Le 27 novembre 2013 se tient à Strasbourg l'audience de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) sur l'affaire 43835/11, S.A.S. c. France, qui concerne d'après son résumé la loi française sur le voile intégral. En réalité, l'objet de la LOI n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public est plus vaste comme l'indique l'intitulé même de cette loi. L'avocat des parties civiles dans le procès de Michaël Khiri a déclaré : « Le fait de porter un voile intégral, aujourd'hui en France, c'est être un délinquant ». Toutefois, la réalité juridique est qu'il ne s'agit pas d'un délit mais d'une contravention de la deuxième classe aux termes de l'article 3 de la loi 2010-1192 qui stipule clairement « La méconnaissance de l'interdiction édictée à l'article 1er est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe ». De son côté, l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe a émis en juin 2010 une recommandation contraire à ce type d'interdiction. Malgré la recommandation de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, la loi française a été largement votée trois mois plus tard. Le sujet a déjà été abordé dans nos articles « CEDH, burqa, niqab, Constitution... » (I), (II) et (III). Le 27 novembre, Le Nouvel Observateur écrit « La France défend sa loi sur la burqa à Strasbourg ». Plusieurs médias emploient le même titre. Mais le contenu de la loi est beaucoup plus général, son article 1er stipulant que « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Il ne s'agit donc pas uniquement d'une loi sur la burqa. Et même si la loi introduit quelques exceptions, il paraît impossible de prévoir d'avance toutes les exceptions légitimes à une telle disposition.
La dissimulation du visage dans un espace public peut être motivée par un défaut dans le visage et par bien d'autres circonstances qui paraissent légitimes, pourtant non prévues dans les exceptions définies par l'article 2 de la loi 2010-1192 : « L'interdiction prévue à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ». Faut-il en faire une infraction pénale ?
En réalité, cette interdiction est apparue d'emblée comme étant dirigée contre le port du voile intégral. Mais sa portée réelle dépasse de loin ce cadre et ses conséquences globales ne semblent pas avoir été suffisamment évaluées.
Le site de l'Assemblée Nationale rappelle cet extrait du compte rendu du Conseil des Ministres du 19 mai 2010 :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/dissimulation_visage_espace_public.asp
La ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a présenté un projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.
Le port de tenues destinées à dissimuler le visage, en particulier le voile intégral, remet en cause les règles qui forment le pacte républicain. Compte tenu de l'atteinte qu'elle porte à ces règles qui permettent le « vivre ensemble », à la dignité de la personne et à l'égalité entre les sexes, cette pratique, même volontaire, ne peut être tolérée en aucun lieu de l'espace public. Il existe à cet égard un très large consensus, ainsi que l'a mis en évidence l'adoption par l'Assemblée nationale, le 11 mai dernier, de la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte.
La méconnaissance de cette interdiction sera sanctionnée d'une amende dont le montant ne pourra dépasser 150 euros, un stage de citoyenneté pouvant se substituer ou s'ajouter à cette peine.
Le projet de loi prévoit que la mesure d'interdiction générale entrera en vigueur six mois après la promulgation de la loi. Ce délai sera mis à profit pour poursuivre une démarche de dialogue et de persuasion auprès des femmes portant volontairement le voile intégral.
Par ailleurs, le projet de loi réprime, au titre des atteintes à la dignité de la personne humaine, le fait de contraindre une personne, en raison de son sexe, à se dissimuler le visage. Par l'institution d'un délit spécifique, puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende, il s'agit de lutter contre cette forme nouvelle d'asservissement des femmes, que la République ne saurait admettre sur son sol.
(fin de l'extrait)
Suit la recommendation de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe du 23 juin 2010
Source : site du Conseil de l'Europe
http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta10/FREC1927.htm
Assemblée Parlementaire
Recommandation 1927 (2010)1
Islam, islamisme et islamophobie en Europe
1. Se référant à sa Résolution 1743 (2010) sur l’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe, l’Assemblée parlementaire souligne l’importance particulière que revêt, pour le Conseil de l’Europe et ses Etats membres, le renforcement de l’action qu’ils mènent dans ce domaine. Le Statut du Conseil de l’Europe lui donne pour mission prioritaire d’œuvrer en faveur de la liberté de pensée, de conscience et de religion, tout en luttant contre l’intolérance religieuse et la discrimination, ainsi que contre les attaques déguisées au nom de la religion des valeurs qu’il défend. Il convient que les Etats membres s’inspirent de la présente recommandation et de la Résolution 1743 (2010).
2. Pour pouvoir édifier jour après jour une société démocratique régie par l’Etat de droit et les droits de l’homme universels, le Conseil de l’Europe doit redoubler d’efforts de manière à inscrire ces valeurs dans la culture européenne. L’action culturelle et éducative menée par le Conseil de l’Europe est une condition indispensable, d’une part, à l’intégration européenne fondée sur des valeurs communes et, d’autre part, à la parfaite compréhension et au respect scrupuleux des droits de l’homme, notamment les droits et libertés politiques, sociaux et culturels. Le Conseil de l’Europe devrait également s’employer à encourager d’autres parties du monde à adopter et à promouvoir les valeurs qu’il défend.
