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Billet de blog 28 juillet 2023

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Écouter la colère des quartiers populaires

Un mois après les révoltes des quartiers populaires, après les réactions haineuses et l’incompréhension, alors que la volonté du gouvernement est d’accélérer la reconstruction, nous essayons ici de répondre à ceux qui considèrent les gamins de banlieue comme des « hordes sauvages » et interrogeons la politique de la ville des 20 dernières années.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a un mois, le 27 juin, les quartiers populaires s’enflammaient après le meurtre de Nahel, tué par un policier à Nanterre. Une vidéo montrant le contrôle routier et le tir mortel fut l’étincelle de l'explosion de colère. De nombreux jeunes s’identifièrent à Nahel dans leurs rapports conflictuels avec la police et dans les injustices qu’ils vivent régulièrement. Comme en 2005, suite à la mort de deux adolescents de 15 et 17 ans à Clichy-sous-Bois, ou en 2007, suite à la mort de deux adolescents de 15 et 16 ans à Villiers-le-Bel, de nombreux véhicules, commerces et équipements publics furent détruits. Les émeutes durèrent une semaine, contre trois semaines en 2005 et deux semaines en 2007.

Beaucoup a déjà été dit et écrit sur ce sujet, Mediapart y a consacré un dossier complet de 68 articles[1]. Cependant, l’incompréhension semble dominer. Comme à chaque soulèvement des banlieues, resurgissent le racisme et les solutions réactionnaires toutes faites : la fermeté, l’ordre, l’autorité des parents… Certains considèrent les gamins de banlieue comme des “enfants gâtés”, d’autres comme des “nuisibles”, des “hordes sauvages”, des “Français comment ?”. En mai dernier, Emmanuel Macron parlait de "processus de décivilisation", expression empruntée à un titre de l’essayiste haineux Renaud Camus.

Répéter « L’ordre, l’ordre, l’ordre » ne suffira pas à le faire émerger. Le chaos est beaucoup plus profond et les jeunes des quartiers populaires n’en sont pas la source. Cherchons donc à comprendre, à tracer quelques pistes pour connaître un peu plus les ressorts de cette colère. Dans ce blog “Réparer le Grand Paris", nous essayons depuis 2017 de poser les diagnostics et d’esquisser des solutions pour la métropole parisienne et notamment pour ses quartiers populaires, mais cette fois, la politique urbaine, l’architecture et l’urbanisme semblent bien impuissants. Ce billet n’est donc qu’un mémorandum, un rappel de quelques faits et réformes des politiques libérales des vingt dernières années qui ne sont probablement pas étrangères à l’embrasement des quartiers populaires de juin 2023.

La politique urbaine, l’architecture et l’urbanisme sont impuissants ici, pourtant, Emmanuel Macron, au lendemain des émeutes, déclamait sa volonté de “reconstruire beaucoup plus vite”. Le 4 juillet, il promettait une loi d’urgence pour accélérer la reconstruction. Celle-ci a été définitivement adoptée par le Parlement le 20 juillet. Elle permet de largement déroger au code de l’urbanisme et au code de la commande publique, aubaine pour le BTP et les promoteurs.

Selon le témoignage de nombreux jeunes, “casser” était pour eux le seul moyen d’être écouté, d’être entendu. L'écrivain, réalisateur Mehdi Lallaoui le rappelait dans Médiapart : " [les jeunes] nous disent que ce qu’il se passe, c’est de l’autodéfense, parce qu’ils n’ont droit ni aux médias, ni à la représentation politique, ni à l’écoute, ni au respect."[2]

La volonté du gouvernement d’accélérer la reconstruction reviendrait alors à effacer leur parole, à refuser à nouveau de les écouter, à effacer les traces, effacer leurs cris de colère, les réduisant à nouveau dans un silence qui sera peut-être plus explosif la prochaine fois.

Beaucoup a été fait pour les quartiers

Le 5 juillet à l'Élysée, Jean-François Copé déclarait que la République avait déjà fait beaucoup pour les quartiers[3]. Bruno Le Maire tenait le même discours la veille devant une vingtaine de commerçants et d’élus à Arpajon (91) : "Je ne crois absolument pas qu’un nouveau plan banlieues soit la solution. Beaucoup a été fait pour ces quartiers (…) en termes d’emplois, d’attractivité, de soutien social"[4]. Beaucoup a-t-il déjà été fait ? Nous avons le sentiment du contraire.

