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Billet de blog 31 mai 2024

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Dystopie olympique d’une métropole

Il y a un mois, l’association marseillaise Clean My Calanque annonçait refuser de participer au relais de la flamme olympique sponsorisée par « l’une des entreprises les plus polluantes du monde ». Si, à quelques mois de Paris 2024, les 15 000 athlètes emboîtaient le pas de Clean My Calanque et déclaraient forfait collectivement ?

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29 avril 2024, l’association marseillaise Clean My Calanque annonçait refuser de participer au relais de la flamme olympique sponsorisée par “l’une des entreprises les plus polluantes du monde”[1]. Si, à quelques mois de Paris 2024, les 15 000 athlètes emboîtaient le pas de Clean My Calanque et déclaraient forfait collectivement ? Si les 45 000 bénévoles attendus abandonnaient l’idée de servir gratuitement le programme olympique en justifiant leur démission avec les mots de Clean My Calanque : “En fait, on ne se sentait pas trop en accord avec ça.” Après la vague de grande démission et celle des démissions silencieuses (Quiet quitting), les démissions olympiques ?

Certes, ce tableau est irréaliste, utopique pour certain·es, dystopique pour celles et ceux que la fiction olympique aurait endormi, aveuglé ou ravi. Littéralement, l’utopie est sans lieu, le mot signifie étymologiquement “non lieu” “(qui n'est) en aucun lieu“, du grec ancien “tópos” (lieu), avec le préfixe “ou-” (non); la dystopie, c’est le mauvais lieu, le mauvais endroit, le préfixe “dys-” signifiant “mauvais”. Paris, métropole surpeuplée, la plus visitée au monde, la plus chère et la plus attractive du pays, est-elle le bon endroit pour organiser des Jeux olympiques et paralympiques ? L'événement a besoin d’un lieu, or en 2017, Paris fut officiellement choisi, car c’était la seule ville candidate après le retrait de Los Angeles qui avait obtenu les Jeux de 2028 et après l’abandon de toutes les autres villes candidates. Certaines villes s’étaient retirées pour des raisons de démocratie locale et de rejet populaire comme Hambourg ou Budapest, d’autres grâce à la clairvoyance de leurs édiles comme Rome ou Boston, refusant d’aménager et de bétonner leur ville pour un événement de 15 jours[2]. En 2017, Paris ne consulte pas sa population et c’est même un des arguments en faveur de sa candidature. Mauvais endroit, tout ressemble à une dystopie pour ce Paris Olympique, un conte qui tourne au cauchemar, une sombre illusion du pouvoir[3].  

