Aujourd'hui, mardi 27 septembre, je suis en grève. Il y a bien sûr une situation nationale. Mais on ne perçoit pas toujours les répercussions sur les situations locales. Voici, une lettre que mon député, Robert Lecou, a reçue hier. C'est un condensé des conséquences concrètes de la politique de sa majorité UMP.
Monsieur le Député,
Je souhaite vous informer de la future situation des écoles et du collège de Lodève.
Un prochain rapport, en octobre, sur l'éducation prioritaire « étendra » le dispositif Eclair (Ecoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite). A ce moment là, des préconisations de sorties de l'éducation prioritaire seront faites. Des informations venant des syndicats et confirmées par à l'intérieur même de l'Inspection Académique de l'Hérault font apparaître que Lodève ferait partie du lot des sortants.
Cela constituerait une grave erreur d'analyse de la situation de la ville.
Tout d'abord, le dispositif initial CLAIR (sans les Ecoles), n'avait en vue qu'un seul objectif : « [le dispositif] concerne les établissements concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence » (circulaire de juillet 2010). La petite taille de la ville et les liens sociaux qui y sont créés permettent aux élèves et aux enseignants de travailler sereinement, sans toutefois pacifier toutes les relations. Est-ce ainsi que l'on récompense les réussites en matière de qualité de vie scolaire ? Est-ce que la difficulté des enfants se limite à la seule violence scolaire ?
C'est bien là un drame, quand on connaît les « performances » de l'école française qui, plus que tout autre, est inégalitaire. En supprimant les derniers dispositifs, déjà fortement érodés après cinq ans de sape systématique, la pauvreté, l'échec scolaire et l'éloignement de la culture ne seront plus désormais un critère pour donner plus à ceux qui ont moins. Seule la violence semble faire foi...
On peut rentrer honnêtement dans les détails des caractéristiques scolaires de la ville. Lodève est assez symptomatique d'une évolution de la France des sous-préfectures. Mieux que tout autre sociologue, Raymond Depardon (il a fait quelques photos de Lodève dans son tour de France), a parfaitement décrit par ses photographies la dérive de cette France rurale et industrieuse (on pourra aussi lire le rapport sur la pauvreté en milieu rural du ministère de l'agriculture, IGAS, 2009). Le taux de pauvreté en zone dite « rurale » est de 2 points supérieurs à celui des villes. A Lodève, vous connaissez bien la ville, la part de personnes bénéficiant du RSA est la plus importante de l'Hérault rapporté à la population, alors que le département est un des trois départements concentrant la plus grande précarité en France. Les zones semi-rurales, avec un gros bourg, ne sont pas attractives économiquement ; et, avec des loyers très bas, sont de véritables « aspirateurs » à précarité (1 élève sur 2 que je reçois en cours d'année est « en situation de fuite », avec sa mère ; "fuite" de la violence paternelle, « fuite » des impayés... avec un retard scolaire déjà « confirmé », il y a trois fois plus de parents isolés dans mon école que la moyenne nationale...je pourrais multiplier les indicateurs de la sorte). Avec la crise économique, le centre-ville se paupérise ; ces personnes venant directement des quartiers pointés « violents » de Béziers, de Montpellier et d'ailleurs de la France. Les écoles recrutent les enfants de ces familles. Face à ce tableau noir, je ne peux, tout de même, pas oublier le travail formidable qui est fait chaque jour avec les élèves et les réussites réelles que nous pouvons constater chiffres à l'appui.
La situation du collège est plus complexe. Le travail effectué par l'équipe enseignante et le recrutement de plus en plus important d'enfants des « villas des villages » du lodévois masquent les difficultés structurantes de la ville. Une mixité sociale y est vraiment à l'œuvre. Toutefois, il semble qu'en cette rentrée, suite aux suppression de postes, la situation se soit fortement dégradée, la sécurité des enfants étant même en jeu ; la norme d'accueil du nombre d'élèves est dépassée de prêt de 100 et toutes les sixièmes sont à 30.
A l'heure de la personnalisation de l'enseignement prôné par Luc Châtel, peut-on agir si indistinctement dans un bassin aux problématiques si différentes selon les communes. La politique d'éducation prioritaire est profitable au collège et aux écoles de Lodève. Ce sont les dispositifs d'accompagnement éducatif (3h d'activités et d'aide aux devoirs pour tous les élèves, tous les soirs après la classe), de PRE (programme de réussite éducative qui suit plusieurs dizaines de famille), de limite du nombre d'élèves par classe, budgets pour des projets pédagogiques...qui seront remis en cause. Si l'on applique un critère hors éducation prioritaire aux écoles de Lodève, ce n'est pas moins de deux classes maternelles et deux classes élémentaires qui fermeraient à la rentrée 2012.
C'est un choix politique, de la majorité actuelle, qui frappera tous les élèves ; êtes-vous solidaire de ce choix ? En 2008, je vous alertais sur la catastrophe de la réforme de X. Darcos des rythmes scolaires. Vous avez rejeté mes arguments d'un revers de la main. L'année dernière, les débats que j'ai coordonnés avec les acteurs de l'éducation de la ville, ont impliqué les meilleurs spécialistes de France. Avez-vous dépêché une personne de votre équipe pour y participer ou avez-vous pris connaissance des comptes-rendus ? Aujourd'hui, de nombreuses municipalités s'appuient sur ce travail et me contactent directement ou contactent la Mairie de Lodève. Il y a quelques semaines, vous avez pris ce dossier en main après deux rapports déjà très clairs (l'un d'une commission parlementaire, l'autre d'une commission ad hoc). Enfin. Je vous avais aussi honnêtement alerté sur l'absurdité de la réforme de la formation des enseignants. Avec cette même honnêteté, je vous prie de croire qu'une sortie de Lodève de l'éducation prioritaire sonnera le glas d'un futur renouveau de la ville (avec les loyers, l'école est le premier choix des familles pour s'installer dans une ville). Je ne peux croire qu'un élu de la ville, ancien Maire, laisse sa ville couler ainsi.
La majorité politique à laquelle vous appartenez est confronté à un redoutable double échec : Nicolas Sarkozy ne divisera pas par trois, en cinq ans, le nombre d'élèves en difficulté comme il l'a annoncé au début de son mandat et l'insécurité est toujours aussi importante en France. Utiliser le thème de la violence scolaire pour masquer l'échec d'une politique éducative sera, avec certitude, la dette la plus lourde à régler pour les générations à venir.
Je ne conçois pas mon rôle de citoyen sans vous alerter. Je ne conçois pas votre rôle d'élu de la nation, représentant des citoyens, sans que vous ne prêtiez attention à cette situation, pour la ville et pour la France.
Je suis à votre disposition et je vous prie de bien vouloir recevoir, Monsieur le Député, mes salutations distinguées et républicaines, ainsi que l'expression de mon attachement sincère, profond et dévoué au service de l'Education nationale laïque et républicaine.
PS : je souhaite recevoir votre réponse à mon adresse personnelle car c'est le citoyen qui vous écrit et non le directeur.