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Billet de blog 5 févr. 2023

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"Dans les eaux glacées du calcul égoïste..."

La réforme du régime des retraites tentée par l’actuel gouvernement français bute sur l’opposition déterminée de larges secteurs de la population. Les enjeux majeures ne sont pas seulement économiques...

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« Dans les eaux glacées du calcul égoïste… »

La réforme du régime de retraites tentée par l’actuel gouvernement français bute sur l’opposition déterminée de larges secteurs de la population. Risquons-en un point de vue, à notre tour – aucunement exhaustif.

Appelons les choses par leur nom. On ne saurait, en effet, parler de réforme des retraites sans en nommer la couleur, les orientations, la facture, ses bénéficiaires et ses perdants. On évitera ainsi de les mettre sur le compte d’un personnage imaginé comme tout-puissant, fut-ce le président de la République. La réforme projetée est clairement et explicitement néolibérale. Aucun doute là-dessus, aucun enrobage non plus. C’est cette réforme précisément néolibérale, ni la première ni probablement la dernière dans la longue histoire des sociétés capitalistes, qu’une minorité défend et une majorité rejette. Quel qu’en soit le sort, elle pousse sur le devant de la scène des enjeux de société d’une rare évidence, qui resteront visibles, car ils sont tenaces, bien longtemps.

Pour une grand partie des opposants l’allongement de la durée légale du travail, soit du temps contraint, outre une exposition accrue au chômage, vient en diminution du temps voué à des activités choisies, voire du temps qu’ils pourraient vivre ou du moins survivre en relative bonne santé. Cette réforme leur rappelle que leur existence ne leur appartient vraiment pas. La vie et la mort de chacun ne sont pas des affaires exclusivement personnelles. S’y ajoute le fait - massif, contondant – qu’en régime néolibéral le travail, dans la presque totalité de ses modalités, est devenu pénible, vorace, dévorateur de temps et d’énergies, offert aux caprices d’une bonne partie des chefs ou qui se prennent pour tels, générateur insatiable de fatigue physique et mentale chez ses serviteurs. Travailler plus revient à remplacer encore davantage le leitmotiv du travail bien fait par celui de la soumission au protocole bien respecté. Source de passions tristes, dirait Spinoza. D’autant plus que, paradoxe néolibéral, ce régime n’excelle ni toujours ni partout par sa puissance productive, par sa capacité de créer des richesses sans porter atteinte à la planète Terre ni compromettre l’avenir des nouvelles générations.  Régime nullement soucieux de distribution et de partage - sauf en direction des actionnaires.

En même temps, cette réforme des retraites s’inscrit dans un deuil jamais définitivement élaboré. On ne se résigne guère, en effet, à ce que le sort des salariés diffère de celui des esclaves, même si parfois les différences en termes de conditions de travail et de rétribution s’avèrent plutôt subtiles. On s’offusque du fait que les intéressés prétendent autre chose que ce qu’ils ont déjà, ou qu’ils rechignent à vivre avec encore moins. Mais cette tendance pas toujours souterraine qui pousse à confondre salariés et serfs entraine peu ou prou une réduction du nombre et des ressources des consommateurs sans lesquels, pourtant, le néolibéralisme ne peut fonctionner. Et c’est là une autre de ses contradictions constitutives.

Pour les uns, le temps c’est  de l’argent ; pour d’autres, le temps c’est de la vie. Pour tous, la réforme néolibérale des retraites comporte des enjeux économiques auxquels elle ne se réduit aucunement. L’entêtement à faire comme si ce n’était pas le cas fait partie de la gouvernance néolibérale des sociétés. A l’inverse, que c’est bien cela qui est en cause réunit ceux et celles qui voudraient, qui imaginent, qui contribuent à leur manière à ce qu’une autre société devienne enfin possible.

Saül Karsz

Article également paru dans le bulletin LePasDeCôté / www.pratiques-sociales.org

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