Sebastien Nadot (avatar)

Sebastien Nadot

Ecrire, comprendre l'histoire, un peu d'anthropologie du sport... anciennement Citoyen - Représentant de la nation de juin 2017 à juin 2022.

Abonné·e de Mediapart

40 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 avril 2024

Sebastien Nadot (avatar)

Sebastien Nadot

Ecrire, comprendre l'histoire, un peu d'anthropologie du sport... anciennement Citoyen - Représentant de la nation de juin 2017 à juin 2022.

Abonné·e de Mediapart

Le sport féminin n'a pas été inventé par le Baron de Coubertin... ni par l'Occident !

On croit tout savoir sur le sport féminin... mais on ne sait à peu près rien. La faute à qui ? Petite promenade sur le bord de quelques terrains de sport qui accueillaient des femmes.

Sebastien Nadot (avatar)

Sebastien Nadot

Ecrire, comprendre l'histoire, un peu d'anthropologie du sport... anciennement Citoyen - Représentant de la nation de juin 2017 à juin 2022.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le sport n'a pas été inventé par l'Occident. Le sport féminin n'est pas né de la cuisse de Pierre de Coubertin (pas intéressé par la place des femmes dans la société) ni de la bourgeoisie anglaise du XIXe siècle. Si la Grèce et Rome ont laissé quelques traces, il faut surtout se tourner vers l'Orient pour bâtir les fondations de l'histoire du sport féminin, sans oublier la période médiévale...

Pierre de Coubertin, en homme de son temps, n'était pas favorable à la pratique sportive féminine. La Grèce, qui l'a si puissamment inspiré, ne l'était guère davantage. De la Chine au Caucase, en revanche, des pratiques sportives féminines et quelques championnes, sont reconnues et célébrées.

Même si Pausanias (au IIe siècle de notre ère) écrit que seules les femmes mariées ne pouvaient assister aux Jeux Olympiques, il semble bien qu'en Grèce, aucune femme n’était autorisée à pénétrer dans le stade pour assister aux épreuves sportives, encore moins pour y participer.

Pas de sport pour les femmes dans la Grèce antique

A la rigueur, sous un autre statut que femme, par exemple avec les traits de Déméter, c'est-à-dire pour incarner une déesse, le "sexe faible" peut figurer dans l'arène des grands jeux de l'époque. Par ailleurs, on sait que des jeunes filles se mesuraient à la course à pied lors des Heraia, une fête religieuse en l’honneur d’Héra. "Une inscription trouvée à Delphes datant des années 30-40 de notre ère, sous le règne de Claude, nous livre le palmarès d’athlètes féminines – mais c’est le seul que nous connaissions. Il s’agit de la victoire de trois sœurs, filles d’Hermésianax, qui ont remporté des couronnes à Delphes et à l’isthme de Corinthe"1. Des épreuves destinées aux jeunes filles, comme la course du stade, auraient été introduites dans les grands concours au début de l’époque impériale mais nos connaissances sur le sujet sont très lacunaires.

Sportives Etrusques et Romaines

Les femmes étrusques pouvaient accéder aux lieux de spectacle, y compris sportifs, et y côtoyer les spectateurs masculins. Côté pratique, les informations sont rares. Rome s'inscrit dans la tradition Etrusque : les femmes vont au cirque avec les hommes. Côté pratique, là encore les exemples sont rares mais il existe des femmes gladiatrices.

Illustration 1
Sportives modernes (Degas, 1862), sportives antiques (Mosaïque du IVe siècle)

Plusieurs auteurs latins tels que Martial, Juvénal ou Sénèque signalent au détour d'un commentaire une pratique sportive féminine ici où là, suffisamment pour affirmer que ce n'est pas exceptionnel, trop peu pour dire quelle ampleur avait le phénomène. La mosaïque du IVe siècle de notre ère trouvée dans la villa du Casale à Piazza Armerina en Sicile figure 9 jeunes femmes pratiquant, sous le regard d’une arbitre, plusieurs sports dont le lancer du disque, la course, le jeu de balle ou le saut avec haltères.

Les joueuses de polo

De nombreuses statuettes faisant partie des objets funéraires déposés dans des chambres mortuaires témoignent de la pratique du
polo pendant la période féodale en Chine, particulièrement sous
la dynastie Tang. Le tir à l’arc, la chasse ou la conduite de chars sont également caractérisés par de nombreuses autres figurines
en terre cuite. Ces figurines représentent des femmes en pleine activité sportive.

