SEBASTIEN BOUSSOIS
Chercheur enseignant en relations internationales, Géopolitique, Relations euro-arabes, Terrorisme et radicalisation, Pays du Golfe
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Billet de blog 2 juil. 2018

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Ce qui rapproche... et sépare surtout l'Iran et le Qatar

Le Qatar et l'Iran partagent certes le plus grand champ gazier du monde mais sont différents par bien des aspects et ne partagent en rien une vision commune de l'avenir de la région.

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C'est la concrétisation d'une véritable logique de blocs qui est à l'oeuvre depuis le 5 juin 2017au sein de la région qui travaille à isoler les partisans de l'arc chiite depuis plusieurs années, avec à sa tête l’Iran. Ryad rêvait depuis longtemps d'isoler Doha. Une façon de contenir certes la pression du Qatar mais surtout de l’accuser de soutenir l'Iran avec qui il partage le plus grand gisement gazier du monde.

C’est bien une histoire de rivalité régionale qui date de la révolution islamique en Iran en 1979 dont il est question ici. D'une crise régionale, c’est devenu une crise internationale au cœur de laquelle se trouve l’Iran.

Le Qatar s’est retrouvé plongé au cœur de cette tension à cause de ses rivalités historiques avec Ryad et Abu Dhabi. Les membres d'une des organisations politiques les plus intégrées du monde, le CCG (Conseil de coopération du Golfe), se déchirent et font de facto le jeu de l’Iran qui se délecte de ces dissensions inédites au sein du monde sunnite.  Quoi qu’il en soit, considérer qu’Iran et Qatar sont de vrais frères est une erreur monumentale car rien ne les rapproche en matière de politique étrangère. Ce qui est sûr, c’est que cela arrange bien l’Arabie Saoudite.

Le plus grand champ de gaz du monde comme point commun

C’est un atout unique au monde. Deux pays qui se partagent le plus grand champ gazier du monde. Ce gisement qu’on appelle North Dome chez les Qataris et North Pars pour les Iraniens est à cheval entre les deux espaces maritimes. Près de 40% du champ gazier du Qatar est situé sous les eaux maritimes iraniennes. Le Qatar produit ainsi 77 millions de tonnes par an de gaz qu’il exporte tout en voulant modérer sa production afin de pouvoir s’assurer des moyens énergétiques pendant un siècle. En moins de trente ans, Doha est devenu le premier exportateur de gaz naturel liquéfié de la planète avec près de 30% du marché mondial. Au nom de cette manne, ces deux pays n’ont donc strictement aucun intérêt à se confronter.

Les relations politiques et diplomatiques entre l’Iran et le Qatar

D’un point de vue diplomatique, la priorité du CCG était avant tout d’assurer la sécurité de la région et des pays du Golfe. L’Iran n’en faisant pas partie, et devenant une menace, on pourrait comprendre l’unité de tous ses membres contre le dangereux voisin. Or, c’est au sein même de l’unité, souvent de façade comme dans tous les pays arabes, que la rupture s’est faite.

En 2010, l’ancien président iranien Ahmadinejad et le Premier ministre Qatari Bin Jasim Al Thani avaient défendu l’idée de renforcer en priorité la sécurité régionale. Cela passait par une accentuation de la coopération militaire et navale pour le contrôle des eaux territoriales et de nombreuses réunions eurent lieu entre les plus hauts dignitaires des deux pays ces dix dernières années.

En juin 2011, l’accord de sécurité entre les deux pays est signé et prévoit un renforcement de la protection des frontières, la lutte contre le crime organisé, la drogue et le trafic d’humains.  Tout cela sert les intérêts des deux pays. Mais ce qui les divise, c’est bien la politique de la région.

