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Billet de blog 22 août 2023

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Madagascar : Gemfields, les profondeurs troubles de l'industrie minière

Le 10 août dernier la directrice de cabinet du président malgache, Andry Rajoelina, Romy Andrianarisoa et son associé-affairiste français, Philippe Tabuteau, ont été arrêtés par l'Agence britannique anti-criminalité (NCA) à Londres. Retour sur l'affaire.

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Ils sont accusés d’être au cœur d’une affaire de corruption pour l’attribution illégale de licences d’exploitation au groupe minier Gemfields, a annoncé ensuite lundi la même Agence. Surtout, la NCA dans son communiqué félicite chaleureusement la société Gemfields pour sa collaboration dans cette affaire. Pour ceux qui suivent les nombreuses affaires liées à cette société et souffrent de ses agissements en Afrique, il y a de quoi rire jaune.

Gemfields : des mines en Zambie en passant par le Mozambique

Au delà de Madagascar où son implantation est historique mais peu active, fruit de tentative de projets futurs, la Zambie et la Mozambique sont de leur côté au cœur du business du rubis. Dans l'univers étincelant de la joaillerie, où des pierres précieuses illuminent le monde avec leur éclat éblouissant, se cache souvent une réalité beaucoup plus sombre. La mine de Montepuez en est l'exemple parfait : nichée dans le nord du Mozambique, elle est le berceau de 40 % des rubis extraits au monde. Cependant, les apparences sont trompeuses, et derrière l'éclat des gemmes se cachent des scandales troublants, révélant une vérité effrayante.

Les habitants de cette région isolée affirment que leur terre a été transformée en une "zone militarisée"depuis le milieu des année 2010. Les forces de l'État et une société de sécurité appartenant à l'Afrique du Sud, surnommées les "gardes nakatanas" ou "hommes à la machette" par les habitants, sont accusées d'avoir battu des villageois sans pitié et même d'avoir tué des mineurs illégaux. La peur règne en maître dans ce paysage autrefois plus paisible, désormais marqués par la violence et l'oppression. L'ombres de l'illégalité en toute impunité plane sur la mine de Montepuez Ruby.

Ici, ce sont des travailleurs illégaux, sans droits réels ni sécurité, dont certains sont contraints de travailler dans des conditions proches de l'esclavage, qui sont employés pour extraire ces précieuses pierres. Les effondrements sont fréquents et des mineurs se retrouvent souvent ensevelis sans que l'entreprise ne prenne la responsabilité de ces tragédies humaines. Rien qu'en 2020 ce sont plus de 30 mineurs, certains illégaux, qui ont péris ensevelis, et ce ne sont que les chiffres officiels.

En outre, les communautés locales font face à une pression constante, souvent brutale, pour céder leurs terres aux intérêts de l'exploitation minière. Des incendies criminels détruisent les maisons des habitants, les forçant à quitter leurs foyers ancestraux pour faire place nette à l'industrie. Les visages de la cupidité et de l'indifférence aux droits humains se dessinent clairement au sein de ce paysage ravagé.

L'alliance de Gemfields et des usurpateurs de terres au Mozambique

L'enquête de 2016 (https://foreignpolicy.com/2016/05/03/the-blood-rubies-of-montepuez-mozambique-gemfields-illegal-mining/) de nos confrères de Foreign Policy est sans réserve. Le général Raimundo Pachinuapa, membre du Front de libération du Mozambique (Frelimo) et ancien gouverneur de la province de Cabo Delgado, où se trouve Montepuez, s'est approprié les terres appartenant à l'agriculteur qui a découvert les premiers rubis. Peu de temps après, Pachinuapa, créé une société dont il est copropriétaire, appelée Mwiriti, et a obtenu une licence de prospection pour explorer le gisement de rubis. Selon le registre des sociétés du Mozambique, Mwiriti était enregistrée en tant que distributeur de biens de gros et de détail, tels que du matériel de bureau, et non pour l'exploration ou l'exploitation minière. En novembre 2009, Mwiriti a étendu sa revendication pour couvrir environ 81 000 acres, soit environ un tiers des 386 miles carrés de gisements de rubis récemment découverts. C'est cette société Mwriti qui est l'associé de Gemfields aujourd’hui sur la mine de Montepuez. En terme de transparence et d'éthique anti-corruption ou prévarication, cela se pose là ! Les appels à la transparence se sont multipliés ces dernières années, mais laissent les autorités locales comme la direction de Gemfields silencieux.

Madagascar : Gemfields bloqué par le Président Rajoelina

Ainsi, cette même société Gemfields serait maintenant devenue un partenaire en matière de lutte contre la corruption de l'Agence britannique anti-criminalité (NCA) ? Gemfields dispose à Madagascar d’une quinzaine de licences à la suite de l’acquisition début 2008 d’une société locale appelée « Oriental Mining ». Pourtant ils n’ont aucun gisement en exploitation. En fait, tout à été gelé lors de la transition par Andry Rajoelina, aujourd’hui Président de la République de Madagascar, alors Président de la transition. Lorsqu'il est élu en 2018, Andry Rajoelina missionne son gouvernement avec l'élaboration d'un nouveau code minier, permettant entre autre chose d'armer le pays en matière de transparence et de lutte contre la corruption. Jusqu'à son adoption les affaires de Gemfields étaient bloquées à Madagascar.

Le gouvernement de Madagascar a mené une politique de lutte contre la corruption dès le début du mandat du Président, mesures qui commencent à porter leurs fruits. Parmi ces résultats, en novembre 2022, l’Agence américaine MCC (Millennium Challenge Corporation) – reconnaissait les progrès marquants du gouvernement en classant Madagascar parmi les pays qui conduisent une politique efficace de lutte contre la corruption. Le nouveau code minier en est une pierre angulaire. Permettra-t-il de préserver la Grande Île du précédent au Mozambique ? Beaucoup le pensent sans pour autant être naïfs face à cette industrie qui ne connaît plus de limites, jusqu’à se hisser au premier cercle de la Présidence malgré la rigidité de l’Etat face à de tels principes. En tout cas, le 14 Août dernier, le Président de Madagascar a limogé sa directrice de cabinet dès que le soupçon d'un tentative de corruption a surgi. Le signal paraît clair de sa part et s'adresse à tous les acteurs des secteurs économiques « sensibles à la collusion » en général. 

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