3. Du fait de son Statut, de sa compétence territoriale et de son expérience, le Conseil de l’Europe devrait tenir lieu de tribune paneuropéenne pour l’examen des stratégies communes de renforcement de la stabilité démocratique, confrontée à l’islamisme, à l’islamophobie et aux autres extrémismes politiques en Europe. Aussi l’Assemblée demande-t-elle au Comité des Ministres:
3.1. de veiller, à l’aide du budget général et des contributions volontaires, à assurer le financement adéquat des activités normatives, d’assistance et de coopération exercées au profit des Etats membres et des régions voisines dans les domaines de la culture et de l’éducation, ainsi que des migrations et des réfugiés;
3.2. de renforcer ses activités afin de veiller à ce que la connaissance de l’islam et d’autres croyances soit enseignée à l’école et au moyen d’une éducation dispensée tout au long de la vie, et que les établissements d’enseignement supérieur et de recherche en Europe fassent de l’islam une matière d’enseignement afin de former les universitaires, les enseignants et les responsables religieux;
3.3. d’œuvrer pour étendre géographiquement les traités du Conseil de l’Europe portant sur la culture et l’éducation, en les ouvrant à la signature d’Etats non membres, notamment d’Eurasie, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient; cela vaut tout particulièrement pour la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne (STE no 165), la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199), la Convention européenne sur la télévision transfrontière (STE no 132) et le protocole portant amendement à celle-ci (STE no 171);
3.4. d’étudier les possibilités d’ouverture du champ d’application géographique de la Convention culturelle européenne (STE no 18) aux Etats non européens, par exemple en rédigeant un protocole sur l’éducation aux droits de l’homme et à la démocratie à cette convention;
3.5. d’œuvrer activement en faveur de l’adhésion des Etats d’Afrique du Nord et du Proche-Orient au Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l’Europe, et de renforcer notamment les programmes portant sur l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier la lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et la promotion de la participation des femmes dans la prise de décision publique. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite de l’adhésion du Maroc et du Cap-Vert au Centre Nord-Sud;
3.6. d’envisager d’ouvrir la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) à la participation d’Etats non membres, notamment d’Afrique du Nord, du Proche-Orient et d’Eurasie;
3.7. d’envisager d’ouvrir la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE no 106) à la signature des Etats non membres, notamment d’Afrique du Nord, du Proche-Orient et d’Eurasie;
3.8. de mettre en place des programmes d’action communs au Conseil de l’Europe et à l’Alliance des civilisations des Nations Unies;
3.9. de poursuivre l’action importante qu’il mène en faveur du dialogue interculturel et de sa dimension religieuse, notamment les «Rencontres du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel» qu’il organise régulièrement, et d’accroître la participation de l’Assemblée afin d’intensifier le rôle de la coopération interparlementaire dans ce processus;
3.10. d’inviter les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE no 93) et la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144); l’intégration sociale et politique des migrants et des ressortissants étrangers, qui sont bien souvent musulmans, est une condition essentielle de la cohésion et de la stabilité démocratiques;
3.11. d’œuvrer à l’élaboration, par tous les Etats membres, d’approches politiques communes à l’égard des Etats non européens qui soutiennent l’islamisme en Europe et d’inviter, à cet égard, les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention européenne pour la répression du terrorisme (STE no 90) et le Protocole portant amendement à celle-ci (STE no 190), ainsi que la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196), en vue de renforcer la coopération politique et juridique dans ce domaine;
3.12. d’inviter la Suisse à adopter un moratoire sur son interdiction générale concernant la construction des minarets de mosquées et à abroger dès que possible cette interdiction, qui constitue une discrimination à l’égard des communautés musulmanes au regard des articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5); la construction des minarets doit être possible, au même titre que celle des clochers, et soumise au respect des conditions de sécurité publique et des plans d’urbanisme;
3.13. d’inviter les Etats membres à ne pas adopter une interdiction générale du port du voile intégral ou d’autres tenues religieuses ou particulières, mais à protéger les femmes contre toute violence physique et psychologique ainsi que leur libre choix de porter ou non une tenue religieuse ou particulière, et de veiller à ce que les femmes musulmanes aient les mêmes possibilités de prendre part à la vie publique et d’exercer des activités éducatives et professionnelles; les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent être justifiées lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage;
3.14. de redoubler d’efforts afin qu’une convention sur la lutte contre la violence faite aux femmes, y compris la violence domestique, voie le jour le plus rapidement possible;
3.15. d’inviter les Etats à garantir la liberté d’expression des femmes en sanctionnant, d’une part, toute forme de contrainte, d’oppression ou de violence obligeant les femmes à porter le voile ou le voile intégral, et en créant, d’autre part, les conditions sociales et économiques permettant aux femmes d’opérer des choix éclairés par la promotion de politiques effectives d’égalité des chances entre les femmes et les hommes, qui incluent notamment l’accès à l’éducation, la formation, l’emploi et le logement.
1. Discussion par l’Assemblée le 23 juin 2010 (23e séance) (voir Doc. 12266, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Mogens Jensen; Doc. 12303, avis de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Hancock; Doc. 12305, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Rafael Huseynov; et Doc. 12304, avis de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, rapporteuse: Mme Memecan). Texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée le 23 juin 2010 (23e séance).
(fin du texte de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe)
Voir aussi nos articles (cliquer sur chaque titre) :
CEDH, burqa, niqab, Constitution... (I)
CEDH, burqa, niqab, Constitution... (II)
CEDH, burqa, niqab, Constitution... (III)
Conseil de l'Europe et protection des enfants (I)
Chômage, budget antisocial... les Roms n'y sont pour rien
Hollande, Ayrault, Sécurité Sociale, "fin de vie"... (I)
Première guerre mondiale : le centenaire (I)
Première guerre mondiale : le centenaire (II)
La France a-t-elle "toujours été raciste"?
Indépendance des Chercheurs
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