Le 24 juin, journée de défense des retraites, Les Echos évoque le rapport de la Cour des Comptes diffusé mercredi et reproche à l'Etat d'avoir supprimé 6000 emplois publics de moins « que prévu ». A propos de la position exprimée par le président de la Cour des Comptes Didier Migaud, pour qui le projet de Nicolas Sarkozy ne va pas assez loin, Les Echos estime que « ce n'est plus l'ancien député socialiste qui parle du report de l'âge de la retraite, mais le nouveau premier président de la Cour des comptes ». Une telle appréciation, à propos de Migaud et de son rôle en tant que député, nous paraît entièrement gratuite. En réalité, le report de l'âge de la retraite fut programmé par les accords du Conseil Européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, sous la « gauche plurielle » de Lionel Jospin. Les mesures envisagées par l'actuel gouvernement sont moins radicales que celles réclamées depuis 2002 par l'Union Européenne avec la bénédiction des « gauches » nationales. De ce point de vue, la position exprimée par Didier Migaud, qui fut l'un des auteurs (rapporteur à l'Assemblée Nationale) de la Loi Organique relative aux Lois des Finances (LOLF) d'août 2001, est tout sauf une surprise. On peut en revanche se demander, avec tout le respect dû à cette institution, s'il est opportun que les présidents de la Cour des Comptes soient issus des secteurs les plus influents du monde politique. Mais s'agissant de la question de l'âge de la retraite, il nous semble que les actuels débats médiatisés évitent ou dénaturent un certain nombre de questions essentielles qui, en particulier, intéressent très directement la recherche publique et l'enseignement supérieur.
Voir, à ce sujet, notre article du 20 juin :
Retraites et crise d'une société (I)
Pour de nombreuses raisons, la recherche et l'enseignement supérieur se trouvent très directement concernés par cette problèmatique particulièrement conflictuelle. A fortiori, dans l'actuel contexte de « managérisation » du Centre National de la recherche scientifique (CNRS) et de l'ensemble de la recherche publique et des universités. Voir également, sur ce blog, notre article :
Non à la "managérisation" du CNRS et des universités !
et, sur le blog La Science au XXI Siècle :
Une auteure de la LOLF, promue à la vice-présidence de la Banque Mondiale
De la LOLF à la LRU, la casse de la recherche (I)
De la LOLF à la LRU, la casse de la recherche (II)
La réduction du nombre des fonctionnaires est une conséquence directe de l'entrée en application de la LOLF de 2001, votée dans un grand consensus « transversal » entre « droites » et « gauches ». Mais quelles en sont les conséquences sur le plan des retraites, après la promulgation en août dernier de la loi 2009-972 dite « relative à la mobilité et aux parcours professionels dans la fonction publique », que les parlementaires de « gauche » n'ont pas jugé utile de déférer au Conseil Constitutionnel et contre laquelle la mobilisation syndicale reste à ce jour symbolique ? La procédure dite de « réorientation professionnelle » est-elle autre chose qu'une machine destinée à pousser vers la retraite un maximum de fonctionnaires dans des conditions défavorables ?
C'est pourquoi il nous semble qu'il ne saurait y avoir d'action conséquente pour les retraites dans la fonction publique sans une action conséquente contre la loi de « mobilité » et, s'agissant du CNRS, contre des procédures telles que les « suivis post-évaluation » des chercheurs ou les nouvelles dispositions sur la « mobilité » d'ingénieurs et techniciens.
De surcroît, les organisations syndicales ont recours à un argument qui nous apparaît particulièrement dangereux : un éventuel recul de l'âge de la retraite jouerait un rôle important dans le chômage des jeunes. En clair, « les vieux doivent laisser la place aux jeunes ».
Les responsables syndicaux passent ainsi sous silence le rôle des délocalisations et des exportations massives de capitaux, qui se poursuivent encore à ce jour malgré la débâcle économique et sociale qu'elles ont déclenchée. Telle est la raison essentielle de la montée du chômage dans un pays comme la France : les plus-values du travail ne sont pas réinvesties dans l'économie du pays. Pire, la recherche et la haute technologie sont elles-mêmes délocalisées.
Ne nous y trompons pas. Dès lors que l'on rentre dans la logique « les vieux doivent laisser la place aux jeunes », tout devient permis et il n'existe aucune raison pour que « nos décideurs » l'appliquent uniquement à la question de l'âge de la retraite. Précisément, la situation est déjà suffisamment grave de ce point de vue (blocage des carrières et de l'accès à l'emploi des « plus de 50 ans », harcèlements et discriminations liés à l'âge...) sans qu'il soit besoin d'en rajouter.
Si les raisons de poids pour s'opposer fermement à un report de l'âge de la retraite ne manquent pas, le discours sur une prétendue opposition entre le travail des « vieux » et l'emploi des « jeunes » paraît particulièrement nuisible.
