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Billet de blog 18 mai 2018

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Seconde vie dans le Grand-Paris : réutilisation et réemploi

Depuis le 5 mai, les français•es consomment plus que ce que notre terre peut créer dans l’année. 2,9 terres seraient nécessaires à subvenir à notre niveau de consommation national. Cette matière prélevée au-delà de la biocapacité se retrouve dans nos déchets. En Île-de-France, chaque année, 40 millions de tonnes de déchets doivent être traitées, dont 75% sont des déchets de chantier.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les concepts de prison terrestre d’Arendt ou de terre-vaisseau-spatial de Bukminster Fuller, décrivent tous deux les limites imperceptibles mais existantes d’une même sphère, celle sur laquelle nous vivons. Et notre terre présente des signes d’épuisement, après plus d’un siècle et demi d’exploitation débridée. Pourtant, avant l’émergence de la tabula rasa appliquée au bâti et du règne du déchet de la société de consommation, le réemploi et la réutilisation étaient des techniques utilisées depuis la nuit des temps. Les pierres de la Bastille ont ainsi servi à la construction du pont de la Concorde. Si le retour à une culture du déchet comme ressource n’est pas rétablie par nos volontés, la pratique risque de s’imposer sous la contrainte aux générations futures, probablement déjà nées. C’est donc en considérant la culture de la réutilisation comme un enjeu transversal de nos sociétés, passant par toutes les échelles et les classes sociales, que nous proposons de la réintroduire.

Après une courte présentation de la situation actuelle et de l’histoire récente autour des déchets, nous nous intéresserons aux travaux de deux initiatives franciliennes : Bellastock pour le réemploi en architecture et ExtraMuros sur la réutilisation du mobilier. Elles intègrent le plaisir de faire, de voir, d’échanger et de redonner à partir des déchets au lieu de les produire, encore et toujours, de manière linéaire.

La réglementation des déchets du BTP

La première loi-cadre remonte à 1975 à l’initiative du Ministère de la Qualité de Vie, et instaure le principe de « pollueur-payeur. » Il ne concerne pas le monde du BTP. En 1992, la loi Royal instaure l’obligation de valorisation et de recyclage et les décharges deviennent des Centres de Stockage des Déchets Ultimes[1] (CSDU). En 2000, une circulaire sans portée juridique demandait la mise en place d’un plan de gestion des déchets du BTP. En 2007, l’engagement n°257 du Grenelle de l’environnement portait spécifiquement sur les déchets du bâtiment avec la « mise en place d’un instrument économique pour encourager la prévention de la production de déchets du bâtiment et des travaux publics et leur recyclage. » Ce n’est qu’en 2010 que le Code de l’Environnement s’enrichie d’un article rendant obligatoire l’élaboration de plan de gestion des déchets de chantier dont la compétence revient à la Région Île-de-France et aux Conseils Généraux.

Aujourd’hui, à la lecture du site Bâtir pour la planète de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), le monde du bâtiment recycle toujours mal. Entre 40 et 50 % des déchets sont actuellement valorisés, ce qui inclue l’incinération lorsqu’elle embarque la production énergétique ou le comblement des mines de sel. Cela alors que la directive européenne « déchets » a fixé en novembre 2008 un objectif de valorisation de 70% pour l’année … 2020, c’est-à-dire demain.

Les déchets du BTP en Île-de-France, production et ingestion

L’économie francilienne mobilise 217 millions de tonnes de ressources par an. Un tiers seulement sont issues de la région, et un tiers de ce volume sera exporté. Cela signifie que 77 Millions de tonnes de matière entrent et restent en Île-de-France, et plus de la moitié de ce volume termine sous forme de déchet en une année.

