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Billet de blog 9 mai 2023

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BNP et énergies fossiles : à l'AG, les scientifiques posent les questions qui fâchent

Les scientifiques en rébellion ont acheté des actions BNP Paribas ! En tant qu’actionnaires, nous avons posé des questions – préparées collectivement avec des co-auteur.es du GIEC – au Conseil d’administration de la banque, qui y répondra lors son AG du 16 mai. Nous y parlons de financements, de pétrole, de gaz et de TotalEnergies. Nous serons à l’AG pour écouter les réponses.

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Ce qui suit a été envoyé officiellement le 8 mai 2023 au C.A. de BNP Paribas, en vue de leur AG. Ces questions ont été posées par un scientifique de notre collectif, titulaire d'une action BNP Paribas. Nous serons présent.es à l'AG pour entendre les réponses. 

Le 24 février dernier, 600 scientifiques dont des auteurs et autrices du GIEC publiaient dans L’Obs une lettre ouverte à destination du Conseil d’administration de BNP Paribas, démontrant que les activités récentes de BNP n’étaient pas alignées avec l’Accord de Paris. Nous profitons donc de cette Assemblée générale pour vous interpeller à nouveau sur cet aspect. Les questions qui suivent ont été rédigées collectivement par des membres de Scientifiques en rébellion et plusieurs co-auteurs de rapports du GIEC : Christophe Cassou (climatologue, co-auteur du 6e rapport du GIEC), Jean-Pierre Gattuso (océanographe, co-auteur du 5e rapport et de deux rapports spéciaux du GIEC), Céline Guivarch (économiste, co-autrice du 6e rapport du GIEC), Jean Jouzel (climatologue, ex-vice-président du groupe scientifique du GIEC), Wolfgang Cramer (écologue, co-auteur du 6e rapport GIEC), Jean-Baptiste Sallée (climatologue, co-auteur du 6e rapport GIEC), Julia Steinberger (économiste, co-autrice du 6e rapport GIEC) et Gonéri Le Cozannet (géographe, co-auteur du 6e rapport GIEC).

► Le consensus scientifique montre clairement que respecter l’Accord de Paris impose de laisser la majorité des énergies fossiles encore disponibles dans le sol, et de ne plus ouvrir de nouveaux gisements en dehors de ceux déjà en exploitation. Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie a annoncé en 2021 qu’ « il n’y a aucun besoin d’investir dans des nouvelles sources d’énergies fossiles dans notre trajectoire Net zéro »[1] ; le groupe d’experts de haut niveau des Nations unies affirme dans son rapport de novembre 2022 que le « Net zéro est incompatible avec la poursuite des investissements dans les énergies fossiles »[2] ; le dernier rapport du GIEC va également dans le même sens[3]. Reconnaissez-vous que l’on ne peut pas continuer à investir dans les fossiles pour respecter l'Accord de Paris sur le climat de 2015 ? Reconnaissez-vous que les investissements dans les nouveaux projets gaziers doivent aussi être arrêtés immédiatement, et pas seulement ceux dans les projets d’extraction de pétrole ou de charbon ?

► D’après le rapport Banking on Climate Chaos 2023[4], BNP Paribas fait partie des établissements qui ont financé et continuent de financer massivement de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Elle a par exemple été entre 2016 et 2022 la première au niveau mondial pour le financement du pétrole et du gaz en mer et la première au niveau européen pour le financement de l’expansion des énergies fossiles (exploration, exploitation de nouveaux gisements, développement de nouveaux gazoducs, oléoducs, terminaux méthaniers, etc.). Reconnaissez-vous que c’est le cas, et qu’actuellement BNP Paribas continue à soutenir le développement des énergies fossiles à travers des prêts directs, les émissions d’actions et d’obligations, et via la gestion d’actifs notamment pour des tiers ? Si oui, pouvez-vous donner explicitement quels sont les montants qui financent directement ou indirectement l’expansion des énergies fossiles via les différents mécanismes ?

► Un récent communiqué de presse de BNP Paribas[5] affirme que sa « trajectoire s’inscrit pleinement dans le scénario de l’Agence Internationale de l’Énergie, y compris dans ses développements les plus récents ». Alors que les nouveaux projets fossiles financés aujourd’hui ne seront rentabilisés que s’ils restent en activité pendant plusieurs décennies, il nous semble que cela est incohérent. Si la BNP fait référence au scénario « Net Zero » de l’IEA, nous pensons que leur affirmation n’est pas exacte. Si la BNP fait allusion au scénario « Announced Pledge Scenario », nous avons deux commentaires : i) ce scénario n’est pas un « développement récent », mais un autre scénario. Ii) Ce scénario est un scénario qui nous éloigne de l’accord de Paris car il s’appuie sur les annonces des Etats... qui ne sont pas suffisantes pour respecter l’accord de Paris. Pouvez-vous clarifier et commenter ?

► Le volume des engagements de BNP Paribas dans le secteur fossile n’est-il pas incompatible avec son adhésion en 2021 à la Net Zero Banking Alliance (NZBA), un programme lancé par les Nations unies pour inciter les banques à participer à la sortie des énergies fossiles ?

