Un énième constat d’échec
La COP 22 23 24 25 26 27 28 29 30 se solde par un constat d’échec [1]. La concentration en dioxyde de carbone est cette année de 407 409 411 414 416 418 421 424 ppm, en constante augmentation depuis l’ère préindustrielle. Cette année encore, il n’y a pas eu d’engagement à une sortie rapide et concertée des énergies fossiles. Cette année encore, les pays du Sud, faute de pouvoir obtenir de la part des pays du Nord un véritable engagement à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, ont dû se replier sur des espoirs de compensation financière et d’adaptation, un bien faible pis-aller par rapport aux enjeux : combien valent les vies humaines, les terres immergées, les territoires désertifiés ? Même sur ce terrain, les engagements obtenus ont été ridicules par rapport aux demandes. Mais l’an prochain, c’est promis, ce sera différent, et la COP de la dernière chance sera pour l’année prochaine.
Fatalité ou faillite de la démocratie représentative ?
Les COP ont lieu depuis 1995 et force est de constater qu’elles n’ont pas permis d’éviter que la crise climatique ne cesse de s’amplifier. La 21e édition, dite de « l’Accord de Paris » (tenue en 2015) est connue pour avoir entériné que la communauté internationale ferait « tout son possible » pour contenir le réchauffement climatique bien en-dessous de +2°C, voire le limiter à +1,5°C. Or les engagements en 2024 des gouvernements conduiraient, à supposer qu’ils soient tenus, à une hausse des températures de 2,6 à 2,8 °C d’ici la fin du siècle, d’après les Nations Unies[2].
Est-ce vraiment là « tout le possible » de la communauté internationale ? Si oui, alors c’est un constat d’impuissance : les États n’auraient visiblement pas la main sur les choix politiques qui permettraient de réduire la course folle des émissions. Si non, alors c’est un constat de duperie : les États membres ont choisi d’éviter sciemment les trajectoires de rupture qui auraient été nécessaires pour atteindre leurs engagements, et les COP servent à entretenir cette tromperie, cette pièce de théâtre tragique dans laquelle les puissants feignent de s’inquiéter du sort des plus faibles tout en signant en coulisse des deals d’extraction de pétrole à toujours plus de milliards. Dans les deux cas, le constat est que les COP ne sont pas à la hauteur du rôle qui devrait être le leur : inciter l’ensemble de la communauté à faire face ensemble à un péril global, à agir en solidarité et en responsabilité avec les pays du Sud, et à faire passer l’intérêt supérieur de la vie des citoyen·nes du monde avant celui des entreprises climaticides.
Le fait que chaque édition réédite un narratif identique, benoîtement autant que vigoureusement relayé par les médias et les pouvoirs publics, au choix, nous alerte, nous agace, nous navre ou nous inquiète : les mois qui précèdent promettent la COP de tous les possibles, les semaines précédentes douchent les espoirs, les 24 heures de prolongations conduisent au satisfecit de fin de COP des pays les plus responsables de la crise.
La rhétorique d’autosatisfaction qui émane des gouvernements occidentaux en sortie de COP, qui souligne les « progrès » accomplis, espère servir de cache-sexe à l’indécence de leurs relations avec les pays du Sud. Vaguement seulement car – et c’est le plus curieux – personne n’est dupe.
Dans les pays du Nord comme du Sud, l’intérêt pour les COP s’émousse d’année en année, le spectacle n’intéresse plus personne. Par exemple, à la fin de la COP29, un accord sur la finance climatique (300 milliards de dollars par an) a été conclu. La somme, près de cinq fois inférieure à celle réclamée par les pays du Sud, a provoqué leur colère, les conduisant à juste titre à qualifier cet accord imposé par les pays riches de « néocolonialiste ». La délégation de Papouasie-Nouvelle-Guinée, pays particulièrement vulnérable aux enjeux climatiques, révoltée du contenu des COP, s’était fait porter pâle et a décliné de participer à la mascarade.
Des problèmes structurels
Faut-il s’en étonner ? Nous ne le pensons pas. Les problèmes de fond qui expliquent ces échecs sont ceux de la faillite de la démocratie représentative. Les delegates trahissent leur rôle de délégation en portant la parole des puissants États-nations et des lobbies, avec une totale incurie pour l’opinion des citoyens.
