Le collectif de défense des jardins ouvriers du Fort d’Aubervilliers tenait une table samedi dernier au Mediapart festival 2025, organisé au Point Fort d'Aubervilliers, à une centaine de mètres des jardins en question. Eh oui, malgré l’effondrement de la biodiversité, malgré les risques de surchauffe en ville, malgré la précarité des quartiers populaires, malgré les dangers liés à l'imperméabilisation des sols sur le cycle de l’eau (inondation ou sécheresse), malgré les promesses des élues, les décisions des juges, la mobilisation populaire, ces jardins sont encore et toujours menacés de destruction.

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Histoire de destructions
Ces jardins ont déjà fait l’objet de nombreux articles depuis 2020, sur Médiapart, Reporterre et ailleurs. Mais leur destruction a commencé bien avant. Depuis 1949, les photos aériennes révèlent la disparition des 4/5 de leur surface. Aujourd’hui, les 7 hectares restants ne sont que le reliquat de la plaine maraîchère des Vertus qui approvisionnait autrefois les Halles de Paris. Les dernières destructions eurent lieu dans les années 1970-80 avec l’arrivée de la ligne 7 du métro, puis du théâtre équestre Zingaro.
Début 2020, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de Plaine Commune est adopté, programmant la destruction de 10 800 m² de jardin pour l’arrivée d’une piscine d’entraînement olympique, d’une gare du Grand Paris Express et surtout, d’un nouveau quartier de logements, de bureaux, de commerces et d’hôtels. En 2022, la justice administrative annule ce PLUi, l’estimant “incohérent” et incompatible avec le schéma directeur de la région d’Île-de-France. Elle dénonce la suppression d’un hectare d’espace vert “dans une commune de la région parmi les plus carencées en la matière” et décide que les empiètements sur les jardins “ne doivent pas excéder les zones strictement nécessaires à l’implantation de la gare du Grand Paris Express et de la piscine olympique”. Une victoire ? En partie seulement.

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En mai 2024, la piscine est inaugurée juste à temps avant les JO. Construite sur un ancien parking, elle aurait pu épargner les jardins. Malgré la décision des juges, les jardins qui ne lui étaient pas “strictement nécessaires” ont été détruits et n’ont jamais été restitués.
En 2023, la Société du Grand Paris (SGP) négocie avec les jardinier·es avant le lancement des travaux de la future ligne 15 du métro. Au départ, 5 000 m² de jardin étaient menacés par ce chantier, puis 2 300 m² et finalement 600 m², un seul jardin est détruit. La SGP a changé ses plans, reculé de quelques mètres les quais du métro, optimisé son chantier. Cette négociation, inédite, menée entre trois femmes — la présidente de l’association des jardins, la directrice adjointe en charge du projet et l’ingénieure responsable des études — se fait en bonne intelligence, par une écoute mutuelle et avec pragmatisme. Elles désamorcent les tensions initiales, rompent avec les schémas habituels (masculinistes) du pouvoir. Elles aboutissent à un accord équilibré. Les travaux sont en cours.
Si la SGP a épargné les 2 300 m² de jardins pour son chantier, cette surface est en sursis, elle reste menacée. Dans le PLUi de Plaine Commune, cette partie n’est pas classée en zone naturelle (Nj) comme le reste des jardins, mais en zone UGg destinée aux équipements de transport. Plaine Commune envisage d’y implanter une station de bus, un pôle multimodal. Pourtant, sur les visuels des aménageurs, se profilent deux tours. Bureaux, habitations, hôtels ? Que nenni, la zone est uniquement destinée aux équipements de transport. Les jardinier·es attaquent le PLUi en 2024, mais les juges de la cour administrative, puis ceux du Conseil d’État les déboutent. L’avocate de Plaine Commune assure ne pas encore savoir à quoi servira la destruction de ces jardins, mais ces surfaces seront nécessaires. Les juges lui donnent raison. Lunaire.

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Changement de PLUi
Depuis 2020, quatre révisions du PLUi ont été entreprises. La deuxième, en avril 2023, avait permis de supprimer des zones urbanisables et de requalifier certains jardins en zone naturelle (Nj) suite à l’annulation partielle du plan par la justice.