Imaginons une Organisation privée basée à Lausanne en Suisse, créée il y a 130 ans par un aristocrate français. Organisation opaque, ses responsables sont choisis par cooptation et ne représentent aucun des pays dont ils sont ressortissants. En 130 ans, elle a collaboré avec les plus grandes dictatures, l’Allemagne nazie, la Russie soviétique, et celle de Vladimir Poutine, le régime totalitaire Chinois… Cette Organisation est régulièrement compromise dans les scandales de corruption, elle est principalement financée par un géant planétaire de l’agrochimie, symbole du surpoids, de la malbouffe, de l’aspartame, du déséquilibre alimentaire et de la pollution au plastique (Coca-Cola). L'Organisation suisse vend à la France, sans appel d’offres ni mise en concurrence (elle détient un monopole), un Programme sportif de 15 jours pour 11,8 milliards d’euros. Le pays est très endetté, il doit faire des économies. Les déficits publics ont atteint 5,5 % du PIB en 2023, la dette dépasse les 3 100 milliards d'euros, soit 110,6% du PIB. La ville de Paris a elle aussi une dette de 8,8 milliards qui atteindra 9,9 milliards en 2025. Mais peu importe, le Programme vendu par l'Organisation est cher, mais exceptionnel, “l’argent magique” fait son retour. Si une partie des dépenses du Programme sont des investissements pour des équipements qui resteront (un "héritage" selon l'Organisation), une autre partie du budget finance des installations temporaires, provisoires, installées pour les deux semaines de cet événement fabriqué. Ainsi des centaines de millions d’euros sont gaspillés pour le Programme : En 2017, la constitution du dossier de candidature avait coûté 60 millions d’euros; les deux bassins temporaires installés à La Défense Arena coûtent 26 millions d’euros; les aménagements provisoires du centre aquatique de Saint Denis représentent 4 millions d’euros[4] (les écrans de résultats, les structures logistiques, la plate-forme pour les juges et la déco aux couleurs du Programme); 166 millions d’euros sont dépensés pour la cérémonie d’ouverture; le salaire annuel du président du comité d'organisation du Programme est de 286.000 euros (hors primes) ceux des 13 directeurs de 153 000 euros bruts, et les huit directeur exécutifs plus de 200 000 euros. Le montant de la masse salariale des organisateurs est de 584 millions d’euros depuis 2017… Selon les économistes du cabinet Asterès, le budget global du Programme est de 11,8 milliards d'euros, dont 5,2 milliards engagé par l'État et les collectivités[5]. La Ville de Paris y consacre en 2024 un budget de 120,5 millions d’euros.  Le budget global comprend le budget officiel du Programme de 8,8 milliards d'euros, près de la moitié est compensé par les sponsors, les droits de retransmission et la billetterie. Cette source de financement “privée” couvre les frais d’organisation. En revanche, le budget prévu pour la construction des ouvrages du Programme est en grande partie à la charge de l’État et des collectivités, tout comme les dépenses consacrées à la sécurité, à la santé, aux transports, aux espaces publics, à l’entretien, etc. L’étude de février dernier du cabinet Asterès estimait l’ensemble des dépenses publiques supplémentaires à 3 milliards d’euros.

L’argent magique a des limites, le gouvernement vise 16 milliards d’euros d’économie cette année 2024. Pour renflouer les caisses, il propose une nouvelle réforme de l’assurance chômage, la troisième depuis 2019. Selon le Gouvernement, elle permettrait de réaliser 3,6 milliards d’euros d’économie[6]. Il prévoit aussi 1,6 milliard en moins pour l'éducation nationale et les universités[7] et 1,4 milliard de moins pour la transition écologique[8]