Tout d’abord, les COP sont l’endroit idéal pour les lobbyistes de grands secteurs opposés aux changements structurels (énergies fossiles, agro-industrie) pour influencer et saper tout accord. La COP 30 en aura été encore une fois l’exemple parfait, et cela sans même s’être tenue dans une dictature fossile comme les COP 28 et 29 (Dubaï, Azerbaïdjan). En effet, environ 1 600 lobbyistes des énergies fossiles étaient présents à la COP30, dont l’emblématique Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accrédité par la France, probablement pour que les scientifiques présents n’oublient pas « le réel ».
Au delà des lobbyistes et du manque de transparence sur l’influence d’acteurs privés, il faut aussi envisager que le système de COP, cherchant des accords globaux à l’échelle internationale, sera toujours moins-disant, car de nombreux pays grands producteurs ou consommateurs d’énergies fossiles ont des intérêts économiques, militaires et géopolitiques à s’opposer fermement à des « transformations rapides, profondes et systémiques dans tous les secteurs », seul moyen de conserver un futur vivable selon le GIEC. Les loups gardent la bergerie.
Plus fondamentalement, les COP sont ancrées dans un paradigme économique productiviste et libéral. Elles se déroulent dans un cadre qui a été écrit en 1992 dans la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), et dont la lecture est fort instructive. Dans la vingtaine de pages de ce document, on trouve six fois la mention de la croissance et du développement économique, notamment en précisant que « le développement économique [est] indispensable pour adopter des mesures destinées à faire face aux changements climatiques. ». Le libéralisme économique et le libre-échange y sont également rappelés. Ce document empêche donc toute réflexion et conclusion hors de ce cadre restreint.
Ajoutons finalement le risque que constitue une focale mise sur la seule question climatique, qui empêche de prendre en compte les autres menaces sur l’environnement et qui invisibilise les causes et responsabilités de ces menaces. La destruction de la biodiversité et la désertification font ainsi l’objet de COP séparées et bien moins médiatisées. Pourtant tous ces enjeux sont intrinsèquement liés et développer cette conscience réduirait le risque de prendre des mesures favorables pour l’un, mais néfastes pour l’autre.
Alors bien sûr, les COP constituent des événements de rencontres internationales ou des pays structurellement dominés peuvent formellement s’exprimer, et tenter de s’allier pour peser, éventuellement grâce à la pression de quelques ONG ou des mouvements sociaux (quand elles ont lieu dans des pays relativement démocratiques).
C’est par exemple une des rares occasions qui permettent au Vanuatu, dont la survie est menacée par la montée des eaux et les cyclones, de se rappeler au souvenir des pays riches. Dans le « off », celui de la « société civile », c’est une occasion pour des figures de la résistance de s’exprimer : ainsi en 2024, Casey Camp-Horinek, élue autochtone états-unienne, qui incarne la résistance et la mémoire vivante de la nation des Poncas, dénonce les effets mortifères de l’industrie fossile, et notamment les ravages de la fracturation hydraulique ; face à l’immobilisme des politiques, elle prône la rébellion. Malgré l’importance de sa parole, elle n’a curieusement pas reçu le même accueil institutionnel que Patrick Pouyanné ! Lorsque les pays d’accueil répriment toute contestation, ces voix ne peuvent s’exprimer que dans la « zone bleue » gérée par l’ONU, accessible uniquement aux personnes accréditées, et soumise à de nombreuses restrictions.
Structurellement, les COP resteront dans le meilleur des cas « un prisme à travers lequel nous pouvons évaluer l’état de la politique climatique mondiale et l’équilibre des forces en présence » comme le dit le chercheur Stefan Aykut. Dans le pire des cas, une orchestration hypocrite de l’inaction climatique.
Et si les COP faisaient leur boulot ?
Rêvons un peu. Et si les COP faisaient leur boulot, à quoi pourrait ressembler le communiqué final ? Peut-être qu’au préalable, le mode de décision et de représentativité aurait été changé. Les sur-représentés hommes d’âge mur en costards auraient été remplacés par une assemblée représentative des peuples du monde, à l’image des conventions citoyennes.
