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Billet de blog 22 décembre 2023

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Un Grand Paris sans béton ni bitume

À la suite des actions menées par les Soulèvement de la Terre il y a quelques jours, la Métropole du Grand Paris décide d’interdire béton et bitume sur son territoire dès 2024. Fiction ou réalité anticipée ? Ce conte de Noël à l’ère de l’anthropocène explore les alternatives pour remplacer ces matériaux d’un autre siècle.

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(Fiction de Noël)

Janvier 2024, malgré un intense lobbying des fabricants et majors du BTP, à la surprise générale, le Conseil de la Métropole du Grand Paris interdit toute utilisation du béton et du bitume sur son territoire.

Cette décision inattendue interpelle les citoyens et les administrations. Elle stupéfie les professionnels du BTP qui se disent sacrifiés sur l’autel de l’écologie et menacent de blocages et de représailles. En bourse, les actions Lafarges, Unibéton, Vinci, Bouygues et autres majors ont vu leur valeur chuter. Les partis écologistes saluent cette décision et se disent soulagés par la fermeture d’une parenthèse caractéristique de l'anthropocène dans la longue histoire du territoire parisien. Cette parenthèse de 100 ans de bétonisation a détruit une part importante des terres agricoles et naturelles, de la flore et de la faune endémique à l'Île-de-France. Pollution visuelle: les élus métropolitains avaient été choqués par les murs et les épais pylônes de béton de la future ligne 18 qui lacèrent le paysage de Salcay entre Palaiseau et le CEA de Saint-Aubin[1].

Le Conseil du Grand Paris dresse un portrait très critique des matériaux bitume et béton. Il explique cette décision, en premier lieu, par les effets des 59 centrales présentes au sein de la Métropole: la pollution, les poussières et les particules fines, le bruit pour les riverains, le danger des camions, les maladies des poumons et les cancers à proximité de ces installations. Situées en bordure des rivières, des canaux franciliens et de la Seine, les centrales à béton sont aussi responsables de la pollution de l’eau. En 2020, une vidéo montrait les rejets de béton coulant dans le fleuve devant la centrale Lafarge de Bercy[2].

Encore plus polluant que le béton, le bitume contient des dizaines de composés cancérogènes avérés. Les fumées du bitume affectent gravement les ouvriers des chantiers. De plus, l’ensemble de la population est exposé aux poussières émises par les freinages ou par l’action des rayonnements solaires. Les produits toxiques entrainés par la pluie peuvent aussi polluer les sols et les cours d’eau environnants.

L’utilisation du goudron était par ailleurs un exemple d’obsolescence dans l’aménagement urbain. Les routes et les trottoirs sont continuellement soumis aux travaux. Ils sont ouverts en tranchées pour passer les réseaux souterrains. Le revêtement des routes était devenu jetable, et remplaçable sans prise en compte des impacts environnementaux.

Aussi, cette décision permet d’emblée une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre de la Métropole, 8% pour l’arrêt du béton et 11% pour la fin du bitume. Les procédés de fabrication de ces matériaux sont fortement consommateurs d’énergie fossile et le Plan Climat Air Énergie Métropolitain voté en 2018 vise la neutralité carbone pour 2050. Aucun pas aussi important n’avait été franchi dans ce sens depuis 5 ans.

En outre, ces deux matériaux étaient totalement inadaptés au climat annoncé pour 2050, béton et bitume aggravant fortement les effets de l'îlot de chaleur urbain. Pour les élus interrogés, il était temps de voir disparaître ces matériaux de nos villes.

Au-delà de la pollution, dans une Métropole qui a été gravement touchée par de nombreux actes terroristes, il était impossible de continuer à soutenir le cimentier Lafarge-Holcim. Ce groupe est en effet inculpé en France pour « complicité de crimes contre l’humanité » après avoir versé en 2013 et 2014, plusieurs millions d’euros à des groupes terroristes, dont Daesh, afin de maintenir l’activité d’une cimenterie à Jalabiya en Syrie. Aux Etats-Unis, le cimentier avait reconnu ce soutien au terrorisme en plaidant coupable, il avait été condamné à une amende de 778 millions de dollars en 2022.