Dans un entretien récent à RMC-BFM, Emmanuel Macron avançait que le Programme serait “rentable” [9] alors que la plupart des spécialistes du sujet reconnaissent que les retombées économiques sont souvent aléatoires. Ainsi, l’économiste Sylvain Bersinger indiquait dans le Monde : “L’événement n’a pas d’influence notable sur la croissance des pays hôtes, ni l’année précédente, du fait des dépenses de construction, ni les années suivantes, du fait de l’amélioration de l’image du pays qui entraînerait une attractivité accrue”[10]. Le même journal se faisait l’écho de la déception des hôteliers dont le taux de réservation n’augmente plus et les tarifs baissent : Le Programme “ayant un effet d’éviction pour les clientèles estivales traditionnelles” [11] Le journal Libération faisait le même constat avec la plateforme de location Airbnb : “Pour l’immobilier, un ruissellement au compte-gouttes”[12]. La rentabilité annoncée par le Président ne concernait peut-être pas uniquement les retombées économiques, mais l’espoir de briller politiquement. Cela peut paraître puéril, mais le jeune Président est totalement pris par le rêve vendu par l’Organisation Suisse. La France était classée 8e au précédent Programme de 2021, la volonté présidentielle d’être “au moins 5e” cette année. Depuis 3 ans, il a mis en place une véritable stratégie managériale pour parvenir à ce résultat. La devise du Programme: "Plus vite, plus haut, plus fort" pourrait même paraître faiblarde au regard du discours qu’il tenait en 2021 devant les médaillés de retour du Programme de Tokyo : “Les résultats sont là, mais des progrès restent possibles. Le bilan global n'est pas tout à fait au niveau que nous attendions.” affirmait-il sur le ton d’un manager de supermarché. Il continuait son discours en annonçant la mise en place de moyens exceptionnels pour Paris 2024 : “ l'évaluation et l'accompagnement des cellules hautes performances de chaque fédération” ; ou encore “Concentrer les moyens là où on a de la potentialité et là où on veut avoir du résultat.”; se félicitant de “la belle idée du pacte de performance “ et de la mise en place de “dispositif de "cordées du sport ", inspiré des " cordées de la réussite”. Bref, son objectif était de : “D'abord, concentrer nos efforts sur les profils et disciplines à fort potentiel pour éviter de disperser les crédits sur une cible trop large et donner plus de leviers aux meilleurs.” Ce discours idéologique de capitaine d’industrie utilisait 20 fois le mot “performance”, “réussir” ou “réussite” 8 fois, “effort” 6 fois… La dystopie semble apparaître dans cette volonté de rayonner par le sport-business du Programme, ou par son “capitalisme de fête”, croyance aveugle et démesurée d’attractivité et de croissance. Au nom de la performance et de la rentabilité, les meilleurs athlètes sont sélectionnés, on écarte les autres, les moins compétitifs, les moins bons, les mauvais. La rentabilité dans sa forme industrielle à une tendance à la simplification à l’extrême pour capter la valeur. Si l’extractivisme est aussi dans le sport, la compétition et la sélection se font à toutes les échelles, à celles du territoire, des humains, des animaux, des plantes et de toutes les ressources. Le système tend à la spécialisation, il investit “là où on a de la potentialité” à tous les niveaux, depuis la concentration territoriale (zoning, métropole, quartier et bâtiment monofonctionnel), agricole (monoculture), le travail monotâche, le sport de haut niveau.. et il rejette tout ce qui n’est pas jugé rentable ou productif, toute complexité, toute mixité.

Pour le Programme de deux semaines, le pays entre dans un État d’exception. L'Organisation privée suisse dicte au pays un régime rigoureux de règles et de régulations en faveur de son Programme et de ses sponsors privés. Le pays fait voter des lois d’exception pour faciliter la tenue du Programme et son organisation (Lois du 26 mars 2018 et du 19 mai 2023). L'Organisation favorise aussi les “partenariats” public-privé largement déséquilibrés : le secteur public paie et assume les plus gros risques, le secteur privé s’accapare des bénéfices du Programme. Pendant les 6 années de préparations, le Programme profite de la mise au pas de l’administration pour lancer d’ambitieuses opérations immobilières. Dans une des métropoles les plus denses du monde, la plus visitée au monde et une des plus chères, le marketing urbain, financé par la puissance publique, profite largement au secteur immobilier privé. Il embourgeoise certains quartiers et fait monter les prix, accélère la bulle immobilière et écarte les plus pauvres toujours plus loin.

Au nom de ce Programme, les règles d’urbanisme sont modifiées pour permettre la destruction d’espaces verts protégés et celle de jardins ouvriers pour y construire des équipements (en réalité inutiles au Programme initial). Les ambitions des promoteurs immobiliers sur le parc Georges Valbon sont bien antérieures à l'événement, mais le Programme permet de lever tous les verrous, de supprimer la protection du parc sur 27 ha à Dugny pour y construire un “village des médias”. Seulement 900 logements seront prêts au moment du Programme, 600 logements supplémentaires seront construits ensuite, sur ce même morceau de parc détruit pour l'occasion, mais après le Programme[13].

À Aubervilliers, le projet de piscine d'entraînement a permis de déloger les jardinier·es des jardins ouvriers, non pour la piscine elle-même, mais pour une aire de bronzage attenante à la piscine sur 4 000m². Dans son prolongement, l’aménageur prévoyait la construction d’immeubles de bureaux, d’hôtels et de logements. Au total, 10 000m² de jardins ouvriers étaient menacés de destruction. 