Les joueuses de polo © Culture, sport, musique et géopolitique

Le polo est un sport collectif équestre né en Asie et qui se diffuse, tout au long du Moyen Âge, en Perse, dans le monde
arabe et en Inde, connaissant quelques variantes. On peut vraisemblablement établir un parallèle entre la place qui est donnée aux
femmes au sein de la société et leur participation à ce genre d’activité. Les deux statuettes datent des années 750, à peine
un siècle après le règne de l’impératrice Wang sur un immense territoire.

Khutulun, princesse du XIIIe siècle invincible à la lutte

Le cas de Khutulun, princesse Mongole qui impressionne Marco Polo, le célèbre marchand vénitien, est peut-être loin d'autoriser à des généralités, il montre une femme capable de battre les hommes à la lutte en plein Moyen âge, loin des terres de France ou d'Angleterre...  

Kuthulun, princesse mongole du XIIIe siècle, invincible à la lutte © Culture, sport, musique et géopolitique

De Khutulun à Margot la Hennuyère (XVe siècle)...

De l’activité préparatoire à la guerre à la compétition spectaculaire en passant par le délassement, la difficulté à interroger les figures féminines du sport est bien réelle tant elles sont fugitives dans le monde masculin. Aucune trace effective d’une femme qui aurait pris part, lance ou épée en main, à un tournoi ou une joute, ces activités sportives tant pratiquées au Moyen âge. Hugues III d'Oisy, proche parent de Philippe d’Alsace, a bien écrit une chanson intitulée Le tournoi des Dames, vers 1180, ouvrant la voie à plusieurs autres textes semblables mais il s’agit là de pure fiction.
Néanmoins, le Moyen Âge est l'âge d'or du cheval, et dès leur plus jeune âge, les enfants de la noblesse, garçons ou filles, apprennent à monter à cheval. L’équitation sert de base à d’autres activités : déplacements, travaux divers, guerre et chasse. Cela laisse supposer que des enfants de milieux modestes effectuent ce même apprentissage. Par ailleurs, les dimensions fonctionnelles de l’activité équestre s’accompagnent d’aspects plus ludiques, de la promenade aux courses de chevaux.
La chasse constitue l'une des occupations favorites de l’aristocratie au Moyen Âge, qu'il s'agisse de la vénerie (chasse à courre) ou de la volerie (fauconnerie, chasse à l’épervier). Charlemagne montait à cheval et chassait tous les jours. Ses filles et sa femme l’accompagnaient très souvent. Le livre du roi Modus et de la reine Ratio, sorte de manuel de chasse, invite les dames à y prendre part activement.
En 1283, le Libro de los juegos (Livre des jeux), composé par l’entourage d’Alphonse X le Sage, roi de Castille et León, présente une classification des jeux qui inclut les pratiques physiques : tournoyer, s’exercer à la lance, l’arbalète, l’arc, l’escrime,
lutter, courir, sauter, lancer des pierres et des flèches, s’affronter à la pelote. Elles ont – dit l’auteur - pour but de rendre plus fort et aussi d’amuser les pratiquants.
Le Libros de los juegos souligne également la nécessité pour les femmes et les personnes âgées de se livrer à des pratiques physiques ludiques.

L’exemple de Margot la Hennuyère vient appuyer l’hypothèse d’une grande variété d’activités auxquelles se livrent les femmes
et probablement des spécificités locales et de rang social. Éloignée de la notion de défi et de compétition, la danse, même
si elle aussi connaît ses interdits, est également très largement pratiquée, tant par les femmes que les hommes.

Margot la Hennuyère, championne sportive de la fin du Moyen âge

Journal d'un Bourgeois de Paris (1408-1449) Paris, BnF, département des Manuscrits Français 10145 (fol. 146).

Conclusion provisoire : 

L'histoire des femmes reste à faire. L'histoire des sportives encore davantage. Il faudra pour cela éviter plusieurs écueils :

- le nombrilisme occidental

- la fausse croyance dans un sport né au XIXe siècle

- le masculinisme de la société et de ceux qui en font l'histoire. 

1 : Voir les travaux de Jean Paul Thuillier : ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.