Si beaucoup d’argent a été investi dans les territoires périphériques aux métropoles, ce fut souvent au profit des géants du BTP, du béton, des cimentiers et des promoteurs immobiliers. Les programmes de l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) représentent 12 milliards d’euros, investis pour démolir des logements, déplacer des populations, reconstruire et vendre les meilleurs terrains aux promoteurs privés.

Les supers métros du grand Paris express vont coûter 42 milliards d’euros, mais ceux-ci ne profitent pas aux habitants des quartiers. Selon plusieurs architectes renommés[5], ce coût aurait pu être réduit tout en desservant plus de quartiers. Mais il était préférable pour les majors du BTP de mettre la main sur les milliards et de construire des infrastructures lourdes uniquement en tunnel avec un investissement plus massif.

Les Jeux olympiques de 2024 bénéficie d'un budget de 4,4 milliards d'euros, là aussi cet argent n'est pas utilisé pour améliorer l’éducation, la santé, la qualité de vie dans ces quartiers. Au contraire, les quartiers populaires sont les premiers exposés aux travaux, à la pollution, au bruit et aux embouteillages liés au chantier. Ils subissent aussi la montée des prix de l’immobilier, la densification et l’embourgeoisement des quartiers.

En avril 2018, Jean-Louis Borloo dénonçait dans Le Monde “La grande mystification. La vérité, c’est qu’aucun plan n’a jamais été mis en place. Et moins on en a fait en matière de politique de la ville, plus on a annoncé de dispositifs, de chiffres et de politiques prioritaires. On a remplacé les moyens publics par les annonces publiques. Résultat, dans les quartiers, il y a moins de services publics, moins de crèches, moins d’équipements sportifs, moins de capacités financières des communes (30 % de moins), moins d’accès à la culture, moins de policiers, des professeurs et des agents de police plus jeunes, qui coûtent donc moins cher… C’est un scandale absolu.” [6]

Non, beaucoup n’a pas été fait pour les banlieues. Le taux de chômage y est de 18% en moyenne aujourd’hui (contre 7% en moyenne en France). Dans certains quartiers, 50% de la population est sans travail. Le sentiment d’injustice, d’inégalité, de discrimination et de sous-citoyenneté n’y a jamais été aussi présent.

De la suppression de la police de proximité au rappel à l'ordre par l'ONU

Il est facile d’opposer de manière binaire, police et population fragile des quartiers populaires. Les habitants des quartiers sont néanmoins les premiers demandeurs de sécurité. Le maire de Grigny, Philippe Rio, rappelait les manques de moyens de la justice et de la police : “Tout le monde sait que nos policiers sont les moins bien formés d’Europe.”[7]. La police a été dépassée pendant les émeutes, elle se dit maintenant “fatiguée physiquement et moralement", mais le sujet est plus politique. La police hérite de 20 ans de politique délétère, la conduisant vers une fonction unique de répression.

En 2003, le ministre Sarkozy supprimait la police de proximité, après l’avoir discréditée dans un commissariat de Bellefontaine : “La police n’est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants, vous n’êtes pas des travailleurs sociaux.”

En 2007, le futur président Sarkozy voulait nettoyer les quartiers au kärcher. Il est en réalité responsable d’une baisse de près de 10 000 postes dans les effectifs de police entre 2007 et 2012.

Pendant les confinements de 2020 et 2021, les jeunes issus de quartiers populaires furent particulièrement visés par les “amendes Covid”, pour déplacement sans attestation, violation du couvre-feu, non-port du masque… Certains affichent encore aujourd’hui des milliers d’euros de dettes et parlent d’acharnement. Fin mars 2022, la Ligue des droits de l’homme (LDH) a saisi la Défenseure des droits pour dénoncer des “verbalisations ciblées sur certains jeunes de quartiers populaires”[8].