Pour les spécialistes, cette décision n’est donc pas une surprise. Mediapart avait montré en 2021[3], que la Métropole était en surcapacité de production de béton, les besoins étaient déjà bien inférieurs au niveau de production atteignable, et des centrales allaient fermer. “Il faut prendre la cartographie des centrales à l’échelle métropolitaine, regarder lesquelles vont sauter” annonçait déjà Célia Blauel, alors adjointe à la mairie de Paris en charge de la Seine.

Cela n’est pas mentionné par le Conseil, mais il est possible aussi que cette décision soit liée à la récente campagne des Soulèvements de la Terre contre le « monde du béton »[4]. Une quarantaine d’actions en France, en Belgique et en Suisse furent lancées début décembre 2023 : blocages, intrusions, banderoles, peintures, manifestations… Une carte des actions revendiquées par les Soulèvements de la Terre est en ligne ici :

Les alternatives au béton et au bitume sont déjà là

Le Conseil métropolitain a exprimé sa volonté de faire de son territoire, pour 2024, le champion de l’écoresponsabilité, sans affichage ni greenwashing. A l’opposé des futurs Jeux Olympiques qui, après avoir fait couler beaucoup de béton et avant même leur ouverture, sombrent dans l’impopularité et la désuétude.

Le Conseil ajoute à cette décision un plan ambitieux de rénovation pour les bâtiments, les quartiers et les friches. Il souligne vouloir réduire les besoins de constructions neuves et réutiliser autant que possible les bâtiments et les terrains déjà artificialisés. Il y a, pour le Conseil, une véritable nécessité de reconstruire la ville sur elle-même pour stopper le grignotage des territoires agricoles franciliens et ne plus artificialiser ou imperméabiliser de sites nouveaux. Limiter la taille de la Métropole constitue aussi une économie en infrastructures, cela maintient des distances raisonnables entre les équipements, les services, les bassins d’emploi existants. Ce plan de rénovation permettra de renforcer les centralités en rééquilibrant et en réduisant les besoins de déplacements (pour le travail mais aussi pour les autres activités), en privilégiant la proximité et les déplacements de courtes distances en transport en commun, à pied, à vélo. Ce plan veut conforter les tissus urbains “constitués” non par du renouvellement urbain façon ANRU, mais via une “densification douce” du bâti existant. Le plan recherche en priorité à résoudre les problèmes de logements insalubres et veut favoriser les rénovations énergétiques... Il propose ainsi de transformer les bureaux en logements, de détourner les bâtiments industriels en atelier, en commerces, en coworking via des transformations en fonction des potentialités des constructions existantes à rénover, à adapter par greffes, additions, extensions, surélévations, vérandas, jardins d’hiver, en construction légère, et, bien sûr, sans béton.

Les densifications douces auront pour effet d’augmenter la densité de la population selon les typologies d’habitats et les capacités des quartiers. Les quartiers de logements pavillonnaires pourraient ainsi progressivement se densifier par des surélévations légères, des découpages de logement trop grands, des extensions, etc. A la manière des propositions du mouvement Bimby (« Build in my backyard », Construire dans mon jardin) qui vise à mettre en place une filière courte de production de logement, sans promoteurs, à l’initiative des habitants. En mixant logements et activités, bureaux ou atelier, Bimby peut aussi se décliner en Wimby (« Work in my backyard », Travailler dans mon jardin). Cette stratégie de densification douce se base sur des données connues : la maison individuelle représente 80 % des surfaces de l’Île-de-France dédiées à l’habitat, en ce sens, les ensembles pavillonnaires constituent un immense gisement foncier : « un potentiel de 140 millions de mètres carrés, soit 2 millions de logements de 70 m²» selon les inventeurs de la démarche[5].

Pour réaliser ce plan de rénovation et de densification douce, il existe déjà de nombreuses alternatives au béton et au bitume : fondation par pieux en bois ou en métal, constructions en terre, en bois, en paille, en pierre de taille, etc.

