Le livre L'Enigme Bogdanov, de notre collègue Luis Gonzalez-Mestres (Editions Télémaque, paru le 5 novembre), est un excellent cadeau de Noël. Non pas en tant qu'objet d'amusement, mais en tant que matériel pour une réflexion citoyenne devenue de plus en plus urgente. Le livre dépasse très largement la thématique ponctuelle de la prétendue « affaire Bogdanoff » pour en aborder les mobiles réels, le contexte institutionnel et social, l'histoire de ce contexte... L'auteur en arrive ainsi à un exposé qui commence dans l'Antiquité et se poursuit jusqu'aux périodes récentes, notamment en ce qui concerne la Science, la Philosophie, les obstacles rencontrés par les idées nouvelles, les comportemenrs collectifs de ceux qui prétendaient (prétendent) représenter le savoir et la pensée, les intérêts des groupes sociaux concernés, le rôle du système social et institutionnel... Pigistes, « électrons libres » travaillant sur un sujet de leur cru, thésards précaires sans bourse ni financement pendant une longue décennie, auteurs de livres à l'adresse du grand public sans la bénédiction des groupes dominants de la recherche... Igor et Grichka Bogdanoff se sont trouves au centre d'une spirale où des problèmes institutionnels et sociaux, notamment dans la recherche, se sont très directement manifestés. Mais l'analyse présentée dans L'Enigme Bogdanov n'aborde pas uniquement ce cadre étroit. Les problèmes de la société actuelle, y compris la mondialisation du capitalisme, l'impérialisme et le passé colonial, y sont abordés à des degrés divers, notamment en rapport avec le comportement des scientifiques depuis le XIXe siècle et dans une perspective globale soulignant entre autres leur rôle dans la catastrophe européenne de la Première Guerre mondiale. En même temps, Luis Gonzalez-Mestres aborde la question également très urgente de l'accès au savoir pour l'ensemble de la population dans un contexte de lourdes menaces sociales en rapport avec la situation actuelle en la matière. Pour faire face à ces menaces, il réclame l'accès de tous les citoyens à des connaissances de haut niveau.
Malheureusement, les attentats de Paris ont eu lieu huit jours après la parution du livre L'Enigme Bogdanov. Le bilan actuel de ces attentats a atteint les 130 morts et plus de 350 blessés.
Et cette semaine, l'attentat de Bamako s'est soldé par une vingtaine de morts. Si Daesh a revendiqué les attentats de Paris, ce sont des mouvements proches d'Al Qaida qui se sont attribués la tuerie de Bamako.
Exprimons une nouvelle fois nos condoléances et notre soutien à l'égard des victimes et de leurs familles, ainsi que notre gratitude et notre encouragement à l'égard des forces et services chargés de protéger les citoyens contre le terrorisme de tous bords.
En même temps, une réflexion citoyenne transparente, indépendante et sortant des sentiers battus devient de plus incontournable dans la ligne de celle appelée et introduite par le livre L'Enigme Bogdanov. Les attentats récents, l'identité de leurs auteurs et le nombre de leurs victimes exigent de leur côté une telle réflexion avec une force et une urgence encore plus grandes.
Saluons les réactions rapides des gouvernements de la France, de la Russie et d'autres pays visant à réduire progressivement les moyens qui permettent à Daesh de mener à terme ces attentats, et à mettre fin à terme à la domination de Daesh sur une partie stratégique de la Syrie et de l'Irak.
Mais une réflexion citoyenne indépendante sur ces événements, sur leur contexte, sur l'historique de ce contexte et sur l'évolution historique globale qui a conduit à cette situation n'en reste pas moins indispensable et urgente.
Or la thématique profonde d'une telle réflexion ne pourra que converger avec celle introduite par le livre L'Enigme Bogdanov et en actualiser le contenu.
En évoquant le complicité très majoritaire des milieus scientifiques français et allemand avec les instigateurs de la Première Guerre mondiale, L'Enigme Bogdanov ouvre la voie à un examen plus global des acquiescements explicites ou tacites de larges secteurs des « élites » et des populations à l'égard de l'impérialisme et de la mondialisation du capitalisme.