En 2017, la loi dite “sécurité publique” a permis l’usage des armes contre les refus d’obtempérer : “Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules (...) dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui”. Depuis début 2022, quinze personnes ont été tuées en France pour refus d’obtempérer, dont Fadjigui K., 25 ans, Boubacar K., 31 ans, Rayana, 21 ans, Omar E., 35 ans, Amine L., 23 ans, Jean-Paul B., 33 ans, Inès H., 18 ans, Zyed B., 24 ans, Amine B., 32 ans, Alhoussein C., 19 ans…[9]

Début mai 2023, l’Organisation des Nations unies (ONU) blâmait la France pour les discriminations raciales et les violences policières. Le 30 juin, lors des émeutes, l’ONU réitérait ses critiques et demandait au pays de “se pencher sérieusement sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein de ses forces de l'ordre.”[10]

Six ans de politique libérale et inégalitaire

Non, beaucoup n’a pas été fait pour les quartiers populaires. Fin 2017, alors qu’il décidait de supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour un coût total évalué à 1,5 milliard d'euros, le jeune président Macron s’attaquait aux politiques de redistribution. En quelques mois, ses premières réformes affaiblissaient les plus faibles : réduction des APL, réformes de la pénibilité, suppression des contrats aidés, coupes dans le budget de la politique de la ville, etc. 

En juillet 2017, il annonçait la réduction de 5 euros des aides personnelles au logement (APL) pour une économie prévue de 390 millions d'euros par an. Ces aides bénéficient à 6,5 millions de ménages, dont 800 000 étudiants.

Il opérait également fin 2017 une coupe budgétaire dans la politique de la ville de 46,5 millions d’euros, soit plus de 11 % du budget total. Cette réduction frappait les dispositifs d’accompagnement des associations et des centres sociaux œuvrant pour la culture, le sport, les aides à la formation et au retour à l’emploi, l’éducation, la prévention de la délinquance. Elle concernait 435 contrats de ville, couvrant 1 514 quartiers parmi les plus pauvres, où vivent 5,5 millions d’habitants… [11]

Entre 2017 et 2018, il supprimait 250 000 contrats aidés dont bénéficiaient de nombreuses associations souvent en charge de l'animation des quartiers et de l'insertion des jeunes dans la société.[12]

Fin 2017, toujours, le gouvernement remplaçait le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) par le Compte professionnel de prévention (C2P). Sans se contenter de supprimer le mot « pénibilité », il réformait son financement et retirait quatre facteurs de risques : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Nombre de déménageurs, ouvriers du bâtiment ou coiffeurs furent ainsi exclus du dispositif. Lors de sa campagne de 2017, Emmanuel Macron déclarait devant le patronat, “je n’aime pas le terme de pénibilité, donc je le supprimerai.”[13]

En avril 2018, Jean-Louis Borloo, chargé par Emmanuel Macron de mener une mission sur les quartiers prioritaires remettait son rapport. Celui-ci était le fruit d’une réflexion et d’un travail menés durant plusieurs mois avec les élu·es et les associations de terrain mobilisés au sein du collectif “Territoire gagnants”. Fin mai 2018, le président récusait le rapport, l’approche sociale de Jean-Louis Borloo ne répondait pas à ses aspirations libérales. Il déclarait : “Quelque part, ça n’aurait aucun sens que deux mâles blancs, ne vivant pas dans ces quartiers, s’échangent l’un un rapport et l’autre disant, “on m’a remis un plan, je l’ai découvert”. C’est pas vrai, ça ne marche plus comme ça.” 

Il n’est sans doute pas utile de lister toutes les réformes, les réductions budgétaires, les cadeaux aux entreprises et aux plus riches qui aggravèrent les injustices et les inégalités sociales depuis cette année 2017, déjà chargée. Dernièrement, la réforme des retraites allongeant de 62 à 64 ans l'âge légal de départ pénalise aussi les classes les plus populaires, notamment les employé·es et ouvrier·es ayant commencé à travailler tôt qui devront travailler plus longtemps. Les cadres, celles et ceux ayant réalisé des études plus longues et ne pouvant pas cotiser 43 ans, continuent de bénéficier d’un départ à taux plein (sans décote) à 67 ans.

Il reste beaucoup à faire pour les quartiers populaires…

Il reste beaucoup à faire pour les quartiers populaires, et la première chose serait d’écouter, d’entendre et de chercher à comprendre. Le sujet est sans doute plus complexe, il ne peut se résumer en quelques lignes. Beaucoup de problèmes, d’idées, de questions, de contradictions pourraient être ajoutés ici.

Les problèmes des quartiers populaires ne se résoudront pas par des discours opportunistes sur l’ordre, par la stigmatisation des parents ou la volonté d’ignorer les inégalités, par la volonté d’ignorance plutôt que d'éducation.

