Sebastien Nadot
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Billet de blog 7 nov. 2022

Sebastien Nadot
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Coupe du Monde au Qatar : le foot et les buts d'abord !

Après la Russie en 2018, le Qatar organise la coupe du monde de football. Le match d’ouverture se jouera le 20 novembre 2022, avec le Qatar opposé à l’équipe nationale de l’Équateur. Vive le foot, vive le sport, que la meilleure équipe gagne !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En voulant faire le procès du monde tel qu'il va (c'est-à-dire mal), un coupable idéal est pointé du doigt de toute part : le Qatar, organisateur du plus grand événement planétaire qu’est la coupe du monde de football 2022.

Le système médiatique parisien tourne à plein régime. C'est que les rédactions reçoivent quantité de pétro-dollars (en provenance des pays voisins) pour dénigrer le petit pays de la Péninsule arabique.
Alors j'ai eu cette envie soudaine de prendre à revers toutes ces certitudes assénées depuis quelques mois sans travail journalistique derrière. Mediapart et ses journalistes s’attachent à traiter du Qatar comme ils le font habituellement avec tout les autres, avec sérieux et méthode, et c’est très bien. On se demande quand même s’il n’y aurait pas un traitement de faveur… , peut être parce que le Qatar a été longtemps associé en France à l’image de Nicolas Sarkozy. Ils ont d'ailleurs pas mal de différends avec le Qatar, en attestent les très récents articles sur le sujet.

Ce que je veux simplement évoquer, c’est ce football pris en otage d'un système devenu fou, d'hommes totalement pilotés par l'argent, l'argent et l'argent. Et ce n'est certainement pas en désignant un bouc émissaire (avant le prochain) pour nous dédouaner de toutes nos fautes que nous retrouverons un chemin viable pour cette grande compétition sportive.  

(Précision peut-être inutile : j'ai été 5 ans député de 2017 à 2022. Je suis allé une fois au Qatar en famille pendant 5 jours, à mes frais. Rien qu'à mes frais :-)

Mes premiers souvenirs de Coupe du Monde remontent à celle de 1978, en Argentine. Pas vraiment en raison des matchs : même si Platini et Marius Trésor parvenaient à enchanter un peu les prestations de l’équipe de France, les tricolores ne dépassèrent pas le premier tour après leurs défaites contre l’Argentine et l’Italie. C’est essentiellement une carte postale, envoyée de là-bas et que nous reçûmes, mon frère et moi, qui éveilla mon goût pour cette compétition. Un oncle, qui ne me racontera que 30 ans plus tard ce qu’il faisait au beau milieu de la dictature militaire, deux ans après le coup d'état du 24 mars 1976, nous l’avait envoyé depuis Buenos Aires. L’Argentine, victorieuse à domicile, verra son capitaine Daniel Passarella, « El Pistolero », soulever le trophée remis quelques secondes avant par le général Videla, chef de la junte militaire du pays. Les Pays-Bas, eux, perdaient ainsi leur seconde finale d'affilée et encore une fois face au pays organisateur (après l'Allemagne de l'Ouest en 1974). Avec la décision de Johan Cruyff de ne pas participer à cette Coupe du monde (motivée, en partie, par le stress généré par la tentative d'enlèvement subie par sa famille en Espagne alors qu'il jouait pour le FC Barcelone, et peut-être aussi pour ne pas cautionner la dictature argentine), les différents avatars ce cette compétition, toujours en faveur de l’Argentine, avait laissé un sentiment d’injustice aux Néerlandais et avaient aussi fait dire par Michel Hidalgo, le sélectionneur de l’équipe de France : « pour cette Coupe du Monde 1978, la géopolitique prenait plus de place que le sportif »… Les enquêtes postérieures montreront que le crime organisé du pays organisateur avait laissé peu de chance au hasard quant au résultat final. Diego Maradona, âgé de 17 ans, connaissait l’un des moments difficiles de sa carrière en voyant son pays lever le trophée alors qu’il avait été recalé à la dernière étape par l’entraineur de L' « Albiceleste » et n’avait pas participé à la fameuse compétition. Même les Dieux du foot connaissent des revers...

