Notre Président a annoncé la suppression des cours du samedi matin et Antoine Prost a dénoncé le Munich pédagogique que constituait ce passage de 26h à 24h de cours. Les deux heures dégagées seront consacrées à un travail des enseignants envers les élèves en difficulté rassemblés en petits groupes. L'idée est bonne mais, au-delà des déclarations, se pose la question de l'application réelle de ces « nobles » intentions politiques qui tournent à la comédie burlesque. Explications. Attention, il faut s’accrocher.

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« Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. » Saint Augustin
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Mercredi 18 juin, les directeurs d'écoles sont réunis pour recevoir les instructions de cadrage en vue de la nouvelle organisation de la semaine scolaire. Afin de percevoir les aspects comiques il faut mettre en regard les textes réglementaires et le discours que l'administration nous tient. Le malaise est prégnant, les réponses sont floues et embarrassées.
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« Le conseil des maîtres propose à l’inspecteur de l’éducation nationale l’ensemble du dispositif d’aide personnalisée au sein de l’école, comprenant le repérage des difficultés des élèves, l’organisation hebdomadaire des aides personnalisées et les modalités d’évaluation de l’effet de ces aides en termes de progrès des élèves.
L’inspecteur de l’éducation nationale arrête ce dispositif pour l’année scolaire. Ce dispositif est ensuite inscrit dansle projet d’école selon les procédures en vigueur. » (je souligne)
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1) Quand les enfants dorment, ils travaillent mieux en grand groupe
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« Le conseil des maîtres propose », comme quoi, le ministère est soucieux de la liberté pédagogique des enseignants ; or, nous n'avons même pas les moyens de proposer. L'Inspecteur d'Académie (sorte de Préfet de l’Education nationale), nous a fait savoir qu'il était pour la semaine à quatre jours, l'Inspecteur de circonscription ne veut pas que ce temps soit placé après le repas car nous connaissons tous les effets soporifiques de l'après repas. Il ne reste donc que le matin ou le soir à raison de 4 x 30 mn, 2 x 1 h ou 3 x 40 mn par semaine.
Entrons dans le détail, si dans une école aux horaires suivantes, 8h30-12h / 14h-16h30, une équipe enseignante veut placer des heures pour le travail en petits groupes avant 14h (par exemple à 13h30), on lui répond que ce n'est pas possible du fait du rythme de l'enfant ; mais si l'équipe enseignante, soucieuse de ne pas faire finir trop tard, change les horaires et adopte d'autres horaires pour placer les heures de soutien en petits groupes en fin de journée, 8h30-11h30 / 13h30-16h30, là c'est possible. Que l'on m'explique par quel miracle un petit groupe d'élèves ne peut pas travailler à 13h30 mais qu'une classe entière le peut !
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2) Quand les enfants travailleront plus que leurs parents
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Donc, nous voilà contraints de rallonger une journée, déjà longue pour les élèves en difficultés. Songez qu'il faille ajouter des heures de garderie le matin, puis le temps de cantine (rarement un moment de détente pour les enfants), les heures de soutien, nous atteignons une journée entre 8 et 10h pour selon les enfants. Mais le gouvernement a imaginé « aider » les enfants des quartiers « difficiles » en proposant le dispositif l'école après les cours. Ainsi, certains élèves pourront rester à l'école encore plus tard. On se demande, aux vus de ces dispositifs, si, s'appuyant sur des recherches montrant un lien entre le capital culturel de la famille et les résultats des enfants, l'idée du pouvoir en place n'est pas de « retirer » de fait la garde des enfants à certaines familles. La logique est imparable une fois de plus : les causes des difficultés scolaires sont le contexte familial donc supprimons le contexte familial. « Comment oser dire çà ? Vous préférez que les enfants trainent dans la rue ? C'est ce discours de la gauche qui a conduit à abandonner les familles les plus démunies. Que va-t-on me reprocher ? De ne rien faire ? Et bien moi j'agis ! Je donne une chance à ceux que la vie n'a pas épargné. » (j'imite bien Sarkozy, non ?)., On trouvera donc des enfants qui ont des journées de presque 11h. On attend les progrès des élèves concernés qui seront présents près de 44heures par semaine sur leur lieu de travail. Les enfants auront une durée moyenne de travail comparable à celle des cadres supérieurs mais en quatre jours seulement !

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3) Quand les principes quantiques ne s'appliquent pas à l'échelle scolaire ou quand un élève n'arrive toujours pas à être au même moment dans le bus et dans la classe !
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Reprenons, nos histoires d'horaires. Imaginez que vous êtes dans un milieu rural ou rurbain. Admettons, que les élèves en difficultés seront accueillis 3 fois 40 min après la classe de 16h30 à 17h10. Il faut régler le problème des élèves qui prennent un transport scolaire pour aller chez eux. Doit-il passer après 16h30 ou après 17h10 ? Les municipalités, non consultées par le Ministre, comme il se doit, ont le choix entre :
*organiser une garderie, et donc payer du personnel, pour garder les enfants jusqu'au passage du bus après 17h10, en attendant, on ne sait où, les copains qui travaillent dans les classes. « On ne sait où » car, si les classes sont occupées, dans quels locaux seront accueillis les élèves de la garderie ? Dehors ?
*autre solution, le bus peut passer deux fois, il faudra donc payer deux fois plus cher le transporteur, ce qui est un bon calcul en ces temps d'augmentation du prix de l'essence.
*Dernière solution, ne faire passer qu'un seul bus après 16h30 et laisser les élèves en difficultés se débrouiller.