L'enquête publique de la quatrième révision vient de se terminer. Cette révision, prévue pour fin 2025, ne restitue pas les 2 300 m² de jardins de la zone UGg. Bien au contraire, avec cette révision apparaît le véritable projet de Grand Paris Aménagement : construire 7 000 m² de bureaux et d’hôtels au-dessus de la station de la ligne 15. Jusqu’alors, la zone UGg était réservée aux infrastructures de transport. Avec cette révision, la destruction des 2 300 m² de jardins servira non plus exclusivement au pôle multimodal, mais à construire un programme immobilier de bureaux et d’hôtels. Comme souvent, les procédures d’urbanisme sont graduelles, découpées, morcelées pour ne pas éveiller les méfiances. Les destructions sont fragmentées pour passer sous les radars et se faire en silence.
Dans son avis destiné à l'enquête publique sur la révision du PLUi, Dolorès Mijatovic du Collectif de défense des jardins ouvriers tempête : “Je suis consternée par votre volonté de détruire de nouveau 2 300 m² des jardins ouvriers des Vertus ! Je tenais à vous écrire pour vous partager mon bonheur et celui de tous les autres jardinier·es de cultiver et préserver nos jardins, mais aussi les vôtres, qui se trouvent au Fort d’Aubervilliers. Ces jardins, les jardins ouvriers des Vertus, sont un refuge pour tous les vivants, les animaux, les plantes et les humains… Ces jardins sont un puits de carbone, un refuge contre les îlots de chaleur, une bouée de sauvetage pour lutter contre le dérèglement climatique en cours. Ces jardins sont un lieu où la sociabilité et le partage se vivent au quotidien… Ces jardins sont un lieu pour notre futur, le vôtre aussi et pour celui de tous les habitants de l’ancienne plaine maraîchère des Vertus, et au-delà… Ces jardins sont un lieu de patrimoine et d’histoire pour notre département, la région… Savez-vous que la permaculture n’a rien inventé et que les jardiniers du début du siècle dernier ont inventé ici la culture sur couches chaudes, les cultures intercalaires afin de produire beaucoup sur peu de surface, en prenant grand soin de leurs légumes cultivés sur ces terres précieuses, extrêmement fertiles… Ces jardins sont aussi un lieu de lutte car nous ne vivons pas dans le même monde… Vous avez oublié que pour vivre : il faut savoir d’où nous venons, quelle est notre histoire sur cette terre, comment nous l’habitons, comment nous la partageons avec les autres vivants, comment nous la protégeons, comment nous la préservons et dans quel état nous la laisserons aux générations futures… Oui décidément, nous ne vivons pas dans le même monde… C’est d’autant plus incroyable que nous sommes ici historiquement sur des terres héritières d’une tradition de gauche, populaire, humaniste, mais vous l’avez sûrement oublié… Quel futur construisez-vous ? Votre futur bétonné n’est décidément pas le mien, ni celui de beaucoup d’autres habitants que vous méprisez… Vous continuez à foncer tête baissée dans le mur de l’effondrement climatique… Je vous rappelle que nous avons fait tomber votre PLUi antérieur sur nos jardins grâce à des arguments que vous aimeriez balayer d’un revers de main : nos jardins et la ceinture boisée du fort sont entre autres : un noyau de biodiversité primaire, un corridor écologique pour de nombreuses espèces… Alors qu’il faudrait préserver la terre, les arbres et les vivants non humains, vous choisissez de toujours plus grignoter sur les jardins, de toujours construire plus, de toujours augmenter les surfaces artificialisées… Je comprends le besoin de construire de nouveaux logements, mais comment les construire et où les construire sont des questions que vous ignorez… Partout autour de nous qui habitons ici, d’immenses blocs de béton poussent dans une démesure effrénée, partout des arbres sont coupés et des sols bétonnés… Quantité de logements neufs restent vacants, vous ne réussirez pas à nous faire croire qu’il en faut toujours plus et que c’est ce besoin absolu de logements qui vous guide. Il y a tant de friches déjà bétonnées qui pourraient être utilisées pour construire… Il y a tellement d’autres moyens de construire, de manière moins extractiviste et sans détruire notre futur et la planète, mais cela aussi vous l’ignorez… Vous préférez alimenter les lobbys du béton et de la construction irresponsable. Vous avancez à marche forcée vers un futur destructeur et non désirable… Dans les documents du PLUi vous parlez de concertation citoyenne… Mais où est-elle ? Quand avez-vous fait une concertation pour expliquer que vous vouliez de nouveau détruire 2 300 m² de jardins pour construire des bureaux et des logements ? (…) Les jardins ouvriers des Vertus doivent être protégés ! Ils ne doivent pas accueillir, entre autres, des bureaux (en excès dans toute la région !)… Comment penser à construire des bureaux alors qu’ailleurs on les transforme en logements… Ces 2 300 m², nous les avons sauvés, après négociation avec la SGP (Société du Grand Paris) de l’emprise prévue pour la zone gare. L’an dernier, devant la cour d’appel administrative de Paris, puis cette année devant le Conseil d’État, ces 2 300 m², vous les avez prétendus nécessaires pour la création d’un pôle multimodal ! Aujourd'hui, avec un cynisme terrible, ces 2 300 m² deviennent constructibles sur cette nouvelle modification du PLUi ! Décidément, vous n’avez rien compris et nous ne vivons pas dans le même monde… Choisissez de laisser ces 2 300 m² aux jardins et trouvez, imaginez, pensez d’autres solutions… Sortez et venez nous parler : nous ne sommes ni individualistes, ni égoïstes, ni éco-terroristes, ni écolo-djihadistes, ni toutes les choses horribles que vous dites de nous, jusque dans la salle du conseil communautaire de Plaine Commune… Nous sommes juste des habitant·es, des hommes et des femmes responsables, jardiniers et jardinières en très grande majorité d’Aubervilliers, de Pantin, et de quelques communes proches du territoire de Plaine Commune. Sachez que nous continuerons à être le caillou dans votre chaussure, nous ne lâcherons rien, et après nous il y aura beaucoup d’autres jardinier·es et habitant·es pour ne pas accepter cette marchandisation destructrice de notre futur.”