Mon oncle, excellent joueur amateur de football, savait notre passion sportive et cette carte, sur laquelle figurait l’un des stades argentins, probablement le légendaire Estadio Monumental de Núñez, vint définitivement ancrer ma passion pour cet événement majeur du football planétaire. Aussi, en 1982, à 10 ans, album Panini et couleurs bleu blanc rouge arborées, je ne perdais aucune miette des matchs de l’équipe de France et pu même me consacrer à toute les confrontations de la compétition dès les vacances d’été arrivées. L'histoire est connue : l’Italie comptait dans ses rangs le buteur exceptionnel Paolo Rossi qui revenait tout juste d'une suspension de deux ans après avoir été impliqué dans le scandale du Totonero. La corruption n’est pas née d’hier dans le monde du ballon rond. La Squadra Azzurra passa le premier tour sans gagner un match, puis Rossi élimina presque à lui seul le Brésil de Socrates et Zico en réalisant un triplé (3-2), avant de marquer les deux buts de la demi-finale face à la Pologne (2-0) puis d'ouvrir le score en finale face à l'Allemagne ! Pour un gamin qui regarde les matchs dans une petite lucarne d’un village perdu du Gers, l’histoire et le drame s’était évidemment concentrés dans cette rencontre France - RFA, disputée à Séville le 8 juillet. Le match est à rebondissements. La prolongation voit la France prendre l'avantage 3-1 par Marius Tresor et Alain Giresse, puis l'Allemagne recoller au score grâce à Karl-Heinz Rummenigge et Klaus Fischer. Mais à la fin… car il y a un mais, les Allemands se qualifient pour la finale en remportant la séance de tirs au but, cet exercice qui fait battre tellement fort le cœur des spectateurs comme des joueurs. Les plus grands y tremblent et trébuchent parfois… La grande roue de la Fortune y est alors pour beaucoup à désigner le vainqueur. Une semaine après la finale, j’allais pour la première fois de ma vie à l’étranger, à 10 ans… En Espagne, à Barcelone. Mes parents disaient que ce pays valait désormais le détour puisque la dictature de Franco était définitivement tombée. Dans le Sud-Ouest, tout le monde savait que beaucoup d’Espagnols avaient disparu sous le joug des militaires de 1936 à 1975. Bien sûr, Franco était mort depuis 1975, mais 40 ans de pouvoir arbitraire et violent ajoutés à la tentative de putsch qui avait surpris le Congrès des députés le 23 février 1981, au moment du débat de l'investiture du nouveau président du gouvernement, Leopoldo Calvo-Sotelo, avait laissé planer le doute sur la sécurité du pays et son avenir. Après la Coupe du Monde, mes parents devinrent affirmatifs, c’est un pays où l’on peut se rendre pour faire du tourisme avec ses enfants. La décision de jouer cette coupe du monde en Espagne avait été prise par la FIFA en 1966, quand Franco dirigeait d’une main de fer le pays.

Autant dire que, déjà à cette époque, pour les maitres du football planétaire, le régime politique du pays d’accueil était anecdotique dans leurs choix ! La géopolitique s’invitera dans cette coupe du monde comme dans les précédentes : Anglais et Argentins s'affrontent dans une guerre pour le contrôle des îles Malouines ? Une banderole est déployée par des supporters argentins « Las Malvinas son argentinas »… Le football est médiatique, très médiatique, et donc un espace d’expression vivace que chacun essaie d'exploiter impunément. 1982 : Une sacrée coupe du monde tout de même, pour le foot, la famille et tout le reste ! Et Viva España…

