Un peuple se meurt : au Soudan.
Un peuple se meurt au Soudan ou au Tchad voisin qui accueille tant bien que mal les réfugiés, qui s'en vont un peu plus loin, là où peuvent essaimer les plus vaillantes, là où pourront marcher les moins estropiés.
Partout, Soudanaises et Soudanais se meurent, chez eux ou dans des camps de fortune. Pour ceux qui n'ont pas déjà rejoint l'éternité du sable brûlant, l'espoir a fini de se consumer. Il ne reste plus rien. Juste cet abîme, que personne ne veut voir.
La faute à qui ?
On pourrait évidemment considérer que les soudanais - eux-mêmes - se sont empêtrés dans leur histoire et ses luttes fratricides pour en arriver là. C'est oublier bien vite que jamais - dans l'époque contemporaine - les Soudanais n'ont pu s'extirper des griffes des envahisseurs, colons, autocrates et dictateurs militaires, fiers de tout dévaster par la guerre. C'est oublier bien vite que l'Humanité tout entière s'est asséchée un peu plus. C'est vouloir croire bien vite aussi que le sort des uns ne dépend pas des actions des autres.
Égoïsme assassin, c'est tout ce qu'il nous reste en pensant au Soudan.
Souviens toi de la crise de Fachoda !
La crise de Fachoda "the Fashoda incident" opposa la France au Royaume-Uni en 1898 dans le poste militaire avancé de Fachoda au Soudan (Depuis la sécession en 2011, Fachoda est au Soudan du Sud, nom loin de la frontière avec le Soudan). L'incident diplomatique de 1898 souligne les rivalités européennes en Afrique et surtout la mainmise des capitales occidentales sur les populations soudanaises. Le 20e siècle ne sera pas moins une période de domination sans vergogne - en particulier des Britanniques - sur le Soudan.
Les intérêts commerciaux n'auront de cesse de diriger les hommes se succédant au pouvoir, au détriment du devenir des populations soudanaises. "La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent bien mais ne se massacrent pas" écrivait Paul Valéry.
L'histoire récente de ce pays chaud, très chaud, souvent considéré comme le plus chaud de la planète est chaotique1.
La France, profondément marquée par la gifle diplomatique de la crise de Fachoda, a toujours entretenu publiquement une relation discrète avec le Soudan, pays anglophone du fait de son histoire coloniale. Pour autant, la diplomatie africaine de la France n'a jamais ignoré ce grand pays d'Afrique. Or, or noir, ouverture sur la mer rouge, axe géostratégique : la France n'a jamais abandonné ses prétentions sur le pays, en alimentant tout ce qu'il faut de mauvaise énergie humaine, contre les britanniques, contre les communistes, et... contre les Soudanais. Les enjeux économiques et stratégiques sont importants : la Déclaration Des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 attendra bien encore un peu.
Inconnus en France : peuples du Nil, de la mer Rouge, du désert de Nubie, des zones humides et de la forêt tropicale
L'histoire de la diversité des peuples du Soudan est totalement inconnue en France. Qui sait qu'y vivent encore une centaine de langage à côté de l'anglais et de l'arabe ? A vrai dire, le Soudan est terra incognita pour tout citoyen français.
Les seules images que l'on veut bien véhiculer de soudanais sur nos écrans sont celles des famines récurrentes, notamment en raison des conflits qui minent le pays de longue date, et celle des camps de réfugiés, légaux ou illégaux à Calais ou en périphérie parisienne. Pas vraiment de quoi attirer l'attention sur le drame actuel qui se joue quasiment à huis clos à Khartoum et particulièrement dans une zone peu épargnée ces dernières décennies : le Darfour.
On pourrait remonter loin dans l'histoire du Soudan pour en montrer la substance extraordinaire. Quasiment une Civilisation dans un seul pays ! Pourtant, les relents du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 sont tenaces, pour l'Afrique comme le Soudan.
Pour mémoire, voilà ce que disait alors le Président français : "Le drame de l'Afrique, c'est que l'Homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'Homme échappe à l'angoisse de l'Histoire qui tenaille l'Homme moderne mais l'Homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'Homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique -- permettez à un ami de l'Afrique de le dire --, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'Histoire".