Les dissensions profondes en termes de politique étrangère entre Doha et Téhéran

L’Iran et le Qatar sont deux pays chiites mais cela ne les rapproche pas pour autant idéologiquement et politiquement parlant. Qu’est ce qui sépare Doha et Téhéran aujourd’hui ? Plus leurs amis que leurs ennemis réels. Pour Olivier Da Lage, journaliste à RFI et spécialiste des pays du Golfe : « Le Qatar a de bonnes relations mais pas chaleureuses avec l’Iran. Ils ont des relations courtoises, ce qui est loin de signifier un alignement. Les Qataris ne l’accepteraient de toute façon pas ! L’ancien Emir avait théorisé l’idée d’avoir de bonnes relations avec tout le monde, comme ce qu’avait fait le sultanat d’Oman. »[1] 

Mais cela n’empêche pas les larges disparités politiques voire leurs positionnements contradictoires notamment depuis les Printemps arabes. Ainsi, le cas syrien en est le meilleur exemple et le plus irréconciliable. Alors que l’Iran a largement et par tradition soutenu le régime de Bachar al Assad en Syrie, le Qatar, lui, a rapidement soutenu et armé les opposants et les djihadistes.

Concernant le Hamas, Téhéran et Doha tiennent une même position, même si en 2012, les choses ont évolué. Le mouvement islamiste a rompu officiellement en 2012 avec Bachar Al Assad en apportant son soutien à la contestation populaire et les bureaux de l’organisation ont été transférés de Damas au Caire après le refus d’un soutien public au dictateur syrien. L’Iran continuait toutefois à soutenir le mouvement islamiste contre Israël, jusqu’à accueillir une délégation en juin 2017 à Téhéran. Malgré une poursuite du financement d’infrastructures, surtout à destination de la population de Gaza, le Qatar a commencé à prendre ses distances avec le mouvement de Khaled Mechaal en expulsant certains de ses membres sous la pression internationale le 7 juin 2017.

Sur les autres théâtres de conflit, certes le Qatar a soutenu Mohamed Morsi et les frères musulmans au moment de la révolution égyptienne alors que les relations sont rompues entre Egypte et Iran depuis 1980 et que Téhéran y a vu le nouveau pouvoir comme un espoir : « Les relations diplomatiques sont rompues depuis 1980, dans le sillage de la Révolution islamique iranienne en février 1979, la conclusion en mars de la même année du traité de paix égypto-israélien et l’exil en Egypte en 1980 du chah d’Iran déchu, Mohamed Reza Pahlavi, dont l’extradition était demandée par les nouvelles autorités iraniennes d’alors. » précisait un article paru dans Al Ahram Hebdo[2] .

Equilibre turc

Enfin, l’Iran voit d’un mauvais œil le rapprochement effectif entre le Qatar et la Turquie. Pourtant, quels sont les deux grands qui ont aidé Doha immédiatement après la mise en place du blocus ? L’Iran par un pont aérien de vivres et la Turquie par le vote d’une loi autorisant l’envoi de soldats pour défendre le petit émirat en cas d’invasion saoudienne.

En réalité, les relations des deux pays se sont renforcées dès 2014. Le Qatar a dès décembre 2014 conclu un accord de défense stratégique avec Ankara avec l’installation d’une base militaire permanente turque sur le sol qatari et le déploiement à terme d’un contingent pouvant atteindre 5 000 soldats.

En conclusion, pour Thierry Kellner, professeur de relations internationales à l’ULB (Université Libre de Bruxelles), la relation Iran - Qatar est devenue finalement assez simple et une question d’opportunisme : « Il y a une utilisation tactique claire des problèmes qu’il y’a entre l’Arabie Saoudite et le Qatar pour renforcer la politique iranienne de « diviser pour régner », comme l’Arabie saoudite est en train de le faire par exemple en Irak avec la visite de Moktada el Sadr qui est venu à Ryad et à Abu Dhabi. L’objectif de l’Iran est d’utiliser tous les acteurs locaux à son profit et en cela on doit lui reconnaître une grande capacité manoeuvrière. »

[1] Interview réalisée en janvier 2018

[2] http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/4/132/17941/L%E2%80%99Egypte-et-l%E2%80%99Iran.aspx

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