La Coupe du Monde 1986 au Mexique sera une déception supplémentaire pour le cœur des supporters de l’équipe de France. Non pas parce que l’équipe d’Argentine gagnera cette édition, emmenée par Diego Maradona au sommet de son talent à 25 ans qui marquera un but de la main en chemin pour la finale - la « Main de Dieu ». Mais en raison de cette demi-finale, à nouveau contre la RFA, sorte de « revanche de Séville » du match perdu quatre ans plus tôt. Vidée par son match victorieux et dantesque en ¼ de finale contre le Brésil, la France, sans panache, privée de Rocheteau, bute sur des Allemands, qui s'imposent 2 à 0. L’Estadio Azteca de Mexico, premier stade du monde à avoir accueilli deux finales de la Coupe du monde de football ne battra pas l’incroyable record d’affluence de la finale de 1950 entre Brésil et Uruguay avec ses quasi 200 000 spectateurs au Maracana mais verra tout de même plus de 100 000 aficionados se masser dans les tribunes. Pour les européens, cette Coupe du Monde sera une nouvelle occasion de porter le regard vers l’Amérique du Sud, un continent plutôt méconnu du vieux monde occidental. Corruption, narcotrafiquants, violence, pauvreté… Le soleil n’atténue pas la misère. La Colombie devait organiser cette Coupe du Monde mais le Mexique la remplaça au pied levé. Trop d’instabilité, trop d’insécurité. Les joueurs de football avaient fait connaissance avec les militaires, armés jusqu’aux dents, pour assurer tous leurs déplacements en Espagne. Pour cette « Copa Mundial de Fútbol en Mexico », un niveau d’encadrement militaire supplémentaire fut jugé nécessaire. Le sport a ses raisons que la raison ne connait pas toujours…

Les deux coupes du monde suivantes, en Italie en 1990 et aux Etats-Unis en 1994 ne verront pas les tricolores fouler les stades des phases finales. Le foot français est morose. Le creux de la vague. Fort heureusement, en ligne de mire vient la Coupe du Monde 98 en France. L’attribution par la FIFA de l’événement sportif sera entachée de nombreuses suspicions de corruption des votants, lesquels devaient choisir au dernier tour entre Maroc, Suisse et France comme pays organisateurs, mais qu’importe pourvu qu'on ait l'ivresse : l’allégresse et la joie procurées par la victoire des Bleus transportera la Nation tout entière. La batterie de ma Peugeot 205 ne supportera pas la soirée, d’abord debout au volant sur le klaxon, puis en communion à pieds, avec des centaines d’inconnus.

La Coupe du Monde 2002 verra une nouvelle fois la France sortir par la petite porte, dès le premier tour. Le Brésil, flamboyant, remportera l’édition organisée conjointement par le Japon et la Corée du Sud. De quoi mettre le football comme épicentre de l’Asie, et aussi mesurer le décalage horaire, quant aux retransmissions des matchs. L’édition suivante, en Allemagne, verra une équipe de France époustouflante se hisser en finale face à l’Italie. Et puis, alors qu’il ne reste que dix minutes dans la deuxième prolongation avant la séance de tirs au but, Zinedine Zidane enfonce sa tête dans le thorax de Materrazzi. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Le capitaine de l’équipe de France écope d’un carton rouge et termine sa carrière internationale d’une mauvaise manière, sur un mauvais geste. Les Dieux du stade sont parfois des hommes, fragiles… Zinedine Zidane s’excusera quelques jours plus tard, notamment auprès des enfants en leur demandant de ne pas prendre son geste pour modèle. Finalement, bien des années plus tard, c’est à un héros malheureux que nous fait penser cet épisode de la Coupe du monde 2006.
Aux grands joueurs, la clémence.

