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Billet de blog 21 avril 2025

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Décès du pape François (1936-2025), le réformateur venu du Sud

Un pape argentin disruptif, audacieux, voix du Sud. Au-delà des réactions que suscite le décès à Rome du pape François, trois points se détachent. Sous l'angle de l’histoire contemporaine des Églises évangéliques et postcoloniales, François a ouvert des voies nouvelles, nourries d'une certaine sensibilité charismatique, sur fond d'option postcoloniale pour les Suds (dix pays africains visités)

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Ouverture en direction des évangéliques


D’abord, son ouverture inédite en direction des courants évangéliques. Le pape François apparaît comme le premier pape catholique à avoir vraiment compris comment aborder les milieux évangéliques, et comment communier avec eux.
Avec les chrétiens de type évangélique, dont il critique parfois les tendances, chez certains, à un prosélytisme excessif, il a noué des liens forts. Ces relations de familiarité se sont nouées dès l’Argentine, pays originaire du pape. Il prie avec des pasteurs pentecôtistes, prend l’habitude de rencontrer ces convertis dont le style séduit de plus en plus de Sud-Américains. Ami personnel de l’évangéliste argentin globe-trotter Luis Palau, il n’hésite pas à boire avec lui du Maté, partageant convivialité et foi[1].

Illustration 1
Le catholicisme évangélique © G. Weigel, Desclée

Sa visite en 2014 à Caserte, chez le pasteur Giovanni Traettino[2], et ses rencontres régulières, comme celle de 2017 au Jubilé du Renouveau charismatique à Rome, illustrent son désir de dépasser les préjugés historiques. Se déclarant inspiré par leur zèle, il encouragea les catholiques à se rapprocher des évangéliques. Pas pour « protestantiser » l’Église, mais pour raviver une foi plus affirmée... non sans quelques échos au « catholicisme évangélique » défendu par son collègue jésuite George Weigel[3].

Il cultive les liens avec divers réseaux et instances évangéliques, en particulier l’Alliance Évangélique mondiale[4]. Il avait vu, notamment dans les évangéliques charismatiques, des partenaires pour un œcuménisme pragmatique, axé sur la prière commune et le service aux pauvres, sans pour autant nier les divergences théologiques qui les séparent.

Sensibilité charismatique ?


Concernant les charismatiques, François a davantage soutenu le Renouveau charismatique catholique que son prédécesseur. Après avoir posé des gestes disruptifs, interprétés par certains comme une manifestation du Saint-Esprit, à l’image du lavement des pieds de détenus, lors du Jeudi saint 2013, incluant des femmes, il a régulièrement invoqué le Saint-Esprit comme force innovante qui favorise l’unité sans l’uniformité

Illustration 2
© Lavement des pieds (ServizioFotograficoOR / CPP / CIRIC • © SERVIZIOFOTOGRAFICOOR / CPP / CIRIC)

Il célébra les 50 ans du Renouveau charismatique (1967-2017) du 30 mai au 4 juin 2017, avec un point culminant lors d’une messe à Rome avec 60 000 participants. Bien des évangéliques, dont des personnalités françaises comme Éric et Muriel Célérier, ou encore Carlos Payan, y ont été invités. Le pape François souligna à cette occasion l’importance de l’unité dans la diversité et de l’action de l’Esprit Saint.

« Le Renouveau charismatique est un courant de grâce de l’Esprit Saint. Et pourquoi dis-je courant de grâce ? Parce que c’est un mouvement qui n’a pas de fondateur ni de statut, mais qui est un don de l’Esprit Saint pour renouveler l’Église. »[5], affirme-t-il, lors de la veillée du 3 juin 2017.

Le pape François a surmonté ses réticences initiales envers ce mouvement, qu’il jugeait trop émotionnel, pour déclarer en reconnaître les fruits spirituels et pastoraux, incitant à un renouveau pastoral catholique.

Illustration 3
Visite du Pape François au Soudan du Sud, 3_5 février 2023, affiche
« Retirez vos mains de l’Afrique ». Une voix postcoloniale du Sud ?


Enfin, le pape François, premier pape non-européen depuis plus de 1000 ans, comme le rappelle le journal Le Monde, s’est à l’occasion fait le porte-parole d’un christianisme du Sud, postcolonial, particulièrement attentif aux relégués, aux pauvres, aux oubliés. François plaça la question migratoire au cœur de son pontificat. Sa visite marquante à Lampedusa le 8 juillet 2013, première visite hors du Vatican qu’il effectué, donna le ton. Ses fleurs, jetées dans les flots à la mémoire des disparus, ont marqué les esprits. Il dénonce alors la « mondialisation de l’indifférence » et prône un accueil digne, basé sur quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer.

Il critique les politiques restrictives, qualifiant le rejet des migrants de «péché grave» dans une audience publique tenue le 28 août 2024. Hostile à un christianisme obnubilé par la prospérité, qui risque d’instrumentaliser Dieu au service du matérialisme[6], il s’avère en revanche un soutien sans faille à l’action sociale catholique en faveur des pauvres. Dans ses déplacements internationaux, il joue par ailleurs la carte des pays du Sud, délaissant l’Europe, et notamment la France, où il n'effectuera pas de visite officielle (en dépit de visites à Marseille -pour la Méditerranée-, en Corse et à Strasbourg -Europe-).