Terre et paille sont des ressources abondantes en Île-de-France et des filières professionnelles se mettent en place. La terre extraite des chantiers depuis 20 ans dans la Métropole est aujourd’hui utilisée par CycleTerre à Sevran pour produire des briques de terre crue. A Allonnes, la briqueterie Dewulf existe depuis plus de 100 ans. Un Collectif Terre Crue Francilien s’est constitué en 2021…La paille est abondante en Île-de-France, la région produit 10% des céréales françaises. La filière paille est déjà bien structurée et portée par le Collect'IF paille. Selon ce collectif, avec seulement 5% de la production annuelle francilienne de paille, 500 groupes scolaires de 5 000m² pourraient être isolés thermiquement.

Le Conseil dit aussi vouloir structurer une filière de bois local. Près d’un quart de l'Île-de-France est boisé. Les coupes de bois d'éclaircie, les prélèvements de bois issu de l’entretien et de la gestion durable des forêts, constituent une ressource abondante pour la construction. Aujourd’hui, les chênes franciliens partent directement en Chine pour être transformés en parquet ou en meubles qui seront revendus ensuite en Europe[6]. Le Conseil souhaite remplacer les cimenteries par des scieries et des ateliers de transformation locale du bois. Cette nouvelle filière Bois constituerait une ressource précieuse et des emplois beaucoup plus sains que ceux du monde du béton.

Autre alternative bien connue, les pavés remplaceront avantageusement le bitume. A l’image des rues anciennes, mais aussi des rues de Berlin, d’Amsterdam, de Copenhague, ils constituent une trame à la fois stable et souple, manipulable, mis en œuvre facilement, démontables et repositionnables, durables à l’opposé du bitume.

Pour les futures lignes de métro automatique, les élus ont d’emblée demandé à la Société du Grand Paris, de revoir ses plans pour plus de sobriété, d’en finir avec les gares “cathédrales” et de trouver des alternatives pour terminer les dernières lignes de métro sans l’usage du béton. « Il y a plus de 100 ans les premières lignes de métro étaient construites sans béton et elles sont encore là... », rappellent-ils.

Si le postulat de ce texte est hautement illusoire (rêve de Noël), nous n’avons nul besoin d’attendre une utopique décision politique pour en finir avec les matériaux jumeaux de l'anthropocène, toutes les alternatives citées sont bien là. Architectes, ingénieurs et artisans sont de plus en plus nombreux à fuir l’utilisation de ces matériaux polluants. A Rosny-sous-Bois des écoles sont construites en paille porteuse. A Lyon un immeuble de bureaux en R+2 a été réalisé en pisé (terre crue) porteur. Le secteur de la construction bois progresse de 5 à 10% par an depuis quelques années. Il revient donc encore une fois aux citoyennes et aux citoyens d’agir, de lutter contre l’utilisation de ce matériau, et de fermer définitivement la parenthèse de la bétonisation du territoire.

[1] Nina Guérineau de Lamérie et NnoMan Cadoret (photographies), Grand Paris : à Saclay, ils disent non au béton et à la répression, Reporterre, 15 mai 2023

https://reporterre.net/Grand-Paris-a-Saclay-ils-disent-non-au-beton-et-a-la-repression

 [2] Justin Morin, EXCLUSIF - En plein Paris, Lafarge déverse du béton dans la Seine, Europe 1, le 01 septembre 2020 https://www.europe1.fr/societe/exclusif-en-plein-paris-lafarge-deverse-du-beton-dans-la-seine-3988865

[3] Jade Lindgaard, Le Grand Paris croule sous le béton, Mediapart, 26 juin 2021 https://www.mediapart.fr/journal/france/260621/le-grand-paris-croule-sous-le-beton

[4] Rémi Barroux  et Audrey Sommazi, Les Soulèvements de la Terre visent le « monde du béton » par des dizaines d’actions, Le Monde, 12 décembre 2023 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/12/les-soulevements-de-la-terre-visent-le-monde-du-beton-par-des-dizaines-d-actions_6205378_3244.html

[5] Construire au fond du jardin DIXIT, 5 Novembre 2019 https://www.dixit.net/bimby/

[6] France Culture, La fuite du chêne français en Chine 13 juillet 2021.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/la-fuite-du-chene-francais-en-chine-1650257

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