La Coupe du monde 2010 se déroule pour la première fois sur le Continent africain. L’Italie, vainqueur 2006 comme la France, finaliste, ne passera pas le premier tour. Dans cette séquence, les Bleus perdent de leur superbe en raison de leurs incartades extra sportives… Aucune cohésion de groupe, jusqu’à cette étonnante grève des joueurs, mécontents de leur entraîneur Raymond Domenech. Les Dieux du foot se sont transformés en capricieuses starlettes. L’individualisme roi ne colle peut-être pas tout à fait à la réalité d’un sport d’équipe aussi exigeant que le football. Retour à Paris, la queue entre les jambes ! Quelques jours plus tard, le Soccer City de Johannesburg verra l’Espagne s’imposer en finale contre les Pays-Bas. Ce n’est pas encore l’heure pour un pays africain de remporter le trophée même si Shakira a gratifié la compétition d’une chanson évocatrice : « Waka Wakla, this is time for Africa ! » Et ce n’est pas tant le son des Vuvuzelas que le passage de Nelson Mandela sur la pelouse du stade, quelques minutes avant le coup d’envoi du dernier match, qui fera frémir les 85000 spectateurs. La foule en liesse applaudira plusieurs minutes durant le leader de la lutte anti-apartheid. Étonnant contraste entre l’adoubement de la fête du football par le charismatique Madiba du haut de ses 92 ans et la comédie au vinaigre de l’équipe de France…

La 20ème édition de la Coupe du monde de 2014 se tient au Brésil, le pays du football. Cela n’empêchera pas la Seleçao Brasileira de Futebol de subir une cinglante défaite 7 à 0, face à la Mannschaft qui ramènera la Coupe en Allemagne quelques jours plus tard. On notera que la mascotte « Fuleco » pour Futebol – Ecologia voudrait mettre le football à l’heure de l’écologie. Quand on sait ce qu’il advient de l’Amazonie, le chemin parait encore loin pour une prise de conscience par le sport des problématiques environnementales…

Nous voici en 2018. La Russie a remporté le vote de désignation comme pays hôte, contre toute attente puisque le principe de rotation continentale institué aurait dû amener la Coupe du monde en Amérique du Nord, aux Etats-Unis, Mexique ou Canada. Sur fond d’affaires de corruption à la FIFA, et elles sont très nombreuses, Vladimir Poutine semble maîtriser les codes du football business. Contre toute attente aussi parce que 3 jours après la fin des Jeux Olympiques d’hiver de 2014 à Sotchi, le président russe envahissait l’Ukraine… Il y aura bien le Royaume-Uni qui manifestera clairement son mécontentement (l’empoisonnement au Novitchok de Sergei Skripal et sa fille sur le sol britannique ont laissé des traces profondes) et un maigre groupe d’eurodéputés demandant, non pas de boycotter, mais de ne pas se rendre en Russie pour l’événement… pas très concluant.

La Russie a été exclue de la Coupe du monde 2022 en raison de l’invasion par ses troupes de l’Ukraine. On se demande bien comment la compétition a pu se dérouler en Russie en 2018, puisque les eurodéputés dénonçaient déjà en avril 2018 « les bombardements aveugles d’école, hôpitaux et zones civiles en Syrie ; l’invasion militaire violente en Ukraine… ». L’histoire ne retient que les vainqueurs… Emmené par le sélectionneur et ancien champion du Monde Didier Deschamps, la France découvre sa nouvelle merveille M’Bappé et bat la Croatie dans une des finales les plus offensives de toutes les éditions.

La longue histoire des coupes du monde de football est émaillée d’incidents, de contexte politiques détestables, de trucages et de corruption. Elle s’inscrit dans celle des femmes et des hommes, surtout des hommes… C’est aussi des moments forts, de passions sportives, des moments de connivence collective, de rassemblement. 

Et maintenant la World Cup Qatar 2022 ?