En distillant à petites touches mais en permanence cette idée de pays africains toujours en difficultés, inéluctablement en crise, peuplés d'incapables, les politiques français participent largement à cet oubli criminel : les soudanais ont les mêmes droits sur cette planète que les ressortissants de tous les pays des Nations-Unies. Quand ils meurent par dizaine de milliers, une réaction internationale devrait être activée. Mais rien.
Peut-être que nos politiques actuels connaissent le "Soudan français", cette colonie à la merci de Paris durant des décennies, devenue... le Mali. Et peut-être qu'ils veulent encore plus en oublier l'histoire, tant le présent du Mali nous dit les nombreuses fautes commises dans ce pays (Voir ici : La Gifle du Mali à la France). Bref, il est d'usage d'effacer le Soudan - français ou britannique - des discours politiques et aussi des médias.
Les guerres
Avec la création du Soudan du Sud en 2011, on croyait les haines fratricides révolues. Avec la chute du tyran, militaire, Omar El-Bechir, en 2019, après trente années de régime de fer, on espérait voir fleurir un nouveau pays, épris de liberté pour son peuple. Mais si ce sont bien les manifestations populaires qui ont mis fin à la dictature militaire d'Omar El-Béchir, ce sont à nouveau les militaires qui se sont emparés du pouvoir, bien épaulés dans leur putsch par les puissances internationales. Le peuple soudanais a payé un lourd tribu pour accéder à cette liberté. Combien de soudanais exécutés ? Combien d'exils forcés ?
Mohammed Wardi, le célèbre maître d'école devenu grand artiste interprète a chanté cette nécessaire libération, notamment dans sa fameuse interprétation de "Rends-nous les clés du pays".
Mais que peut un peuple face à la soldatesque armée jusqu'aux dents par les pays les plus experts en technologie de la mort ?
Ecouler des armes contre un peuple ne suffisait pas. Il aura fallu plus : le gouvernement des généraux a rapidement failli et s'est scindé - à l'image des soutiens internationaux, les uns soutenant le chef d’État de facto, le général Al-Burhan et son armée "régulière", les autres fournissant copieusement en armes le général Mohamed Hamdane Daglo, dit “Hemeti”, lequel se trouve à la tête de forces paramilitaires considérables.
Le pays est devenu un El dorado pour vendeurs d'armes ! Que valent quelques millions de vies anonymes contre des contrats juteux. Emirats Arabes unis contre Egypte, Etats-Unis contre Chine, Russie versus France ou Grande-Bretagne, avec parfois des arrangements étonnants.
Des armes en échange d'accès protégé aux ressources du pays, qu'on peut traduire par : des armes en échange d'un pillage autorisé.
Vive la guerre. Mort au Soudanais.
Les soudanais ne rêvent plus
Depuis avril 2023 et l'ouverture des hostilités entre Al-Burhan et Hemeti, Khartoum, la capitale, a été rasée par la guerre. Au moins 150 000 personnes ont été massacrées. Les charniers sont d'ailleurs visibles sur les images satellites, c'est beau le progrès...
Plus de 10 millions, 1/5 de la population, ont du abandonner leur foyer.
Dans les camps, le choléra est là et la famine, meurtrière, devrait dépasser celle qu’a connue l’Ethiopie dans les années 1980.
Ce bilan provisoire, les soudanaises et les soudanais le vivent dans leur chaire. Le moral est en berne. "No perspective".
Un statut spécial pour les Soudanais
L'Union européenne doit proposer un statut spécial au Soudanais qui fuient la guerre, comme elle l'a fait intelligemment pour les Ukrainiens en mars 2022 (le statut spécial permet notamment d'avoir des papiers et d'accéder rapidement au marché du travail, de sorte que la reconstruction d'un projet de vie est possible).
En France, qui, comme les autres, participe tant qu'elle peut au pillage du Soudan, il faudra expliquer aux citoyens désinformés que les migrants en provenance du pays ont besoin d'un accueil digne. Ils en ont le droit. Notre pays en a le devoir. Qui l'entendra ? Quelle responsable politique voudra bien expliquer que, à l'instar des Ukrainiens, il faut apporter une réponse puissante aux maux des Soudanais ?
Le nouveau Premier ministre de la France ?
La Marseillaise n'est pas qu'un hymne pour les sportifs des Jeux Olympiques et Paralympiques : c'est un chant de la liberté donné au monde par le peuple, pour le peuple.
Un peu de courage...