Il y a moins de deux ans, l'ancien ministre de l'Economie sous Lionel Jospin, Christian Sautter, démissionnaire en mars 2000 après une grève des fonctionnaures de son Ministère auquel il avait tentdé d'appliquer une « réforme » conçue par son prédécesseur Dominique Strauss-Kahn, écrivait dans Bétapolitique :
http://www.betapolitique.fr/Du-temps-perdu-pour-la-recherche-08371.html
« ... j’ajoute personnellement que les chercheurs (fonctionnaires) ayant passé leur zénith devraient être reconvertis dans l’enseignement à plein temps »
(fin de citation)
Christian Sautter, dont ce genre de prises de position reflètent de toute évidence le point de vue d'un certain nombre de chercheurs influents « de gauche », s'exprimait de la sorte le 7 juillet 2008, à un moment où la loi sur la « mobilité » des fonctionnaires venait d'être adopté au Sénat en première lecture le 30 avril 2008. Dans l'explication finale du vote des sénateurs du groupe socialiste, Pierre-Yves Collombat avait estimé que le projet de loi contenait « des dispositions acceptables et parfois intéressantes », même si son groupe refusait de le voter « en l'état » :
http://www.senat.fr/seances/s200804/s20080429/s20080429015.html#section1899
En réalité, personne, dans le monde politique, ne s'est vraiment opposé à la mise en place d'une logique prétendument de « dégraissage » de la fonction publique, avec des procédures comme la « réorientation professionnelle » permettant de licencier des fonctionnaires ou de leur infliger une mise à la retraite d'office dans des conditions défavorables. Une machine bien pire que le report de l'âge de la retraite, mais qui fait beaucoup moins de vagues.
Sautter se permet d'introduire sans aucun fondement professionnel une notion de « chercheur fonctionnaire ayant passé son zénith », dont l'idée de base circule sous des formes diverses dans les couloirs hiérarchiques et « gestionnaires » depuis très longtemps. Un discours qui s'accorde bien avec la logique d'élimination des concurrents potentiels par les personnes et groupes influents, mais qui reflète également l'hégémonie actuelle des détenteurs du pouvoir administratif sur le travail scientifique créateur. L'asservissement du travail intellectuel au profit de la « gestion » et de la « gouvernance » constitue de toute évidence un ingrédient essentiel de la logique du système.
Sauf que le monde de la « pensée unique », qui présente la « théorie du zénith » comme une évidence, ne se l'applique sutout pas lui-même. Les politiques, « gestionnaires », chercheurs et professeurs d'université influents... recherchent et obtiennent des fonctions ou des missions à haut niveau bien après l'âge de la retraite. Evoquer des noms serait superflu, tellemement les exemples sont nombreux et notoires. Il semblerait que « l'excellence » permet d'achapper au « zénith ».
On retrouve agelement de manière tacite, dans le discours de Christian Sautter, la logique de la « modulation du service » pour les enseignants-chercheurs introduite par le baiais de la loi 2007-1199 dite « relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU) que le Conseil d'Etat vient de déférer au Conseil Constitutionnel. Voir nos articles :
La LRU, renvoyée au Conseil Constitutionnel (I)
La LRU, renvoyée au Conseil Constitutionnel (II)
En réalité, la « modulation du service » est-ce autre chose que le début d'une procédure de licenciement ou de mise à la retraite d'office ?
Et doit-on accepter, pour débattre sur la question des retraites, le cadre, la logique institutionnelle et les contraintes liés à l'actuel système économique et social ?
Dans le contexte actuel, un report de l'âge de la retraite constituerait une grave régression sociale. Mais les grandes centrales syndicales n'ont pas, au cours des années récentes, dénoncé la stratégie de l'Union Européenne, pas plus que la complicité de la « gauche » elle-même avec cette politique depuis l'adoption des accords du Conseil Européen de Barcelone. Quant aux débats en cours, ils comportent des lieux communs dangereux et infondés, ainsi que des omissions graves, dont il conviendra de poursuivre l'analyse.
Voir aussi nos articles :
Retraites et crise d'une société (I)
Retraites et crise d'une société (II)
Retraites, "réforme", clauses rétroactives...
Elections régionales, crise, abstention record et système politique
Retraites, "cogestion", manifs et "accompagnement"
CNRS : message aux personnels des laboratoires (29 avril 2010)
Déclaration d'Indépendance des Chercheurs (1er Mai 2010)
Non à la "managérisation" du CNRS et des universités !
Délocalisations, recherche scientifique et propagande politique
Recherche scientifique et technologique : où est la « guerre économique » ?
La Chine et la débâcle de la "division internationale du travail"
CNRS, délocalisation de la recherche et débâcle européenne (I)
CNRS, délocalisation de la recherche et débâcle européenne (II)
CNRS, délocalisation de la recherche et débâcle européenne (III)
CNRS, délocalisation de la recherche et débâcle européenne (IV)
Elections régionales, Europe et services publics
Elections régionales, "gauche solidaire" et avenir
Une auteure de la LOLF, promue à la vice-présidence de la Banque Mondiale
De la LOLF à la LRU, la casse de la recherche (I)
De la LOLF à la LRU, la casse de la recherche (II)
La LRU, renvoyée au Conseil Constitutionnel (I)
La LRU, renvoyée au Conseil Constitutionnel (II)
Jules Ferry, CNRS, universités et colonialisme (I)
Jules Ferry, CNRS, universités et colonialisme (II)
Jules Ferry, CNRS, universités et colonialisme (III)
Jules Ferry, CNRS, universités et colonialisme (IV)
Jules Ferry, CNRS, universités et colonialisme (V)
Indépendance des Chercheurs