Le petit pays riche du Golfe sera le premier à organiser une coupe du monde de football au Moyen Orient. Ce n’est pas rien… cela attise les jalousies – l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis ont financé une campagne de boycott à grands frais dans les rédactions parisiennes et autres capitales européennes, avec une certaine efficacité : la plupart des journaux français étant devenus des agences de communication, il suffit de payer pour retrouver ce qu’on veut dans les colonnes des journaux et sur les bandeaux des chaînes d’infos.
Maintenant que l’Arabie saoudite veut aussi sa coupe du monde de football en 2030, on peut toutefois supposer que Ryad voudra lever le pied et peut-être même espérer la réussite de ce mondial Qatari. Une mauvaise impression dans la région ne ferait pas les affaires Saoudiennes.

En attendant, les critiquent fusent sur le Qatar. Travailleurs immigrés et condition de travail, folie environnementale, absence de démocratie, corruption de la FIFA, homophobie… Le foot est finalement assez peu convoqué. C'est une Coupe du Monde de Géopolitique ou quoi ???

Les critiques n'ont pas la même substances selon leur provenance. Les plus acerbes nous viennent
des champions du monde de la mesquinerie, la médaille d'or revenant à ces génies de la critiques instantanée, les mêmes - politiques, journalistes, industriels - qui se démenaient en 2018 pour se faire inviter en Russie à la dernière minute quand ils ont flairé la belle affaire, cette dynamique de l’équipe de France jusqu’à la victoire. Gageons qu'ils oublieront leurs propos venimeux à l'égard du Qatar en fonction de la réussite de l’équipe de France ou d'une opportunité financière sur la place de Doha…
Quelques journalistes sérieux essaient de faire la part des choses mais leur voix porte peu. 

Bien sûr, le Qatar n’est pas parfait. Il suffit de lire assidûment Médiapart et les derniers avatars du monde des hackers… Mais qui l’est dans l'univers financiarisé à outrance du football ?

Bien sûr, les conditions de travail pour construire les stades ont été très dures et parfois inacceptables. Le Qatar a d’ailleurs reconnu cela et a fait évoluer sa législation. Mais il faut préciser ici que le chiffre annoncé par le Guardian de "6500 morts" sur les chantiers des stades et autres infrastructures, repris tel quel, est malhonnête. Il s’agit, précise le Guardian, du nombre de travailleurs internationaux décédés hors de leur pays, toutes causes confondues, ces dix dernières années. Le rapport approfondi de l’OIT sur les accidents de travail au Qatar « One is too many… » paru fin 2021 montre que 50 travailleurs ont perdu la vie en 2020 au Qatar, la plupart migrants du Bangladesh, Inde et Népal, en raison principalement de chute de hauteur et d’accident de la route. Tout accident du travail est un accident de trop, particulièrement chez ceux qui n'ont aucun moyen de se protéger. Mais quand on est français, il parait délicat d’aborder le sujet, encore plus de montrer du doigt le Qatar. D’abord parce que même le stade de France ne s’est pas construit sans mort… Ensuite parce que la France est la plus mauvaise élève de l’Union européenne en la matière : 1200 morts au travail par an ! Enfin parce qu’il faut être sacrément gonflé pour se plaindre du sort des migrants népalais au Qatar quand on traite aussi mal ceux qui se trouvent sur notre territoire. Qui a construit le stade de France ? Qui retape Notre-Dame de Paris (parfois sans papier) ? Qui livre à vélo ou scooter les commandes Uber sans couverture d’assurance puisque de toutes façons, ils n’ont même pas de papier ? Qui dort dehors la nuit Porte de la Chapelle pour faire la plonge le jour avec un salaire de misère dans les restaurants parisiens ? De la bouche d’un français, le discours sur les conditions de travail des migrants au Qatar est ridicule, voire même parfois grossier. Donc, oui pour mettre la pression sur le Qatar pour qu’il élève le niveau des conditions de travail - profitons de l’occasion - mais qu’on balaie devant notre porte d’abord !