Le Programme de 15 jours a aussi rendu possible la construction d’un échangeur autoroutier à quelques mètres de l’école maternelle et élémentaire du quartier Pleyel à Saint-Denis, venant polluer durablement la cour d’école de ce quartier populaire.

Le Programme pollue et génère des rejets, des déchets et du CO2. Rassurons-nous, dans une novlangue Orwellienne les organisateurs indiquent que les déchets seront verts et le plastique recyclé. Les 15 000 lits des athlètes en carton ont été éco-conçus. (Ces 15 000 lits auraient pu être plus solides et donnés à des associations caritatives d'hébergement pour être réutilisés, mais cela n’est pas prévu par le Programme). Ce Programme est annoncé comme « le plus durable de l’histoire ». Il sera faible en émission de gaz à effet de serre avec le rejet de seulement 1,58 million de tonnes équivalent CO2. Les organisateurs du Programme ne fournissent aucune donnée ou base de calcul de ces chiffres[14].[15] La flamme qui symbolise le Programme depuis 1936, traverse le pays accompagnée d’un cortège de 40 voitures, soit l’équivalent de 4 tonnes de CO2 par jour[16]. Elle se rendra en avion dans les territoires ultramarins : Guyane, Réunion, Polynésie française… Au total, en comprenant les déplacements des spectateurs, le bilan carbone de ce symbole serait de 63 200 tonnes d'équivalent CO2[17].

Si les dirigeants du Programme sont extrêmement bien payés, certaines tâches peu valorisantes seront assurées gratuitement par des bénévoles. En effet, le Programme exclut de rémunérer des emplois souvent à plein temps, pour environ 45 000 personnes “volontaires” pendant deux semaines : chauffeurs, statisticiens, agents d’accueil du public, gestionnaires d’équipement, de zones de stockage, traitements des demandes d’accréditation… En d’autres temps, cela aurait été qualifié de “travail dissimulé”.

Le Programme exceptionnel justifie aussi la sécurisation et la prise de contrôle de l’espace public. Il prévoit la militarisation des rues, avec 30 000 policiers, policières et gendarmes mobilisés, 15 000 militaires en renfort et 22 000 agents de sécurité privée. La sécurisation passe aussi par la mise en place de caméras de surveillance et de drones avec algorithmes de surveillance. Les images collectées seront traitées par une “intelligence artificielle” (mais sans reconnaissance faciale). Grâce à la loi de 2023, cette sécurisation sera même étendue jusqu’en mars 2025, soit 6 mois après la fin du Programme. La police a aussi mis en place un “fichage” XXL pour contrôler, outre les 320 000 spectateurs de la cérémonie d’ouverture, plus de 200 000 personnes de plus de 13 ans dont 20 000 riverains pour donner l’accès aux rues jouxtant les sites du Programme et les 12 km de berges de la Seine pendant 8 jours[18]. Au nom de cette sécurité, tous les contestataires du Programme pourront être facilement écartés et criminalisés.

