Madame, Monsieur,
Le jeudi 20 novembre, une grève est organisée par les enseignants des écoles élémentaires et maternelles.
Nous ne savons pas encore si nous participerons à ce mouvement. Nous hésitons. Et voici les raisons de notre hésitation.
84 % des élèves en difficultés sont issus de familles d'ouvriers et d'employés. Les enfants de ces familles ont trois fois moins de chance d'avoir le bac que ceux des cadres. C'est une inégalité forte. La nation confie aux enseignants la mission de réduire ces inégalités afin que tout le monde ait les mêmes chances dans la vie. C'est une des raisons qui m'ont fait choisir mon métier.
Or, nous savons que les réformes qui sont menées par ce gouvernement renforceront les inégalités parce qu'elles suppriment les aides existantes :
suppression de l'école maternelle pour les 2/3 ans pour un système municipal payant (jardins d'éveil)
suppression de l'aide des maîtres spécialisés dans la difficulté scolaire (RASED)
des programmes plus lourds avec moins de temps de classe (passage de 26h à 24h)
allongement de la journée des enfants en difficulté
suppression de nombreux postes d'enseignants (cette année à Lodève, le poste de l'enseignante pour les élèves nouvellement arrivés en France a été supprimé)
forte déduction d'impôt pour les cours particuliers privés et des études à plus de 15 pour ceux qui n'ont pas les moyens de se payer ces cours privés.
Aucune de ces réformes ne concernent nos revenus. Aucun enseignant ne perdra son emploi.
Vous comprendrez alors que ces réformes concernent d'abord vos enfants.
Alors, sans la mobilisation des parents, il ne me sert à rien de perdre une journée de salaire. C'est en tant que citoyens que nous agissons et non en tant qu'enseignants. C'est pourquoi, nous souhaiterions que tous les parents qui se sentent concernés par cette grève apportent leur soutien au mouvement des enseignants en signant la déclaration de soutien ci-dessous. Agissons ensemble !
(cette lettre a été distribuée le lundi soir hors de l'enceinte de l'école, hors du temps scolaire, dans un lieu où on peut retrouver tous les parents d'élèves...la boulangerie juste à côté de l'école)
50% des parents d'élèves ont signé la déclaration de soutien moins de vingt quatre heures après la distribution de cette lettre. Nous pensons parvenir aux alentours des 80% au cours de la semaine prochaine (il faut dire que cette semaine est un peu écourtée...). Statistiquement, cela ne vaut rien mais ce n'était pas le but. Personnellement, je ne voulais pas m'engager dans cette grève sans être certain que les parents d'élèves comprennent bien que je n'allais pas perdre une journée de salaire pour des « privilèges » mais pour une école qui les concernent eux, d'abord.
A part ça, statistiquement, cela pourrait valoir quelque chose dans quelques jours...nous verrons...
Alors comment m'y suis-je pris pour « monter » les parents contre le gouvernement ? Assez facilement, je dois le dire. Lors de réunions publiques dans des locaux prêtés par la mairie, nous avons rencontré les parents et distribué les textes officiels, les déclarations du ministre, du Président et nous avons laissé faire la nature...Entre les textes, les déclarations et le terrain, il y a un monde et les parents le voient vite :
Le rejet total de la suppression des classes des 2/3 ans pour un système municipal (les premiers mots ne sont pas pour la réussite des élèves mais « que faire pour les femmes qui veulent reprendre leur travail ? » « C'est un impôt que l'on va payer deux fois : la facture chaque mois + la hausse des impôts locaux », la réussite des élèves vient, mais après) et le mépris pour les paroles du ministre sur les « couches »imaginaires.
Incompréhension face à la suppression de l'aide que Raoul et Pierre apportent aux gamins (si, si, ils sont célèbres, nos maîtres du RASED !).
L'allongement de la journée est ce qui révulse le plus les parents : alors que publiquement, lors d'une commission extra-municipale, dès la fin de l'année dernière, nous avons fait des propositions pour éviter cet écueil (en ouvrant le mercredi matin pour tous), la semaine à quatre jours nous a été imposée. Ce mois-ci, nous avons même changé les horaires de l'aide personnalisé (les heures du samedi matin) parce qu'il y avait une autre réforme à mettre en place (l'accompagnement éducatif). Ce sont des choses que les parents voient.
La suppression des postes peu rentables comme celui de Valérie qui s'occupait des élèves nouvellement arrivés en France. Quand vous avez une population d'« origine » quelque chose (chez nous, Harkis, Anglaise et Marocaine), cela marque les esprits.
Le passage d'études municipales (en partie payées par l'Etat via le Ministère de la Ville) assurées par les enseignants encadrant des petits groupes d'une petite dizaine d'élèves à l'Accompagnement Educatif est vu comme une régression. Le seuil d'ouverture de poste d'étude est 15 élèves et le taux réel d'encadrement est plutôt autour de 20 élèves pour les écoles ZEP de la ville. Les parents perçoivent aisément la forte préférence du gouvernement pour le financement masqué des entreprises du soutien scolaire via les 50 % de réduction d'impôts accordées aux familles qui peuvent se payer ces cours.
Alors, oui, les parents d'élèves ont vite compris, sans propagande de notre part, sur la base de documents officiels, que ce gouvernement ne veut pas d'une école de l'égalité des chances.
PS : à voir aussi l'émission des "maternelles de France 5 du 17/11" ; excellente sur le sujet des réformes en cours (sur la maternelle la première demi heure ou/et de la 37ième mn à la 41ième / et pour le RASED de la 59ième mn à la 65ième mn). Si quelqu'un sait faire une captation d'un passage de l'émission (et que cela est permis ou toléré), je veux bien la diffuser sur ce billet. Sinon regardez l'émission entière ou le petit passage en cliquant sur "maternelles de France 5 du 17/11"