Sur le sujet environnemental, c’est factuel, les grandes messes sportives ont un coût élevé. Construction, déplacements aériens, augmentation de l’activité économique, particulièrement dans des régions mal dotées par la nature : il faut réfléchir l’avenir du sport autrement. Le capitalisme sportif a encore de beaux jours devant lui et il compromet toute approche réellement respectueuse de l’environnement. Néanmoins, la logique même de l’activité sportive repose sur des temps de confrontation, à minima de rencontre. Entre la cessation totale d’activité et les compétitions dispendieuses pour la nature, il y a de l’espace, il faut y mettre notre volonté et notre intelligence… et arrêter de s’en remettre à la seule responsabilité d’un pays comme le Qatar.

Petite réflexion sur la climatisation des stades : au moment de la compétition, les températures moyenne minimales du Qatar seront de 21° et les maximales de 27°. En comparaison (pour une Coupe du Monde qui se jouerait en France par exemple)… de la mi-juin à mi-juillet 2022 à Toulouse, les températures moyennes minimales étaient de 19° et les maximales de 29°.Par rapport au Qatar :  – 2° le matin, + 2° l’après-midi en quelques sortes. Donc, sauf à jouer les matchs à 8h le matin, Toulouse ne peut plus accueillir de match de coupe du monde sans frigorifier au préalable son Stadium ! Idem pour le Vélodrome à Marseille… et probablement que ça ne passe à peu près dans aucun stade en France.
Mais qui a imposé ces normes de températures pour jouer (il y en a aussi pour l’altitude) ? Les pays chauds où les joueurs sont habitués à des températures plus élevées et donc à des performances moindres ? Non. Ce sont les pays aux climats tempérés qui ne voient même pas qu’ils sont les prochains dindons de la farce.

Faudra-t-il climatiser le parcours du marathon des JO de Paris 2024 si nous connaissons un épisode de canicule comme cet été ?

On pourra reprocher au Qatar bien des choses mais la FIFA, c’est-à-dire l’émanation de tous ses pays membres – dont la France – se dit probablement que climatiser les stades, c’est mobiliser des partenaires économiques supplémentaires et pas des moindres, c’est un budget plus conséquent, c’est donner de la puissance à la machine de guerre. De plus, le bon joueur de foot étant une denrée rare et précieuse, il faut protéger l’animal comme un pur sang, c’est bien normal… mais si les joueurs n’étaient pas constamment pressurisés à l’année par des championnat nationaux, continentaux, coupes et autres fariboles… leurs organismes se satisferaient d’une température légèrement supérieure pendant un mois de compétition. Mais Que nenni, ils rogneront les poules aux œufs d’or, jusqu’à l’os ! Ce sujet environnemental révèle au passage que la FIFA au même titre que les grandes organisations de ce genre ne sont régulées que par une norme, celle des bénéfices financiers. A partir du moment où un pays veut collaborer à la FIFA comme organisateur, il est tenu de s’inscrire logiquement dans sa course effrénée. On pourra se réjouir toutefois du nouveau cahier des charges de la FIFA pour les événements à venir, avec une plus grande fermeté (de principe) sur le développement durable et le respect des droits humains. On pourra également souligner que le Qatar a fait des efforts considérables en la matière, liant prouesses technologiques et réflexion pertinente, comme ce stadium 974, en référence au nombre de conteneurs le constituant, qui sera démonté intégralement pour trouver une seconde vie, pas trop loin en Afrique.

Sur le respect des droits humains, le Qatar n’est pas à porter aux nues. Mais ce n’est pas non plus un régime aux prisons pleines de prisonniers politiques torturés. Rien à voir avec l’Arabie Saoudite ou Bahreïn dans la manière de mener le pays. Dans le classement de 2021, le Qatar figure à la 114eme place de l’indice démocratique sur 167 pays classés. Rien d’extraordinaire mais, il se situe devant tous ses voisins régionaux. Un parlement y a vu le jour en 2021, des femmes qataris ont des postes de pouvoir… Sur l’homosexualité, encore pénalisée pour les hommes, et surtout culturellement tabou, le chemin sera long. Les élites du pays redoutent peut-être d’avancer trop vite, avec un peuple plutôt traditionnaliste. La communication du Qatar est assez claire : « les LGBT sont les bienvenus, ils seront en sécurité mais on les invite à rester discrets » a déclaré le PDG du mondial de Football 2022.