Le Programme permet aussi de mettre à l’écart les pauvres. À Atlanta, en 1996, 30 000 familles pauvres, majoritairement africaines-américaines, avaient été déplacées ; de même, en 1988, à Séoul, plus de 700 000 personnes ou à Pékin, en 2008, avec plus d’un million de personnes délogées[19]. À Paris, ce “nettoyage social” est en marche. Au-delà de la fermeture de places d’hébergement de sans-abris, en avril 2023, les 400 personnes du squat Unibéton sur l’Île-Saint-Denis sont évacués. Dans son ouvrage, Jade Lindgaard donne la parole à ces personnes déplacées[20]. Ils sont plus de 4 000 en Île-de-France selon le collectif Le revers de la médaille[21], notamment dans le démantèlement de squats et foyers de travailleurs migrants. Les squats de l’avenue Jean-Jaurès, à l’Île-Saint-Denis, où vivaient 200 personnes, dont une quarantaine d’enfants, a été expulsés le 12 avril dernier. À Vitry-sur-Seine, le 17 avril, 450 personnes ont été déplacées vers des “sas” d’hébergement régionaux. On déplace à des centaines de kilomètres des familles pauvres, mais dont les enfants sont scolarisés et certaines personnes travaillent. Par ailleurs, plus de 3 200 logements étudiants ont été réquisitionnés pour le Programme. Ne pourrait-on pas parler de sélection sociale, d’exclusion ou de broyage social ? De la même manière que l’industrie de la poule pondeuse écartait et broyait 50 millions de poussins mâles après leur éclosion (et maintenant avant leur éclosion). Le Programme mesure-t-il les conséquences du broyage social ? Ne serait-il pas responsable du repli sur soi, des colères, des haines, des violences, de la montée des extrêmes accentuée par la polarisation des réseaux sociaux ?

À plus grande échelle, la sélection sociale est faite par ce que Médiapart a appelé “la fête du fric”[22]. Le Programme se voulait “populaire”, “inclusif” et “accessible” mais les prix des billets donnant accès au Programme sont prohibitifs. Ce sont ces billets qui financent les hauts salaires des responsables du Programme. De même, l’ensemble des prix vont flamber durant les deux semaines du Programme, les tickets de métro vont passer à 4 euros, le prix des hôtels a été multiplié par 4,3.

Dans cet état d'exception, nous sommes chaque jour un peu plus endormis par la petite narration bien orchestrée de la propagande du Programme ; Tel un mythe ou une croyance, il nous faut adhérer au Programme. Tous les médias, les télévisions et radios publiques, les institutions culturelles, diffusent chaque jour des informations sur les “non” événements du Programme, là une exposition, une inauguration ici, une flamme qui passe par là… Une dizaine d’expositions en rapport avec le Programme sont organisées dans les musées parisiens. Dans les écoles, les enfants apprennent la danse officielle du Programme…

Le Programme vendu par l’Organisation Suisse est globalement accepté par la population, car il a l’avantage de divertir : il est festif, spectaculaire. La technique n’est pas nouvelle, le spectacle, selon Guy Debord, est le stade achevé du capitalisme ( Société du spectacle, 1967). Bien que plus complexe et précise, sa description du spectacle présente quelques similitudes avec le Programme dystopique comme “appareil de propagande imposé aux sens et à la conscience de tous, via une sphère de manifestations audio-visuelles, bureaucratiques, politiques et économiques, toutes solidaires les unes des autres.” Bien avant Debord, Juvénal critiquait la passivité du peuple romain rendu docile par “des jeux et du pain”  (Panem et circenses). Plus récemment, Noam Chomsky considèrait qu'abrutir le peuple par du “divertissement“ est un des moyens de propagande qui a le double-intérêt : d’une part, il détourne “l’attention du peuple vers les choses superficielles de la vie telles que la consommation à la mode” et, d’autre part, il le prive de temps de pensée, de culture ou de réflexion sur les problèmes de démocratie. Il y pensera de moins en moins, car le divertissement le rend bête[23]. De même, Jules Boykoff a construit une critique directe du Programme comme “Celebration Capitalism” ou Capitalisme de fête, sur le modèle du Capitalisme de crise (Disaster Capitalism) de Naomi Klein. Le capitalisme de fête est une forme de capitalisme qui profite au secteur privé, fait payer le public en court-circuitant le processus démocratique[24]