De 40 millions de tonnes de déchets franciliens, 30 millions, soit 75%, proviennent de chantiers. La construction du Grand Paris Express y ajoutera 60 millions de tonnes par an jusqu’en 2030, majoritairement des déchets inertes[2], c’est-à-dire la terre extraite du creusement des tunnels. Depuis la publication en 2004 d’un plan interdépartemental de gestion des déchets du BTP à Paris et petite couronne, appliqué dans le Val d’Oise puis en Essone en 2005, mais rapidement abandonné dans les Yvelines comme en Seine-et-Marne ; le Conseil Régional a approuvé le Plan Régional de Prévention et de gestion des déchets issus des chantiers du bâtiment et des Travaux Public (PREDEC) en juin 2015[3]. Celui-ci intégrait un moratoire de 3 ans sur les extensions de site de stockage de déchets inertes en Seine-et-Marne, département dit « la poubelle de l’Île-de-France » car stockant plus de 80% des déchets régionaux. Une démarche contraignante pour les autres départements et les exploitants des sites de stockages. Et justement, à la demande du Val d’Oise, de l’Union Nationale des Exploitants du déchet (UNED) et du préfet de la région, ce plan a été annulé par le tribunal administratif de Paris en mars 2017, avec suppression rétroactive du moratoire. Un nouveau PREDEC est en cours d’élaboration pour 2020.

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Décharge de Claye-Souilly en Seine-et-Marne : 289 hectares dédiés au stockage des déchets, l’équivalent du 10ème arrondissement © fair

Décharge de Claye-Souilly en Seine-et-Marne : 289 hectares dédiés au stockage des déchets, l’équivalent du 10ème arrondissement

La loi et la réglementation ont bien du mal à assurer la mise en place de mesures efficaces, à grande échelle, dans un délai court face à des enjeux sociaux et économiques qui dépassent la problématique seule du déchet.

Le déchet le plus propre est celui qu’on ne produit pas

Dans le secteur du bâtiment, les PME représentent 80% de la production de déchets du BTP. Or, les petites entreprises valorisent 55% de leurs déchets inertes (dont la moitié est réutilisée sur d'autres chantiers) et les moyennes 45%. Ce chiffre tombe à 20% pour les entreprises de plus de 99 salariés (données 2014). Pour prévenir la production de déchet, il est aisé de comprendre que le plus gros impact passe par un travail fin auprès des concepteurs et des PME de la construction plutôt qu’auprès des entreprises de traitement des déchets ou les collecteurs qui vivent de cette manne.

La directive européenne « déchet » déjà citée spécifie en ce sens une hiérarchisation dans la gestion des déchets : en premier lieu, la prévention, cette même prévention que défend depuis 1997 l’association Zero Waste (ancien CNIID). Suivent le réemploi, le recyclage, les autres formes de valorisation (valorisation énergétique par incinération) et, enfin, en dernier recours, l'élimination dite sans danger (incinération sans valorisation énergétique ou stockage). In extenso, comme le scénario NégaWatt a su le décrire pour l’énergie : le déchet le plus propre est celui qu’on ne produit pas.

Bellastock : comment ne pas produire un déchet ?

Toute personne ayant écrit un texte scientifique vous le dira, il faut définir les termes utilisés. Le vocable « déchet » est justement décrit par le code de l’environnement comme « toute substance ou tout objet ou plus généralement, tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire. » Sur un chantier, à partir du moment où un objet est mis dans une benne, il perd ses caractéristiques spécifiques à son usage pour devenir un déchet caractérisé par sa matérialité seule. En demandant à Baptiste Furic, ancien de Bellastock, la bonne manière de ne pas produire un déchet sur un chantier, la réponse est simple : « il suffit de ne pas le mettre à la benne, » c’est le réemploi.