Citoyen·nes écarté·es
Cet avis sera-t-il entendu ? Ou bien, comme souvent, sera-t-il écarté, jeté dans les oubliettes informatiques d’un commissaire enquêteur désabusé ?
Il arrive que le commissaire enquêteur s'appuye sur l’argumentaire pour émettre un avis défavorable sur les projets de Plui, comme à Gonesse en 2017, à Clichy en 2022, à Auberviliers en 2023, à Sablassou en 2024, mais l’avis d'un commissaire enquêteur reste consultatif. Ils n'arrêtent pas les destructions.
Ces 2 300 m² de jardins sont une goutte d’eau, moins d’un demi-terrain de football, quand chaque jour — oui, chaque jour — entre 55 et 80 hectares de terres fertiles, d’espaces naturels, agricoles et forestiers sont durablement artificialisés en France, soit l’équivalent d’une centaine de terrains de football, quotidiennement.
C’est une goutte d’eau symbolique, une dizaine de jardins, mais des jardins habités de coccinelles, d’abeilles ouvrières, de libellules, de fourmis besogneuses, de papillons, de renards, de hérissons, de perruches sauvages... une dizaine de jardins cultivés par Lyli, par Gérard, par Karim, par Nadia, par Stéphane, par Fabrice, par Sandrine, par Pascal et par Samira (prénoms changés)...
C’est une goutte d’eau symbolique, la destruction supplémentaire d’une respiration nécessaire dans un quartier dense et populaire.
C’est une goutte d’eau symbolique, et un des nombreux exemples où le droit ne sert plus à protéger les citoyen·nes, où le droit n'est pas au service des citoyen·nes mais est utilisé pour les écarter et produire de l'injustice sociale et environnementale. Une goutte d’eau symbolique de la mise à l’écart systématique des citoyen·nes dans les processus de décisions sur les enjeux territoriaux. Les procédures d’urbanisme sont volontairement complexes, elles utilisent des sigles et un jargon technique incompréhensible pour la plupart des habitant·es touché·es par un aménagement urbain. Ces procédures s’appuient sur une multiplicité d’acteurs (qui, ainsi, diluent leur responsabilité) et sur des dizaines de milliers de pages de codes, de normes, de schémas directeurs et de plans d’urbanisme souvent inintelligibles et réservés aux seul·es initié·es. Tel un ésotérisme, un obscurantisme au pays des Lumières, seul·es les initié·es à l’urbanisme ont accès à l’information, à la connaissance sur l’aménagement du territoire. Et seul·es ces initié·es peuvent en tirer profit. Car en effet, les enjeux sont financiers, les profits sont démesurés pour les promoteurs, les investisseurs, fonds de pension, bailleurs, qui spéculent et tirent des rentes de ces actifs immobiliers. Là encore, 7 000 m² de bureaux représentent une goutte d’eau, mais elle est symbolique du déni de démocratie et de l’inégalité des citoyen·nes sans accès à une information juste et non technique, sans accès aux donnés du débat et aux décisions auxquels ils et elles devraient contribuer.
Le documentaire de Vincent Lapize, La Terre des Vertus, sorti le 4 juin dernier, raconte l’histoire de la lutte pour sauver ces jardins.
Le 6 juillet, de 11h à 19h les Jardins ouvrent leurs portes pour une journée festive de reprise de la lutte.

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