Force est de constater que ce Programme Olympique génère peu d'enthousiasme et peinent à mobiliser les Françaises et les Français. Les milliards dépensés le sont pour une minorité et l’esprit de compétition, de performance est caricatural du “monde d’avant”. Les villes sont des représentations des sociétés qui les construisent, des volontés sociales, écologiques, idéologiques qui sont à l'œuvre. La ville rêvée par les promoteurs des Jeux Olympiques, fondée sur la croissance et l’idéologie du profit financier, permet de transformer des quartiers sans concertation, à coup de milliard en dérogeant au droit, pour une événement de 15 jours. Elle est placée sous un réseau sécuritaire très sophistiqué de drones d’algorithmes de surveillance. Elle s’autorise à détruire des parcs et des jardins ouvriers, à implanter des bretelles autoroutières à quelques mètres d’une école maternelle… Cet héritage olympique montre qu’avec de la volonté et des milliards, en bâillonnant le peuple et en l’aveuglant, il est simple de transformer la métropole parisienne. La transformation du Grand Paris n’a pas attendu le Programme des JO, mais l’organisation du spectacle sportif est prétexte à l’accélération de la transformation urbaine. La notion d’héritage fait aussi partie de l’aveuglement, même sans Jeux Olympiques, la ville a hérité des projets de Paris 2012 : la ZAC des Batignolles dans le 17e arrondissement de Paris devait recevoir le village des athlètes. Ce territoire a été transformé par les promoteurs sans les milliards olympiques, il accueille aujourd’hui 7 500 habitants et 12 700 emplois.

Le manque d’enthousiasme pour les JO montre peut-être qu’une prise de conscience est déjà à l’œuvre. Les livres critiques des JO se sont multipliés depuis “Halte aux Jeux !” de Albert Jacquard (2004), “2024 - les jeux olympiques n'ont pas eu lieu” de Marc Perelman (2021), “Paris 2024, Il va y avoir du sport” le dossier du Canard Enchaîné (2023), la carte des saccages et les innombrables textes des collectifs Non au Saccage 2024 et Vigilance 2024, “Paris 2024: Une ville face à la violence olympique”, de Jade Lindgaard (2024), le manuel “Défaites vos Jeux !” du collectif Liseron (2024) ou encore “Le calvaire sécuritaire: Comment les Jeux olympiques vont bouleverser (durablement) le quotidien des Français” de Antoine Boitel (2024), sans oublier les dizaines d’article du dossier de Médiapart “Paris 2024 : les Jeux olympiques sous enquêtes[25]” ou encore le tout premier billet de ce blog “JO 2024 : Paris partagé” (2017). Ce dernier interrogeait déjà la stratégie de marketing territorial et le phénomène JO dans la métropolisation en cours.

Face à l’exclusion et à la montée des haines, des collectifs s’organisent pour accueillir et aider les personnes réfugiées, comme les 80 associations de solidarité du Collectif le Revers de la Médaille. Pour lutter contre la mise à l'écart d'une partie de la population, la concurrence et la compétition entre individus, des associations solidaires militent et agissent concrètement pour soutenir les plus précaires, leur porter de l’attention, du soin et de l’alimentation, comme les Brigade de Solidarité Populaire ou le Laboratoire écologique ødéchet. Des collectifs résistent à l’imbécilisation de la société par la publicité et à l’endormissement généralisé des consciences, comme le RAP (Résistance à l'agression publicitaire). Face à la destruction généralisée du vivant, des terres, de l’eau, de la biodiversité, le PEPS (Pour une Ecologie Populaire Sociale), les Soulèvements de la Terre et bien d’autres sont entrés en lutte. Ces collectifs sont nombreux, mal connus et mal aimés du pouvoir politique, ils sont embryonnaires, mais indispensables dans le contexte écologique et social actuel. Leurs militantes et militants entrouvrent de nouveaux pans de la conscience humaine. Iels portent la véritable flamme venue de Grèce antique, allumée par Antigone, passée par l’esprit des Lumières, de la Révolution, de la Commune de Paris, transmise par Thoreau, par le programme du Conseil national de la Résistance, “Les Jours heureux”, par Michel Foucault et bien d’autres dans leur capacité à douter de certaines vérités, à douter de ce qui est véritablement juste, à s’indigner et à entrer en résistance contre la privatisation et la destruction des biens communs, contre les injustices, l’exclusion, les inégalités et l’ensemble des travers sombres de l’humanité. 