Après le remaniement ministériel, le nouveau gouvernement vient de scinder le ministère de la Ville et celui du Logement. La nouvelle secrétaire d’État chargée de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, est sous la tutelle non seulement de la Transition écologique mais aussi sous celle de l’Intérieur[14]. Après la politique libérale, est-ce là le signe d’un avenir plus sécuritaire pour ces quartiers, un avenir plus violent, avec plus de surveillance, de police, de répression, de discrimination et de ségrégation ?

La division et l'exclusion ne sont pas des facteurs propices à l’ordre et à la stabilité, au contraire… 

Illustration 1
Voiture en flamme à Strasbourg © Francois Schnell (CC)

[1] Mediapart, Dossier Après la mort de Nahel, la révolte des quartiers populaires https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/apres-la-mort-de-nahel-la-revolte-des-quartiers-populaires

[2] Mediapart, « La mort de Nahel, c’est l’étincelle » : les raisons de la colère https://www.mediapart.fr/journal/france/290623/la-mort-de-nahel-c-est-l-etincelle-les-raisons-de-la-colere

[3] Le Monde, Emeutes urbaines : devant des maires inquiets, Emmanuel Macron esquisse des pistes pour l’après.
https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/05/emeutes-urbaines-devant-les-maires-de-france-emmanuel-macron-esquisse-des-pistes-pour-l-apres_6180561_823448.html

[4] Le Monde, Émeutes urbaines : dans l’Essonne, Bruno Le Maire plaide pour « la fermeté » plutôt que pour « un nouveau plan banlieues »
https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/04/emeutes-urbaines-dans-l-essonne-bruno-le-maire-plaide-pour-la-fermete-plutot-que-pour-un-nouveau-plan-banlieues_6180545_823448.html

[5] L’express, Grand Paris: les architectes contre-attaquent https://www.lexpress.fr/societe/region/grand-paris-les-architectes-contre-attaquent_938115.html

[6] Le monde 26 avril 2018, Banlieues à l’abandon : Jean-Louis Borloo dénonce un « scandale absolu »

https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/04/26/banlieues-a-l-abandon-jean-louis-borloo-denonce-un-scandale-absolu_5290955_823448.html  

[7] Libération, Violences, Mort de Nahel : pour Philippe Rio, maire de Grigny, «il faut stopper l’hémorragie»

https://www.liberation.fr/societe/mort-de-nahel-pour-philippe-rio-maire-de-grigny-il-faut-stopper-lhemorragie-20230701_O4H7FLA5K5E6PIVZKMHZ4R3DFM/

[8] Libération, Couvre-feu, Amendes abusives: pendant le confinement, «un acharnement» dans les quartiers populaires

https://www.liberation.fr/societe/amendes-abusives-pendant-le-confinement-un-acharnement-dans-les-quartiers-populaires-20220701_AIO2IVNXHJHTVPH4KRI3XDWGVI/

[9] Le Monde, Quinze personnes ont été tuées en France après des refus d’obtempérer depuis début 2022 : où en sont les enquêtes ?

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/05/quinze-morts-apres-des-refus-d-obtemperer-depuis-2022-ou-en-sont-les-enquetes_6180636_4355770.html

[10] La Libre Belgique, Décès de Nahel: la France doit se pencher sur les profonds problèmes de racisme parmi les forces de l'ordre affirme l'ONU

https://www.lalibre.be/international/europe/2023/06/30/deces-de-nahel-la-france-doit-se-pencher-sur-les-profonds-problemes-de-racisme-parmi-les-forces-de-lordre-affirme-lonu-LVVC54KQZ5DQLG5NSBMS4P3I6M/

[11] Le Monde, Le budget de la politique de la ville n’échappera pas aux coupes
https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/07/29/le-budget-de-la-politique-de-la-ville-n-echappera-pas-aux-coupes-budgetaires_5166361_3224.html

[12] Marianne, Réforme des contrats aidés : une "mise à mort" des associations et des communes rurales https://www.marianne.net/societe/reforme-des-contrats-aides-une-mise-mort-des-associations-et-des-communes-rurales

[13] Libération, «Pénibilité», le mot de trop pour l’Elysée https://www.liberation.fr/france/2017/07/11/penibilite-le-mot-de-trop-pour-l-elysee_1583220/

[14] La Gazette des Communes Politique de la ville : vers un virage sécuritaire ? https://www.lagazettedescommunes.com/879998/politique-de-la-ville-vers-un-virage-securitaire/

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