Leïla et Jean-Claude travaillent tous les deux dans les écoles. Enfin, travaillaient. Ils sont deux des précaires de l'éducation nationale. Hier, en contrat CUI, aujourd'hui au RSA, et entre temps, dans la fierté d'être utile à la nation et aux élèves.
Leïla est le personnage d'une mini bande dessinée de JAC. Un personnage si réel, que les enseignants connaissent chacun un bon nombre de Leïla.
Jean-Claude est la personne qui travaillait avec moi à l'école. Il était aide administrative. C'est un peu un secrétaire. Il va répondre au téléphone, prendre des rendez-vous. Ventiler les informations auprès des enseignants, gérer la liste des élèves inscrits à l'étude, faire des photocopies, découper du matériel, participer aux fêtes d'écoles, renseigner les parents d'élèves sur les choses courantes de la vie de l'école...
Quand il est arrivé dans l'école, je l'ai donc « formé », plutôt converti, aux us et coutumes de l'Éducation nationale. J'ai créé une fiche de poste. Rien de tout cela n'existe. Sans-emploi depuis plusieurs années, ce poste, en contrat CUI, lui a été proposé il y a quelques années. Le but n'était nullement d'aider les écoles, mais de faire baisser les chiffres du chômage. Je me souviens de Villepin qui annonçait une baisse du chômage d'exactement le nombre de contrats qui venaient d’être signés.
Sauf que Jean-Claude a pris toute sa place dans l'école. Il est reconnu par les parents d'élèves et apprécié par les enfants. Au fur et à mesure qu'il parvient à être plus à l'aise dans l'école et dans ces tâches, je peux de mieux en mieux me consacrer aux élèves du point de vue d'un directeur. Projets pédagogiques, coordination du travail d'équipe, omniprésence auprès des enfants, notamment des plus remuants. Punir, certes, mais aussi parler, réfléchir aux sanctions, aux réparations, aux moyens de renouer le dialogue entre enfants. Tout un tas de choses qui demandent du temps. Pour l'élaboration de projets ambitieux, n'en parlons pas du temps. Tout cela devient possible, parce que Jean Claude est là. Son contrat a été plusieurs fois renouvelé. Mais le dernier prenait fin en avril. Il espérait un « nouveau » renouvellement auquel il avait droit. À plus de 60 ans, il attend d'avoir 65 ans pour avoir toutes ses annuités. Il a appris, parce qu'il a cherché l'information, le soir des vacances de printemps, qu'il ne pourrait pas retourner à l'école le 5 mai. Il y a là comme une forme de mépris. L'année n'est pas terminée, les personnes sont laissées dans l'attente et au dernier moment, on leur annonce que c'est fini. C'est un mépris pour l'école qui s'était organisée avec le secrétaire dans l'équipe et c'est aussi et surtout un mépris pour Jean-Claude, pour ce qu’il a su faire durant ces années.
Les conditions d'emploi ne sont pas idéales. 20 h au SMIC. Il ne manque pas de travail pourtant avec toutes les nouvelles demandes de ces dernières années faites aux directrices et directeurs. C'est pour cela que j'ai toujours défendu l'idée que la question des rythmes scolaires devait permettre à ces personnels de pouvoir cumuler les employeurs sur un même établissement (l'État durant 27 h et 8 h la collectivité territoriale). Replacer le directeur sur du pédagogique, c'est aussi un levier pour une transformation de l'école. Ces personnes sont donc devenues indispensables. Surtout quand elles sont compétentes comme Jean-Claude.
Je souhaite et demande à mon institution (c'est chose faite) que son contrat soit renouvelé sur mon école. Lui seul ? Tous ceux qui ont su trouver leur place dans les écoles doivent pouvoir la retrouver. Ils sont nombreux en ce mois de mai à s'être retrouvés à la porte des écoles.
Leïla, elle est assistante de vie scolaire (AVS), elle s'occupe des élèves qui supportent un handicap. Mais un bon dessin vaudra bien des discours ici ! Merci à JAC pour ces dessins (lien ici et là), comme toujours très justes. Merci aussi à toutes les Leïla (et surtout à celle qui est dans ma classe et celles qui sont venues les années d'avant — dont un homme —) qui interviennent, se dévouent malgré la précarité de leur situation.
Notons que des discussions sont en cours pour reconnaître le travail d'AVS, mais pas encore celui d'aide à la direction…Je ne vois pas comment il ne peut en être autrement dans l'avenir.
Leïla et Jean-Claude n'ont pas perdu que leur travail, leur emploi ; ils ont perdu leur métier. Ces métiers existent aujourd'hui dans les écoles. Ne pas les reconnaître, c'est saper les fondations d'une école que l'on veut portée vers plus d'intégration et plus de pédagogie.