Il en est de même lorsque L'Enigme Bogdanov évoque l'implication de scientifiques et intellectuels dans la « grande expansion coloniale » et le racisme colonial qui ont précédé et préparé la Première Guerre mondiale.
De son côté, une réflexion sur les attentats récents peut soulever cette simple question : pour quelle raison fallait-il, après la chute du régime politique de l'Union Soviétique, s'engager aussitôt dans une stratégie outrancière pour faire disparaître à tout prix les régimes baasistes de l'Irak et de la Syrie, au prix d'en arriver à la situation actuelle ? Quel est le bilan de la politique appliquée par les « puissances occidentales » depuis les années 1990 ? En Europe même, l'ex-Yougoslavie a d'ailleurs subi le même type de pression.
Et quelle est, concrètement, l'évolution qui a conduit à l'actuelle situation internationale depuis la fin de la Première Guerre mondiale ? Comment l'analyser et en tirer des conséquences pour l'avenir du pays et de la société ? Un sujet que L'Enigme Bogdanov aborde en partie, mais qui nécessite d'être encore approfondi avec une large participation citoyenne.
De même, que penser de la situation au sein même des « puissances occidentales », de leur régime économique, sociale et politique ? Ou encore, de la politique de l'Union Européenne. Un autre sujet que L'Enigme Bogdanov aborde en partie, et qu'il est indispensable d'analyser plus en détail et dans la transparence.
Et que deviendra la grande majorité de la population dans les « pays occidentaux », si l'informatique et l'intélligence artificielle se substituent progressivement au travail de salariés et fonctionnaires ? Un problème stratégique essentiel également abordé par L'Enigme Bogdanov alors que des économistes proches du monde politique nous annoncent la prolifération de la précarité, la disparition des « classes moyennes », la fin de la « croissance »...
Peut-on se passer d'une éducation du plus haut niveau, y compris sur les plans scientifique et technologique, pour l'ensemble des citoyens ? Non seulement pour ne pas être « surclassés » par les machines, mais aussi pour être en mesure d'intervenir dans les choix de société concernant l'informatique et l'intelligence artificielle. Et pourquoi les actuelles limitations en matière d'éducation alors que le nombre des chômeurs bat des records ?
Une nouvelle fois, les citoyens peuvent-ils raisonnablement faire comme si ces problèmes et leur urgence n'existaient pas ?
Peut-on sérieusement, dans la situation actuelle, s'endormir dans le champagne pendant les fêtes de Noël au lieu de les consacrer à une réflexion citoyenne sur ces questions essentielles et sur bien d'autres que l'actualité amène au quotidien ?
Et peut-on, dans ces conditions, se passer d'un livre comme L'Enigme Bogdanov qui nous présente d'émblée un début de réflexion élaboré sur ces problématiques ?
« Passer Noël à réfléchir »... Celà peut choquer, certes, par rapport aux pratiques habituelles. Et pourtant...
Voir aussi les articles de Luis Gonzalez-Mestres :
L'Enigme Bogdanov et la Cosmologie
L’Enigme Bogdanov : une question de société, aussi
Bogdanoff - CNRS : le jugement du TAP en cours d'appel
De Mossoul et Palmyre aux attentats de Paris
ainsi que l'article de Petite Citoyenne :
L'Enigme Bogdanov, livre grand public pour un débat citoyen d'actualité
et nos articles :
Attentats de Paris et mondialisation du capitalisme (I)
Un livre interactif : L'Enigme Bogdanov, de Luis Gonzalez-Mestres
L'Enigme Bogdanov, de Luis Gonzalez-Mestres (I)
Pentecôte et droit de tous à la connaissance
Bernard Cazeneuve et l'histoire du christianisme (I)
ESR : la manifestation du 16 octobre
La mobilisation pour l'abrogation de la "réforme" du collège (I)
La mobilisation pour l'abrogation de la "réforme" du collège (II)
République française, langues "régionales", Constitution... (I)
Philippe Aghion, la mondialisation et la casse sociale (I)
A-t-on besoin d'une "Europe de la connaissance" ? (I)
A-t-on besoin d'une "Europe de la connaissance" ? (II)
A-t-on besoin d'une "Europe de la connaissance" ? (III)
A-t-on besoin d'une "Europe de la connaissance" ? (IV)
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