Pendant 5 ans, j’ai été député et membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. J’ai vu le Qatar sous ses différents visages. Un pays en quête de reconnaissance pour les progrès que le pays a effectué récemment. Après l'été 2021, moment où les Talibans reprennent Kaboul, de nombreux journalistes qui travaillaient en Afghanistan ont cherché à fuir le pays. Une mort assurée s’ils restaient les guettait. De même, des Afghans ayant travaillé pour la France là-bas se sont tournés vers moi, vers certaines de mes collègues de l'Assemblée. A force de réponse négative du quai d’Orsay, pas du tout désireux de venir en aide, ni aux journalistes, ni aux réfugiés en général (quand bien même ils avaient servi la France parfois pendant 20 ans), j’ai demandé au Qatar si des rapatriements étaient possibles par leur entremise. Avec quelques résultats. Moi, député du pays des Lumières, j’ai éprouvé un sentiment de honte, peut-être le même que je ressens aujourd’hui quand je vois tel ou tel se donner à la critique facile, à l’appel au boycott de la coupe du monde, sans nuance, sans intelligence, sans imaginer que l’autre est toujours (au moins un peu) différent. 
Le Qatar a décidé de jouer un rôle sur la scène  diplomatique mondiale et a voulu - notamment à travers l’organisation de cette coupe du monde - s’en donner les moyens en tissant des liens partout. Qui appelle-t-on pour faire redescendre la tension dans les territoires palestiniens ? Qui joue des rôles nécessaires  et bien réels d’intermédiaires avec la Russie ou l’Iran quand d’autres ne font que de la figuration pour médias engourdis ? Le Qatar utilise les moyens technologiques des "grands pays" de ce monde, ce qui agace les autres et l’expose à faire des erreurs dans cette compétition diplomatique infernale. Donc oui, il y a des dérapages. 

Pour finir ce petit tour de piste critique de l’édition de la Coupe du Monde au Qatar, la corruption est évoquée. Et pour cause. Travailler avec la FIFA sans jouer d’influence politique et financière est vain. Pas une attribution de Coupe du Monde de ce siècle n’est claire ni sans affaire. Il revient à la justice de faire son travail. Et aux médias d’essayer de démêler le vrai de l’intox… Mais en l’occurrence, encore une fois, les Français devraient la jouer modeste sur ce registre puisqu’ils sont particulièrement en vue dans les tribunaux, pour la coupe du monde 2022 comme pour d'autres avant elle…

Nul aveuglement, le Qatar n’est pas un miracle enclavé dans les sables incertains du Moyen Orient. C’est un petit pays riche qui veut embrasser le monde, un pays qui veut s’ouvrir, à la croisée des chemins de l'Orient, de l'Afrique et de l'Occident. Et pour embrasser le monde, il en a adopté les règles du jeu actuel. 

La Coupe du Monde 2022 arrive, L’avalanche de propos de dénigrement tenus à l’encontre de ce pays de la Péninsule arabique interroge, particulièrement en France. Il fait écho au racisme, à l’islamophobie. Le foot c’est populaire et c’est tant mieux. Hélas, le racisme et l’islamophobie en France le sont également.

Je regarderai la coupe du monde organisée par le Qatar, en espérant vibrer aux exploits des sportifs tricolores, avec une attention toute particulière aussi pour cette équipe du Sénégal et en me régalant de la glorieuse incertitude du sport, matchs après matchs, jusqu’à la finale. En citoyen du monde lucide. En supporter joyeux.

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