[1] JO 2024 : à Marseille, l’association Clean my Calanques refuse de porter la flamme olympique pour des raisons écologiques, Le Monde 29 avril 2024 https://www.lemonde.fr/climat/article/2024/04/29/a-marseille-l-association-clean-my-calanques-refuse-de-porter-la-flamme-olympique-pour-des-raisons-ecologiques_6230632_1652612.html

[2] Jade Lindgaard, Paris 2024 – Une ville face à la violence olympique, Éditions Divergences, 2024 - Chapitre 2 Olympolitique.

[3] Ce texte a pour origine la table ronde “Les JO 2024, une dystopie du Grand Paris” organisée par Les Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) et L’Institut Momentum le 2 mai 2024 avec Jade Lindgaard, Alice Le Roy et Ivan Fouquet. https://www.academieduclimat.paris/evenements/les-jo-2024-une-dystopie-du-grand-paris/

[4] Nicolas Lepeltier, Paris 2024 : le centre aquatique olympique, une piscine XXL pour la Seine-Saint-Denis, Le Monde, 4 Avril 2024, https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/04/04/paris-2024-le-centre-aquatique-olympique-une-piscine-xxl-pour-la-seine-saint-denis_6225915_3242.html

[5] Jérôme Latta, Les Jeux olympiques de Paris coûteront-ils moins cher que les précédents ? Alternative économique, 7 mars 2024, https://www.alternatives-economiques.fr/jeux-olympiques-de-paris-couteront-cher-precedents/00109983#:~:text=Pr%C3%A8s%20de%2012%20milliards%2C%20ce,donn%C3%A9es%20de%20Wladimir%20Andreff3.

[6] Réforme de l’assurance-chômage : le gouvernement mise sur 3,6 milliards d’euros d’économies et la création de 90 000 emplois, Le Monde, 22 mai 2024, https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/05/22/reforme-de-l-assurance-chomage-le-gouvernement-mise-sur-3-6-milliards-d-euros-d-economies-et-la-creation-de-90-000-emplois_6234832_3234.html

[7]Olivier Chartrain, 1,6 milliard en moins pour l'éducation nationale et l'université : ce que ce sacrifice nous coûtera, l’Humanité, 22 février 2024, https://www.humanite.fr/societe/austerite/16-milliard-en-moins-pour-leducation-nationale-et-luniversite-ce-que-ce-sacrifice-nous-coutera

[8] Le gouvernement prévoit de retirer un nouveau milliard d’euros à la transition écologique, Reporterre, 13 mai 2024. https://reporterre.net/Le-gouvernement-prevoit-de-retirer-un-nouveau-milliard-d-euros-a-la-transition-ecologique

[9] “ces investissements (..) vont être rentables parce qu'ils vont être pérennisés. Ce seront des logements, des bureaux, des infrastructures de sport. Ils ont généré de l'activité et rien que ces 2 milliards, ils ont généré plus de 6 milliards d'activités, c'est-à-dire qu'on a fait travailler 2 000 entreprises. On a créé de l'emploi.” https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/04/15/j-100-paris-2024-interview-du-president-emmanuel-macron-sur-rmc-et-bfmtv

[10] Béatrice Madeline, Paris 2024 : les retombées économiques incertaines des Jeux olympiques, Le Monde, 10 janvier 2024.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/01/10/paris-2024-les-retombees-economiques-incertaines-des-jeux-olympiques_6210031_3234.html

[11] Jessica Gourdon, Paris 2024 : l’été ne s’annonce pas si mirobolant pour les hôteliers dans la capitale, Le Monde, 09 avril 2024

https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/04/09/paris-2024-l-ete-ne-s-annonce-pas-si-mirobolant-pour-les-hoteliers-dans-la-capitale_6226881_3234.html