Ainsi, par exemple, il participe activement à la mise en place de la paix au Soudan du Sud, après la guerre civile post-indépendance qui déchire le pays depuis fin 2013. Il va jusqu’à baiser les pieds des belligérants, invités au Vatican les 10 et 11 avril 2019. Le geste, inédit, bouleverse le président Salva Kiir et le vice-président Riek Machar (11 avril 2019), mais aussi Rebecca Garang, la veuve de John Garang.

Illustration 4
Le pape baise les pieds de Rebecca Garang, 11 avril 2019. (Photo Servizio Fotografico du Vatican, 11 avril 2019, Vatican)

Contre toute attente, la force de ce geste, conjuguée à un très actif effort de médiation co-construit avec des partenaires anglicans et presbytériens, accélère la résolution pacifique du conflit fratricide qui déchire alors le Soudan du Sud[7]. Déjouant les sombres augures, les acteurs du conflit sud-soudanais, qu'ils soient catholiques (comme le président) ou protestants (comme le vice-président) baissent les armes, pendant plusieurs années. 

La diplomatie vaticane veille alors, mois après mois, à nourrir le fragile élan de concorde et de réconciliation qui permet à la population de souffler, et de se projeter vers l'avenir. Le pape visite ensuite le Soudan du Sud près de cinq ans plus tard, en 2023, malgré les risques encourus et sa santé fragile. Il reçoit un accueil très chaleureux de la population sud-soudanaise[9]

Juste avant, il se rend au Congo RDC, où il dénonce ainsi le néocolonialisme cupide, au Stade des Martyrs de Kinshasa :

« Retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. »[8]

Des accents crus et clairs qui ne manquent pas d’attirer l’attention auprès d’une population lassée de se voir voler son avenir.  Le pape a souvent appelé à rééquilibrage du regard en direction du « Sud global ». Il plaide, de même (et de façon plus classique) pour une pastorale spécifique pour accompagner les migrants, en lien avec la doctrine sociale de l’Église catholique romaine. Ses gestes, comme ramener douze réfugiés syriens de Lesbos le 16 Avril 2016, ont renforcé son message d’apôtre des Suds.

*

Evangéliques, charismatiques, Suds : sur ces questions comme sur d’autres, tout aussi majeures, qu’évoqueront mes collègues et les commentateurs du monde entier (en particulier celles du rôle des femmes, l'enjeu des abus sexuels et celui de l'écologie), le pape François a adopté une approche inclusive. Il a cherché à construire des ponts avec les évangéliques et charismatiques, ainsi qu'à soutenir les migrants et le « Sud global » par une pastorale engagée en direction des périphéties.


* * *


Ces relations n’ont pas réformé en profondeur l’Église catholique, en raison de résistances liées à la structure même de cette institution de biens de salut : face au changement, les Églises évangéliques décentralisées sont dotées de freins de vélo ; ralentir quand il le faut, oui, mais en s’adaptant pour relancer au plus vite. L’Église catholique, de par son magistère centralisé et autodéclaré « infaillible », est quant à elle équipée d'énormes freins, comparables à ceux d’une gigantesque locomotive de fret. Au temps des changements nécessaires, la réforme est plus lente.

Mais les options du Pape François ont bougé les lignes, reflétant une vision d’une Église catholique rééquilibrée vers le Sud, missionnaire, accueillante et attentive aux périphéries, en dépit de nombreuses résistances internes et externes[10].

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Notes


[1] Melissa Steffan, « Luis Palau : Why It matters that pope Francis drinks Mate with evangelicals”, Christianity Today, posté le 14 mars 2013 (https://www.christianitytoday.com/2013/03/luis-palau-pope-francis-drinks-mate-evangelicals-bergoglio/)
[2] Lire Sébastien Fath, « L’Eglise catholique face à la concurrence évangélique », Revue Diplomatie, n°83, nov-dec 2016, p.50-53.
[3]  George Weigel, Le Catholicisme évangélique. Paris, Desclée de Brouwer, 2015, 307 p (traduit de l’anglais, ed. originale en 2013).
[4] Sébastien Fath, «  Rencontre au sommet entre le pape et l'Alliance Evangélique mondiale » Blogdesebastienfath, 29 novembre 2014
(URL : http://blogdesebastienfath.hautetfort.com/archive/2014/11/28/rencontre-au-sommet-entre-le-pape-catholique-et-l-alliance-evangelique-mond.html)
[5] Pape François, Discours à l’occasion du Jubilée d’or du Renouveau charismatique, 3 juin 2017. (URL : https://www.vatican.va/content/francesco/it/messages/pont-messages.index.html#messages)
[6] Pape François, homélie de la Casa Santa Marta du 19 mai 2016.
[7] Sébastien Fath, « Les Églises, outil de médiation au Soudan du Sud », Bulletin de l’Observatoire International du Religieux (CERI-ScPo, GSRL), n°29, avril 2019. En ligne à l’URL : https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-eglises-outil-de-mediation-au-soudan-du-sud/
[8] Hubert Leclercq, « RDC : Dérives du pouvoir et “Colonialisme économique”, le pape François cogne dur dès son arrivée à Kinshasa », La Libre Afrique, 1er février 2023 (URL : https://afrique.lalibre.be/75531/rdc-derives-du-pouvoir-et-colonalisme-economique-le-pape-francois-cogne-dur-des-son-arrivee-a-kinshasa/).
[9] Voyage du pape François au Soudan du Sud, du 3 au 5 février 2023.
[10] Blandine Chélini-Pont, « La diplomatie du Pape François entre révolution et réactions » revue internationale et stratégique, 117(1), 2020, 99-107.
 

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