L’association Bellastock a été créée en 2006 par des étudiants en architecture pour expérimenter à l’échelle 1 lors de festivals d’architectures éphémères. Ces expérimentations sur la matière, les budgets réduits et le succès grandissant d’initiatives variées à travers le monde ont permis de développer une véritable expertise dans le domaine du réemploi. Depuis 2013, un partenariat avec Plaine Commune et l’ADEME a vu la naissance de l’ActLab, le « Laboratoire manifeste du réemploi » sur la ZAC du futur Ecoquartier Fluvial de L’Île-Saint-Denis. Avec pour principale source matérielle la déconstruction sélective des entrepôts du Printemps, l’objectif était des concevoir par le réemploi une partie des équipements des espaces publics de la ZAC. Par la même occasion, le site a vu naître à l’aide de matériaux réemployés un bâtiment et un hangar reliés par une passerelle métallique (prototype de passerelle accessible au public dans le futur parc de la ZAC). Ils abritent les bureaux de l’association et la base de vie pour le premier, une galerie et un espace de prototypage pour le second. Le reste du site est dédié au stockage de matériaux entrant, à une zone de prototypage, un espace de démonstration / construction (et de pique-nique) et un jardin expérimental.

Illustration 2
L’ActLab est un paysage démonstratif du réemploi © fair

Le « réemploi » lors de la construction de l’ActLab a ainsi permis aux quelques 500 tonnes de métal et 1500 tonnes de béton de ne pas passer par la case benne. Pour ce faire, il a fallu repérer, démonter, stocker, standardiser, prototyper, réaliser. Cette liste d’action permet de comprendre la bonne cohésion qui doit exister entre l’équipe des concepteurs et les entreprises, le travail des uns valorisant celui des autres. Toutes ces recherches ont été réunies au sein d’un programme piloté par Bellastock et financé par l’ADEME, programme nommé REPAR pour « Réemploi pour Passerelle entre Architecture et industrie. » Le premier rapport est rendu en mars 2014, le second en partenariat avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB)[4], en mars 2018.

REPAR #2 : le retour de la matière

Si le premier programme de recherche s’est focalisé sur le réemploi in situ avec des applications spécifiquement locales, le deuxième dissocie les ressources de leur zone de réemploi. Il s’agit de caractériser les modes de faire (tant en déconstruction qu’en mise en œuvre) et d’offrir un guide méthodologique et un catalogue technique du réemploi. L’objet est bien de construire les bases d’une mise en application à large échelle. Les matériaux qui ont été traités dans l’étude sont principalement des matériaux de gros œuvre (bétons, briques, pierre) et de charpente et menuiserie (bois de charpente, fenêtres et portes en bois). Leur potentiel a été évalué suivant divers critères et testés grandeur nature sur des chantiers.

Ainsi, des murs de béton d’une barre HLM des années 1960 peuvent, en fonction de leurs caractéristiques géométriques, physiques, mécaniques et de la densité de ferraillage, devenir des façades structurelles voiles ou en lamelles de béton empilées, se muer en mobilier urbain, être morcelés puis assemblés pour un sol en opus incertum ou en mur de soutènement, voire concassés pour devenir granulat de gabion. Toutes ces transformations ont été caractérisées pour assurer la reproductibilité, l’optimisation pour le développement de filières, l’intégration à l’analyse des cycles de vie, la valorisation socio-économique etc. Le réemploi et ses démarches affiliées ne sont en effet pas qu’une histoire de matériaux, il s’agit aussi de relations humaines. Les chantiers qui ont fait l’objet de ces démarches ont été évalués sur leur potentiel d’intégration d’emploi de réinsertion, mais aussi face à leur potentiel pédagogique auprès des habitants de quartiers en perpétuelle transformation, excédés par les nuisances de chantier. Certains retrouvaient, selon les termes du directeur de la maîtrise d’ouvrage de Seine Saint-Denis Habitat, la capacité de mémoire laissées par les traces du passé, fut-il aussi mal considéré que celui des barres de béton. En conclusion, sur une opération de rénovation urbaine au Clos Saint-Lazare à Stains (93), c’est 10€/m² d’économie sur le revêtement de sol extérieur, un bilan carbone 19% plus performant qu’avec des matériaux neufs, 32 adultes mobilisés dans le quartier dans des emplois de réinsertion et 700 personnes ayant visité le chantier, échangé avec leurs voisins et recréé du lien social.