[12] Eve Szeftel, Airbnb et les JO  : pour l’immobilier, un ruissellement au compte-gouttes, Libération, 11avril 2024. https://www.liberation.fr/societe/ville/airbnb-et-les-jo-pour-limmobilier-un-ruissellement-au-compte-gouttes-20240411_KR6Z5FJZ5VC4PNUGRUOTACMCIE/

[13] Claire Guédon, Paris 2024 : en Seine-Saint-Denis, le village des médias sera en partie construit… après les JO, Le Parisien, 13 octobre 2020. https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/paris-2024-en-seine-saint-denis-le-village-des-medias-sera-en-partie-construit-apres-les-jo-13-10-2020-8401704.php

[14] JO Paris 2024 : l'ambition de réduire l'empreinte carbone des Jeux Olympiques est-elle réalisable ? Geo, 20 juillet 2023. https://www.geo.fr/environnement/jo-paris-2024-lambition-de-reduire-lempreinte-carbone-des-jeux-olympiques-est-elle-realisable-215802

[15] Ce chiffre est probablement sous-évalué, il correspondrait à ce que peuvent émettre 20 millions de terriens en 15 jours en restant neutres en carbone à l’échelle planétaire (soit un prorata de 2 tonnes par an par habitant ramené à 15 jours).

[16] Julie DURAND Flamme olympique en Finistère : le cortège de 40 voitures émettra 4 tonnes de CO2 (au moins), Ouest France, 3 mai 2024.

https://www.ouest-france.fr/jeux-olympiques/flamme-olympique-en-finistere-le-cortege-de-40-voitures-emettra-4-tonnes-de-co2-au-moins-6bbd379a-089d-11ef-9b61-fca6986e7514

[17] Renaud Février, Paris 2024 : quel est le bilan carbone du parcours de la flamme olympique ? le Nouvel Obs, 10 mai 2024. https://www.nouvelobs.com/sport/20240510.OBS88202/paris-2024-quel-est-le-bilan-carbone-du-parcours-de-la-flamme-olympique.html#:~:text=Une%20goute%20d'eau%20dans%20l'empreinte%20carbone%20globale&text=Un%20chiffre%20qu'il%20faudra,tonnes%20d'%C3%A9quivalent%20CO2.

[18] Canard enchaîné du 24 avril 2024

[19] Faïza Zerouala, Jeux olympiques : Paris aussi veut « cacher les pauvres », Mediapart, 18 février 2024 https://www.mediapart.fr/journal/france/180224/jeux-olympiques-paris-aussi-veut-cacher-les-pauvres

[20] Jade Lindgaard, Paris 2024 - Une ville face à la violence olympique, éditions divergences, 2024

[21] Paris 2024 : des associations dénoncent un « nettoyage social » en Ile-de-France en amont des Jeux olympiques, Le Monde, 30 octobre 2023, https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/10/30/paris-2024-des-associations-denoncent-un-nettoyage-social-en-ile-de-france-en-amont-des-jeux-olympiques_6197229_3242.html

[22] Mathias Thépot, Paris 2024 : la fête du fric, Mediapart, 5 décembre 2023, https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/051223/paris-2024-la-fete-du-fric

[23] Nous pourrions aussi citer Philippe Muray qui dénonçait, mais avec plus d’immobilisme, la mutation vers le ludique de l’Occident mondialisé, “festivisation” qui s'opère avec la complicité des médias. Dans Après l'histoire (1999), il invente une figure emblématique pour décrire le citoyen jovialiste, digne représentant de cette époque : l’Homo festivus.

[24] Jules Boykoff, LES JEUX OLYMPIQUES, LE CAPITALISME DE FÊTE ET LA RÉPONSE DES ACTIVISTES (traduction d’une conférence donnée en 2019) https://saccage2024.noblogs.org/files/2021/07/boykoff-v5.pdf

[25] https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/paris-2024-les-jeux-olympiques-sous-enquetes

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