► Si nous avons bien compris vos rapports, l’engagement de BNP Paribas à réduire ses encours de financement à l’extraction et la production de pétrole et gaz (de 80 % et 30 % respectivement à horizon 2030)[6], 1) n’empêche pas le maintien de soutiens financiers aux entreprises développant de nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, 2) ne couvre pas les encours concernant les activités de transformation, de stockage, de transport ou de combustion de produits pétro-gaziers, et 3) ne porte que sur les prêts octroyés par BNP Paribas, sans prendre en compte le soutien aux émissions obligataires et la gestion d’actifs ? Est-ce exact ?

► BNP Paribas a consenti, avec d’autres établissements financiers, à l’émission d’obligations pour de gros acteurs pétro-gaziers (BP, Saudi Aramco, TotalEnergies) pour des montants de plusieurs milliards de dollars[7]. Cet argent a-t-il servi au développement de nouveaux projets, et en particulier à financer indirectement la construction de l’oléoduc EACOP en Ouganda et en Tanzanie ? Si votre réponse est négative, comment êtes-vous en mesure de l’assurer ?

► BNP Paribas a récemment déclaré au journal Le Monde[8] qu’elle cesserait « dès maintenant » de financer même indirectement, l’ouverture de nouvelles infrastructures d’exploitation de gisements d’énergies fossiles. Pourtant, le rapport RSE annuel du groupe soumis à cette Assemblée générale ne mentionne pas cette ambition : on y trouve uniquement une courte mention concernant le seul secteur pétrolier[9]. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements à ce sujet, et en particulier confirmer si cette annonce est exacte, si elle inclut bien toutes les énergies fossiles, si elle se traduit par exemple par l’arrêt du financement de toute entreprise n’arrêtant pas ses projets pétro-gaziers, et si elle inclut tous les mécanismes de financement indirect tels que le soutien à l’émission d’actions et d’obligations, ou leur détention ?

► Le méthane est souvent présenté par les entreprises pétro-gazières comme une énergie de transition, et plutôt vertueuse, car ses émissions sont censées être inférieures de moitié à celle du charbon par unité d’énergie produite. Or, de nombreuses études scientifiques récentes montrent qu’il n’en est rien, en raison des fuites de méthane aux différentes étapes du cycle de vie du méthane (extraction, compression/liquéfaction, transport, utilisation, etc...). Un taux de fuite de 2,7% est suffisant pour annuler l’avantage du méthane sur le charbon. Or, les taux de fuite observés sont de cet ordre de grandeur ; ils sont plus élevés dans le cas du LNG (liquified natural gas) que dans le cas du transport classique. Or la croissance du LNG au niveau mondial est forte. Avez-vous connaissance de ces travaux scientifiques et comment peuvent-ils être compatibles avec votre positionnement actuel sur le gaz ? Avez-vous financé directement ou indirectement des infrastructures liées au LNG ? Comptez-vous arrêter de financer directement ou indirectement le secteur du gaz, et en particulier le LNG ?

► Le groupe BNP Paribas est non seulement un financeur majeur de TotalEnergies, mais aussi un actionnaire de l’entreprise via sa branche BNP Paribas Asset Management. Par ailleurs, le président de BNP Paribas M. Jean Lemierre siège au Conseil d’administration de TotalEnergies. Or, TotalEnergies est l’entreprise pétrolière qui a approuvé le plus de nouveaux projets pétroliers et gaziers en 2022 au monde, et dont la stratégie climat a été analysée et très vivement critiquée par les experts du GIEC (dont plusieurs parmi les auteurs de cette question). Continuerez-vous à financer et à investir dans une entreprise telle que TotalEnergies, dont la stratégie est incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris ? Continuerez-vous à siéger au Conseil d’administration de cette même entreprise ? Soutenez-vous le plan climat de cette entreprise qui sera présenté lors de son Assemblée générale le 26 mai prochain ?

[1] « Net Zero by 2050 », International Energy Agency, mai 2022.

[2] « Integrity matters : net-zero commitments by businesses, financial institutions, cities and regions », United Nations High-Level Expert Group, novembre 2022.

[3] « Si les investissements dans le charbon et les autres infrastructures fossiles se poursuivent, les systèmes énergétiques seront verrouillés à des niveaux d’émissions plus élevés, ce qui rendra plus difficile de limiter le réchauffement à 2 °C ou 1,5 °C », Technical Summary, AR6 WG3, GIEC (2022).

[4] « Banking on Climate Chaos », Fossil fuel finance report (2023).

[5] « BNP Paribas, leader affirmé du financement de la transition énergétique, engage une nouvelle étape de forte accélération », BNP Paribas, 24 janvier 2023.

[6] Ibid.

[7] « Les ONG dénoncent le « chèque en blanc » de 8 milliards accordé par les banques à TotalEnergies », Les Échos, 17 mai 2022.

[8] « BNP Paribas, « leader de la transition énergétique » ou banque d’un « monde qui brûle » ? », Le Monde, 12 avril 2023.

[9] « Cette réduction sera poursuivie via l’arrêt des financements indirects ainsi que du financement des activités spécialisées et associées à ce secteur. », « Document d’enregistrement universel et rapport financier annuel 2022 », BNP Paribas (2023), p. 644.

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