Depuis 2017, ce travail sur le métabolisme urbain se poursuit avec un programme éponyme, toujours porté par Plaine Commune, toujours conduit par Bellastock[5], dans un travail de développement de filière locale du réemploi. Il s’agit de mettre en place sur une trentaine de sites les diagnostics ressource, la collecte lors des déconstructions, l’expertise et le stockage avant traitement qui orienteront la majorité du matériel vers le réemploi et les chutes vers le recyclage. Les volumes traités permettent d’envisager à terme la mise en place d’une réelle plateforme de valorisation des matériaux à une échelle territoriale et les outils pour lui permettre de fonctionner à large échelle. La restitution de ce travail en cours est prévue en novembre prochain.

Le réemploi d’éléments de gros œuvre présenté ici au travers du travail de Bellastock, ou de second œuvre mis en scène lors de l’exposition Matière Grise et avec le Pavillon Circulaire des architectes Encore Heureux,  font la démonstration que ces démarches vertueuses sont possibles et ne demandent que le développement de leur acceptation culturelle. Cependant le domaine de la construction n’offre probablement que peu de prises à la majorité de la population francilienne pour saisir les enjeux concrets du réemploi. Vous n’avez peut-être jamais construit ou rénové de bâtiment, mais êtes probablement assis sur une chaise ou un canapé, installé à une table ou adossé à un meuble pour lire cet article. Tournons-nous donc vers cette échelle plus petite, d’éléments légers et modulables qui s’intègrent dans nos environnements construits : le mobilier et sa matérialité. Il représente 2 millions de tonnes de déchet par an, une quantité sans commune mesure avec le monde du BTP, mais touchant cependant l’ensemble de la population de manière plus directe.

ExtraMuros : du rebut au revu

L’association ExtraMuros a été créée en 2005, à partir du travail des artistes Rosanna Del Prete et Isabelle Pujade, et leurs commandes de mobilier pour des entreprises. Mues par une approche écologique, soucieuses de sensibiliser, conscientes de l’apport de valeur que l’art permet, leur travail s’est tout de suite appuyé sur des matériaux de récupération. Sur la base de cette expertise et après leur rencontre avec Jean-François Connan, ancien ajusteur fraiseur diplômé du Master Travail et Emploi de Paris 1 et engagé pour l'insertion par l’emploi ; l’entreprise d’insertion ExtraMuros est fondée en 2008 à Gennevilliers. La création de l’entreprise n’a cependant pas dissous l’association, elles coexistent aujourd’hui pour le meilleur.

ExtraMuros L’Association organise à partir de la source trop abondante de déchets de bois que nos modes de vie génèrent, des chantiers ou des ateliers éducatifs et participatifs de création de mobilier. Elle sensibilise ainsi à la récupération par des chantiers éducatifs à destination de jeunes en ruptures scolaire et professionnelle. Encadrés pendant plusieurs semaines et rémunérés, ils et elles réalisent, principalement à destination de locaux d’associations ou d’espaces publics, des équipements collectifs menuisés. Avec peu de moyens mais des outils et un encadrement professionnels, il s’agit de considérer les êtres, de leur redonner de la dignité alors qu’eux-mêmes réhabilitent une matière destinée au rebut. L'impératif de l'utilitarisme, qui détruit les vies autant que les choses, est revu au profit d’un monde plus complexe. Ici, le réemploi réveille les consciences face à la masse d’objets que nous jetons, mais il est aussi un levier qui permet à ces personnes de redécouvrir le travail par la production de bien commun, ou de porter une action dans nos espaces publics pour en faire des lieux d’échanges et de sociabilité. C’est en ce sens que sont également mis en place par l’association des ateliers participatifs. Ces derniers visent autant à recréer du lien et de la mixité sociale qu’à redonner la capacité d’agir sur notre monde construit, cela toujours à partir de nos déchets. L’association emploie aujourd’hui 5 permanents et 2 volontaires de service civique.