On commencerait probablement par y acter que la science a son mot à dire, que les scientifiques, entre autres au GIEC et à l'IPBES, produisent depuis des décennies des rapports à destination des politiques qui contiennent les diagnostics, des scénarios et proposent des pistes de solutions. Il serait évident que la recherche de la croissance économique rend notre futur invivable, et l’on y présenterait les chiffres du budget carbone restant pour limiter le réchauffement climatique. On y acterait la fin des énergies fossiles, et un moratoire sur l’ouverture de nouveaux gisements serait signé par tous les pays. On prendrait conscience de l’indécence des écarts de niveaux de vie entre tous les pays du monde. On annulerait la dette des pays du Sud. On instaurerait une taxe carbone mondiale dont l’intégralité serait reversée à la lutte contre la désertification dans les pays du Sud. Tous les pays du monde acteraient la fin de l’utilisation des pesticides et des engrais de synthèse ainsi qu’une forte réduction de l’élevage et de la pêche. Ces décisions ambitieuses, prises au plus haut niveau enclencheraient des dynamiques à l’échelle locale et réciproquement.
Programme alléchant pour la vaste majorité des citoyens et citoyennes, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi n’est-il pas mis en œuvre ? On objectera rapidement que c’est irréaliste, que ce n’est pas en dénigrant systématiquement qu’on avancera, et que de toutes façons, personne n’a rien de mieux à proposer. Vraiment ? Pas si sûr. Tout d’abord, à Scientifiques en rébellion, on considère que porter un regard lucide sur les dysfonctionnements d’un système de perpétuation des inégalités et de mise en péril n’est ni une bagatelle ni du dénigrement.
Que faire ici et maintenant ?
Il existe des solutions. Tout d’abord, les solutions techniques sont connues. Sans rentrer dans le détail, du point de vue scientifique, ça tient la route, et on pourra en parler une autre fois. Le point névralgique est ailleurs et il est politique. On a vu que les COP sont par construction au service de l’économie libérale, relayée par les lobbies et les États dominants. En clair, le principe est de subordonner (ou d’adapter) l’ensemble des sphères de la Terre, c’est-à-dire l’environnement biotique et abiotique, aux impératifs économiques. Les COP entérinent cette logique, et les États dominants y trouvent peu à redire puisqu’ils en tirent profit, sinon qu’ils préféreraient probablement que l’environnement ne soit pas dévasté, certes. Ne trouvez-vous pas ça politique ? Les COP le sont, et pour cette raison, nous pensons qu’il pourrait en être autrement.
Par exemple, une proposition pleine de bon sens émerge, portée par la Colombie et les Pays-Bas : plutôt que d’attendre le consensus de l’ensemble des pays, y compris de la part des pires contributeurs, ne faut-il pas leur tourner le dos, au moins temporairement ? Ainsi se tiendra en Colombie en avril 2026 la première conférence internationale sur la transition hors des énergies fossiles. Il ne parait pas illusoire d’espérer que dans le monde contemporain, les leviers économiques pourraient être mobilisés très efficacement, pour le meilleur au lieu du pire (Donald Trump use à l’envi de la rétorsion économique pour faire plier des acteurs puissants, dont l’Europe ou la Chine ; l’Europe a pu la déployer envers la Russie en un temps record). Un attelage de pays contributeurs de bonne volonté pourraient à leur tour user de rétorsion pour faire avancer le dossier écologique.
D’autres solutions existent : une assemblée générale citoyenne, ou une forme de confédéralisme sont des alternatives réalistes à la fois au fonctionnement centralisé des États-nations par trop coercitif et aux idéaux émancipateurs d’une frange de la population. Par exemple, chaque État pourrait avoir la tâche de recueillir les décisions des citoyens et citoyennes qui relèvent de leurs circonscription, et endosserait pleinement et justement son rôle de delegate au moment des COP : ils ne porteraient plus la parole d’une représentation politique mais celle, participative, des citoyen·nes, sur les questions du climat uniquement, et dans le seul cadre supranational des COP. Ainsi, ce confédéralisme a minima n’entraverait pas le fonctionnement des États dans leurs prérogatives domestiques. Autrement dit, ils resteraient libres de disposer de leurs forces de coercition pour tout autre enjeu que ceux des COP. Ce serait toujours ça de pris, et donnerait une possibilité d’issue heureuse à l’étau du réchauffement climatique, chose que les COP dans l’état actuel ne permettent pas, par construction.
En attendant que la raison l’emporte, nous considérerons les COP pour ce qu’elle sont : au mieux des non-évènements, au pire un alibi qui retarde une action collective réelle à la hauteur des enjeux de soutenabilité et de justice.
[1] COP : Conférence des parties, ou conférence des États signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
[2] United Nations Environment Programme (2024). Emissions Gap Report 2024. Nairobi. https://doi.org/10.59117/20.500.11822/46404