de lui même, « car chaque moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres » (cf. Pascal, « Pensées »). Pourtant, on le voit, soit elle est naturelle
(condition animale), soit elle nous est imposée de force par les dominants afin
d’exercer leur volonté de puissance (religions-royaumes-empires-états-multinationales). La première et l’ultime des hiérarchies est nécessairement une hiérarchie propre à chaque individu, en soi (il ne s’agit pas de
répondre à ses plus bas instincts pour des plaisirs égoïstes et vides de sens, pour un hédonisme vulgaire en quelque sorte).
L’avènement des consciences humaines autonomes de manière généralisée ne
peut passer que par la libération des individus de toute forme hiérarchique : « Il m’est odieux de suivre autant que de guider. Obéir ? Non, jamais et jamais gouverner ! Qui est à soi-même terrible, à nul autre ne saurait inspirer laterreur. » (cf. Le Gai Savoir, Nietzsche). Et ce n’est certainement pas le libéralisme (ou néolibéralisme) économique planétaire qui le permettra, bien au contraire.
Il apparaît évident que la finalité de l’être humain est de pouvoir s’ordonner
lui-même, s’étant rendu maître des pulsions et passions qui l’animent depuis la
nuit des temps (et non « maître et possesseur de la nature », tel un enfant devant
un jouet… et qu’il finit par détruire… ne sachant l’observer et l’utiliser
sagement). Sa finalité est de pouvoir marcher librement et dignement sans les
« béquilles » d’un système prétendu libéral et qui en réalité nous aveugle, nous
rend dépendants de valeurs morales que l’on ne peut plus reconnaître tant elles
paraissent désuètes, absurdes et barbares à notre propre morale. Encore faut-il
être assez conscient pour s’être organisé un système de valeurs à soi, répondant à
une volonté puissante de dépasser celui dont il nous apparaît que les valeurs
organisent chez nous un désordre permanent ("L’ordre des puissants est mon
désordre, mon ordre est leur désordre") .
Pour ceux qui considèrent que leur existence n’a de valeur que dans les
catégories mentionnées plus avant, je pose la question suivante : qu’en est-il de
notre vieux projet de conquête de la Liberté, de l’Égalité (et ne venez pas me
dire que parce que nous serions plus intelligents, nous aurions toute légitimité de
nous arroger la liberté des moins intelligents… quand nous parlons de
conscience !) et de la Fraternité ? Avons-nous touché au but ?
Si oui, nous n’avons pas la même définition de la liberté humaine. Je suis pour
ma part un libertaire convaincu, je ne puis supporter aucune hiérarchie. Qui
mieux que moi-même saurait ce qui est bon pour moi, dès lors que je suis
suffisamment conscient pour m’ordonner moi-même, pour mon bien le plus
précieux .
Sinon, qu’attendons-nous ? L’éducation devrait nous porter à atteindre ces
visées d’ordre supérieur au lieu de nous projeter sans ménagement dans ce
« broyeur de vies » qu’on appelle communément « libéralisme » ou
« néolibéralisme ». Et il ne s’agit pas que de nos vies occidentales mais
également de la misère voulue et organisée par le monde occidental sur les pays
les plus pauvres (lire « L’empire de la honte », écrit par Jean Ziegler, ancien
rapporteur spécial auprès de l’ONU pour le droit à l’alimentation, puis vice président du Comité consultatif des droits de l’homme de l’ONU). Et c’est bien notre éducation, qu’on le veuille ou non, qui nous pousse dans cette direction criminelle. Cette misère voulue et orchestrée par des organisations toutes puissantes, (FMI, OMC, Banque Mondiale) crée plus de morts chaque année (dont 3 millions d’enfants à cause de la famine organisée) que toutes les guerres
que nous avons pu connaître jusqu’à présent.
En réalité, ce libéralisme ne libère que très partiellement ceux qui détiennent
le pouvoir. Car ils ne seront jamais libres non plus dans leur obsession du profit
et du contrôle des masses. Et signe de leur aveuglement, Poutine déclare à
propos de la cybernétique : « Celui qui détiendra ce savoir sera le maître du
Monde » (tiré d’un article paru dans « Courrier International » dans un dossier
consacré à la cybernétique). Aux USA ou en France, on vous dira que c’est pour
votre plus grand bien. En Chine, on ne dit rien, on teste déjà les balbutiements de
cette nouvelle révolution scientifique sur certains groupes de citoyens qui ne
peuvent que subir sans broncher.
L’éducation, donc, nous prépare au grand bain du libéralisme, à entrer sur le
grand marché des « ressources humaines ». Eh oui, nous sommes une ressource
comme une autre (bien que le vocabulaire s’améliore, celui qui nous recrute est
désormais appelé « dénicheur de talents »). Ce marché, pour les pseudo
« élites », est désormais mondial. Elles se déplacent au bon vouloir des sociétés
transnationales toutes puissantes, gratifiées par des rémunérations qui leur font
oublier les dégâts qu’elles commettent ici ou là, un peu partout sur la planète.
Pour les autres, ils n’ont d’autre choix que de s’adapter localement au marché
tout puissant et d’organiser leur survie (physique ou psychique selon l’endroit du
monde où l’on vit). Voilà à quoi, globalement, sert l’éducation de nos enfants
aujourd’hui. (excepté, encore une fois, pour les élites, qui reviennent à une
éducation beaucoup plus classique pour leurs progénitures… Ne nous
mélangeons pas surtout !) Et songeons aux « Business Schools » qui poussent
comme des champignons partout sur la planète, eh oui, la terre est toujours à vendre… et
non à partager !
L’horloge capitale
Sur nos esprits, l’empreinte d’un temps social,
Dessine le cadre de ses infimes limites.
À la frontière du libre élan vital,
Les cœurs serrés, dans leur étui, s’effritent.
Dans ce carré du choix des possibles,
Tout un chacun, a foi dans les invincibles
Certitudes, apprises de Bien ou de Mal,
Dirigeant nos vies, avant l’éveil brutal.
Dans ce vase clos de relations mathématiques,
Humaines déceptions et rythmes prosaïques,
Cadencés du mouvement de l’horloge oppressante,
Circulent les corps à la vie inconsciente.
Les échines semblables à des roseaux,
Plient sous le poids des invariables capitaux,
Fragiles fondations de notre horizon,
Futile condition de l’Être en prison.