Illustration 3
Le mobilier d'ExtraMuros pour les Canaux a été réalisé à partir de déchets de la ville de Paris, et 95% des déchets du chantier a été valorisé dans le projet (Moe : direction du Logement et de l'habitat de la ville de Paris) © ExtraMuros

Dans ce même état d’esprit, l’entreprise d’insertion ExtraMuros s’oriente quant à elle vers un changement radical de regard sur le déchet, lui donnant une orientation sophistiquée, voire luxueuse quoique sans simagrée. Si l’association s’attache à travailler dans des quartiers populaires, l’entreprise propose la réalisation de mobilier et d’équipements menuisés (80% du chiffre d’affaire), toujours à partir de rebuts, à destination des collectivités (Unesco, école des Gobelins, Maison de l’ESS des Canaux, etc.) et des entreprises, de toutes les entreprises, qu’elles soient petites ou grandes (Kinnarp’s, L’Oréal, Heineken, etc.). Pour cette clientèle, le réemploi s’est d’abord construit à partir de rebuts dits nobles, de bois massifs. Mais cela conduisait trop souvent à l’élimination de tous les panneaux de bois de facture médiocre (aggloméré, mélaminé). En effet, l’appétit pour l’économie pécuniaire, développé au détriment d’une frugalité écologique, a fait que ces panneaux meublent des milliers de mètres carrés de bureaux et saturent les décharges. Ces anciens meubles que le travail d’ExtraMuros remplaçaient sont, au fil du temps, devenus la matière première directe de certains de leurs projets. Les panneaux de particules, dont la colle aurait depuis leur fabrication déjà émise tous ses composants nocifs dans l’air des intérieurs, peuvent ainsi resservir au lieu de disparaître au moment même où ils ont enfin perdu leur nocivité. Ce retournement est même affirmé dans les créations, affichant les champs imparfaits mais devenus poétiques, de ces planches qui ont gardé leur planéité, leur fine mélamine. Les artisans d’ExtraMuros la font vivre aux côtés de panneaux massifs dénichés dans la décharge de Véolia, devenu partenaire du projet et mettant à disposition cette mine. Avec 5 salarié•e•s, ExtraMuros emploie 4 personnes en insertions et participe à la sensibilisation d’étudiants par le biais de stages en design comme en menuiserie. Le mobilier produit est ainsi dit « haut de gamme, » car travaillé par des professionnels qui vivent leur passion et la partage à travers un projet d’insertion professionnelle, une passerelle destinée à remettre le pied à l’étrier à une population éloignée de l’emploi.

La ville gisement

Jusqu’au XXème siècle, la friche, comme la ruine avant de devenir un objet romantique déjà loué par Diderot, représente une ressource matérielle digne d’être conservée, réutilisée, d’être partie de nouvelles constructions, de nouveaux intérieurs. Mais le paradigme de la ruine laide du XXème siècle, énoncé par Stéphane Gruet est né des constructions récentes. Celles-ci sont faites de matériaux industriels bons marchés, rapidement construites et peu entretenues, laissées en marge. Elles ont été de ce fait déconsidérées. Ainsi, lorsqu’il n’est plus utile, un bâtiment des années 1960 est aujourd’hui encore généralement démoli, et sa matière est soustraite à la vue de tous, sans autre forme de procès. Au mieux, elle est valorisée sous forme de recyclage, un retour à une matière première de second ordre, qu’elle serve de remblais pour les routes ou de matière combustible dont on tire une énergie. Au pire, elle est stockée sur des territoires transformés en secondes zones, de ce fait dévalorisés en emportant leurs habitants. En opposition à cette spirale négative, par la caractérisation des valeurs intrinsèques aux matérialités de friches récentes, le travail de Bellastock (entre autres) propose de de recréer des objets dignes d’intérêt. Déconstruire plutôt que démolir assure une meilleure considération portée aux matériaux et à leur intégrité, mais aussi aux artisans qui réalisent ce travail, aux générations précédentes qui ont bâti, et aux générations futures qui n’hériteront pas de décharges débordantes. Il s’agit de regarder d’un œil neuf ces bâtiments désaffectés, délabrés ou simplement jugés obsolètes pour permettre de leur redonner une autre vie au plus proche de la matière dont ils sont faits. Ils ne sont alors plus laids, ne seront plus repoussoirs, des notions construites par notre culture et notre histoire, pouvant être elles aussi déconstruites.

Dans son texte sur la seconde vie des choses, Guido Viale identifie la mise au rebut d’un objet comme « un manque de respect et de considération pour les valeurs des ressources de la Terre ; mais aussi pour le travail, la fatigue et l’intelligence employés » pour sa production. L’artisan en prenant soin des choses, en leur donnant potentiellement une seconde vie, peut percevoir la joie de l’habileté humaine et de sa capacité à faire advenir. Cette joie se partage et se transmet, elle est une partie du travail d’ExtraMuros qui, de manière similaire à celui de Bellastock, mais à une échelle autre, transforme notre regard sur le monde. En opposition au linéaire-dissipant qui a présidé au renouvellement urbain de la seconde moitié du XXème siècle comme au développement de l’obsolescence programmée des objets qui nous entourent, les deux exemples que nous venons de présenter participent à ce que Roberto D’Arienzo appelle le circulaire-valorisant.

 Mise à jour du 23 mai : ExtraMuros l'Association emploie 5 permanents (et non 6 comme nous l'avions écrit) et Jean-François Connan est engagé pour l'insertion par l'emploi (et non la réinsertion)

Pour aller plus loin :

Bellastock :

http://www.bellastock.com/

Restitution de REPAR #1 : http://www.bellastock.com/rd/repar-1/

Restitution de REPAR #2 : http://www.bellastock.com/rd/repar-2/

Projet de métabolisme urbain : http://www.bellastock.com/actualites/le-projet-metabolisme-urbain-de-plaine-commune-avance/

ExtraMuros :

l’entreprise : www.extramuros-paris.com

l’association : www.extramuroslassociation.com

Zero Waste :

https://www.zerowastefrance.org/fr

Negawatt :

https://www.negawatt.org/

Quelques textes

Stéphane Gruet dans Encore Heureux (Julien Choppin et Nicola Delon), « Matière Grise ; Matériaux, réemploi, architecture »Catalogue de l’exposition éponyme, Pavillon de l’Arsenal, 2014

Guido Viale et Roberto D’Arienzo dans Roberto D’Arienzo, Chris Younès (dir.), « Recycler l’Urbain ; pour une écologie des milieux habités, » MétisPress, coll. Vues d’ensemble Essais, 2014

Zéro Waste France, « Le scénario Zero Waste [zéro déchet, zéro gaspillage], » éd. rue de L'échiquier, 2014

La terre vaisseau spatial est à lire dans Bukminster Fuller, “Operating Manual For Spaceship Earth” et la prison terrestre est décrite par Anna Arendt, « La condition de l’homme moderne »

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Rapport jour de dépassement 2018 par WWF : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2018-05/180504_Rapport_Jour_du_depassement_France.pdf

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Déchets du bâtiment :

ADEME : guide RRR Réemploi, Réparation, Réutilisation : http://multimedia.ademe.fr/catalogues/guide_reemploi_reparation_reutilisation/

http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2668/856/entreprises-btp-2275-millions-tonnes-dechets-2014.html

Le gisement de déchets du BTP s’est élevé à 227,5Mt en 2014, dont 42,2Mt pour le Bâtiment.

La répartition de ces 42,2Mt entre les 3 catégories de déchets est la suivante :

-déchets inertes : 31,5 Mt

-déchets non dangereux : 9,7Mt

-déchets dangereux :1,1Mt

« Avec 13,2 millions de tonnes produits, les déchets non inertes non dangereux représentent 6 % de la production totale de déchets des établissements du BTP en 2014, mais Seuls 12 % d’entre eux sont réutilisés ou recyclés dès leur sortie de chantier. La moitié du tonnage de ce type de déchets est remise à un collecteur. »

Dans le secteur du bâtiment, les établissements de moins de 20 salariés valorisent (installations de recyclage, carrières) ou réutilisent sur d'autres chantiers 55 % de leurs déchets inertes. Il est plus difficile d'apprécier la destination des déchets produits par les grands établissements (plus de 100 salariés) car ceux-ci ont majoritairement recours à un collecteur, à qui ils remettent 59 % de leurs déchets inertes en sortie de chantier.

La majorité du second œuvre est gérée par de petites entreprises (entre 0 et 19 salariés : 9.8Mt sur 11.2) tandis qu’en gros œuvre ce sont les petites et moyennes entreprises (jusqu’à 99 salariés) qui gèrent respectivement 12.1 et 13.7Mt sur 31Mt de déchets.

Lois et réglementations

2007 : engagement n° 257 du Grenelle de l’environnement (c’était en 2007) d’étudier la « mise en place d’un instrument économique pour encourager la prévention de la production de déchets du bâtiment et des travaux publics et leur recyclage »

Directive européenne « déchets » 19 nov. 2008 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019818802

2015 LOI n°2015-992 du 17 août 2015 - art. 93 : « A compter du 1er janvier 2017, tout distributeur de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels s'organise, en lien avec les pouvoirs publics et les collectivités compétentes, pour reprendre, sur ses sites de distribution ou à proximité de ceux-ci, les déchets issus des mêmes types de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels, qu'il vend. Un décret précise les modalités d'application du présent article, notamment la surface de l'unité de distribution à partir de laquelle les distributeurs sont concernés par cette disposition. » https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000031052684&cidTexte=LEGITEXT000006074220

La prévention a bien décroché la première place dans la hiérarchie européenne. Cependant, le principe de la « responsabilité élargie des producteurs (REP) » qui vise justement à traiter en amont de toute production le traitement de ses déchets, ne s’applique toujours pas au secteur du bâtiment alors qu’il s’applique par exemple aux déchets « issus de bateaux de plaisance ou de sport » (dernier né). C’est ce que dénonce le rapport Vernier remis le 14 mars dernier à Nicolas Hulot et Bruno le Maire, qui note que si la reprise gratuite des véhicules est assurée, celle des déchets du bâtiment reste payante. Celle-ci est cependant obligatoire depuis le 1er janvier 2017 et la mise en application de la loi sur la croissance verte, incitant la création de décharges sauvages.

https://www.actu-environnement.com/ae/news/professionnels-batiment-opposes-projet-rep-dechets-31046.php4

Définitions du code de l’environnement Article L541-1-1 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000023248306&cidTexte=LEGITEXT000006074220

En Ile-de-France, le PREDEC adopté en juin 2015 : https://www.iledefrance.fr/sites/default/files/predec_adopte_en_juin_2015.pdf

Le monde de la construction et de la transformation de notre environnement porte une responsabilité importante au sein de l’empreinte écologique globale de la consommation. Il impacte en effet majoritairement 3 catégories d’empreintes sur 6 répertoriées: « espaces bâtis » avec l’urbanisation, « carbone » avec la production de matière et matériaux pour la construction mais également la production d’énergie pour l’exploitation et « produits forestiers » pour le chauffage et les produits dérivés du bois.

Présentation de la région sur les déchets en idf : https://www.iledefrance.fr/fil-actus-region/entrez-ronde-economie-circulaire

[1] L’expression déchets ultimes désigne les déchets non valorisables ou recyclables au sein d’un modèle économique pérenne ou à coût maîtrisé.

[2] Les déchets sont effet répartis en 3 catégories : les déchets inertes, les déchets non dangereux et les déchets dangereux.

[3] L’année de référence du plan est 2010, tandis que ses années de prospectives sont 2020 et 2026.

[4] Le programme REPAR a réuni les contributions de maître d’ouvrage (Seine Saint Denis Habitat), maître d’œuvre (Encore Heureux), Bureaux de contrôle (BTP Consultant), des centres ou laboratoire de recherche (CREIDD, LERM) et autres entreprises (Doyère démolition),

[5] Le programme Métabolisme urbain est porté par Plaine Commune, constitué d’un groupement dont Bellastock est mandataire. Font partie de ce groupement Albert et Compagnie, Auxilia, Encore Heureux, Recovering, le CSTB, Phares, Halage et BTP consultant.

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