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Vous pensez bien que c'est la dernière solution qui nous a été proposé par l'Education nationale : ce temps de soutien serait du temps péri-scolaire. C'est donc aux parents à faire en sorte de se débrouiller pour que leur enfant soit aidé. Peu importe s'il s'agit d'une famille monoparentale et que la mère (c'est souvent une mère) est sans voiture (en zone rurbaine et rurale, cela compte) ; si elle veut montrer qu'elle veut vraiment aider son enfant, elle doit faire l'effort sans quoi : « vous comprenez Madame, on vous a proposé des heures de soutien mais vous avez refusé, vous voyez vous avez signé ici − Mais, je n'avais pas de voiture et avec mon contrat de 18h dans l'agence de service à la personne, je ne peux pas gérer mes horaires − Quand on veut, on peut, Madame ».
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Appendice à la partie sur le temps qui ne concerne pas des histoires de temps
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Il y a des conséquences à cette réponse en termes d'assurance. Si l'école est obligatoire que l'élève soit assuré ou non, il en va autrement pour les activités périscolaires.
« Le chef d'établissement peut exiger une attestation d'assurance et refuser la participation de votre enfant à défaut d'assurance (une note de service n° 85-229 du 21/06/1985 et la circulaire du 29/08/1988 du Ministère de l'Education nationale préconisent en effet de subordonner la participation des élèves à la souscription d'une assurance). » (site MAIF).
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4 ) Quand le temps devient de la durée
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Vous allez maintenant observer plusieurs anomalies dans la durée du temps au sein de l'Education nationale.
24h = 22h.
60h = 50 h ou 48h ou 40 h ou 60h (mais il y a encore d'autres solutions.)
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« 24h = 22h. » comme Claude Lelièvre et moi-même l'avons déjà écrit sur ce site, les récréations ne sont jamais comptées donc, 24h de classe égale à 22h de cours. Les 8 x 15 minutes de récré sont « réparties équitablement entre toutes les disciplines ». Je n'ai jamais rencontré un enseignant qui ait réussit une répartition équitable. Au moment où j'écris, je n'ai pas encore fait mon emploi du temps mais je sais pourquoi...
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60 heures est le nombre d'heures à l'année que les enseignants doivent consacrer aux élèves en difficulté soit presque 2 heures par semaine (les fameuses deux heures en moins). Oui, « presque », entrons dans le détail...Donc ces 60h devant les élèves se décomposent en 10h de préparation pour l'enseignant en vue de la prise en charge du petit groupe d'élèves et 50 h de présence devant les élèves. Mais selon les circonscriptions cela peut être 12h / 48 h ou 20 h / 40 h. Adaptation selon les difficultés du terrain ? (Et d'ailleurs si les élèves sont plus en difficulté, faut-il plus préparer ou être présent plus longtemps ?) Non, rien avoir avec le terrain mais tout dépend des choix de l'administration.
Mais, attention si 60 h = 48 h de présence devant les élèves, 48 h égale aussi 38 h ou 28 h ou 18 h pour le directeur selon le nombre de classes. Les directeurs (groupe clef dans le déclenchement d'un mouvement de masse au sein de l'éducation car il concentre l'information sur l'école) ont eu droit à une décharge de temps pour compenser leur charge de travail.
Tout cela est bien me direz-vous. De quoi se plaint-il ? Disons qu'une réforme qui se veut rendre l'école plus lisible aux parents et uniforme sur tout le territoire (suppression du samedi matin et fin des samedis vacqués) et qui multiplie les possibilités selon les lieux et les personnes manque cruellement son but.
D'où le vrai problème que se pose l'administration. Le vrai problème n'est pas la réussite des élèves mais il s'agit de savoir si chaque enseignant fera bien toutes ses 108 heures ainsi éparpillées. J'ai dit 108 h ? Ah, oui ! En fait nous avons 48 h pour tout un tas de réunion (ce temps ne les couvre pas toutes) et de formation. Donc 60h « avec » les élèves et 48h « avec » les adultes. 24h de réunions avec les collègues, les professionnels ou les parents ; 18 h pour la formation (en fait 12h car l’Inspection n’a pas les moyens de mettre en place 18h de formation, donc 12h et 6h de « formation personnelle », par exemple, pour lire un livre…, 6h de lecture dans l’année pour un enseignant…); enfin, 6 h pour les trois conseils d'écoles avec la Mairie et les parents.
Donc, il faut vérifier ce que chaque enseignant fait dans son école. Il y a donc des papiers à remplir, à renvoyer, à re-remplir...Dans l'Hérault, il y a plus de 600 écoles pour 19 Inspecteurs soit environ 1 Inspecteur pour 253 enseignants. La tâche ne va pas être facile. Peut-on compter sur les directeurs d'école pour contrôler les enseignants, n'est-ce pas leur rôle ? Non, un directeur n'est pas un supérieur hiérarchique (ça coûterait trop cher, un chef par école), il ne fait que passer l'info aux collègues. Donc tout enseignant devra se déplacer dans son école ou celle du voisin avec ses papiers. Enseignants ! Documenti comme le dirait Léo Ferré.
« Ou celle d'à côté » ? et comme l'administration a peur que des enseignants se tournent les pouces, on propose à ceux qui n'auraient aucun élève en difficulté d'aller en voir de près, ailleurs. Notamment les enseignants de maternelle (chez les 3 et 4ans) qui ne sont jamais en difficulté. Des retards de langage et de vocabulaire ? Connaît pas. Construction du concept de quantité et de nombre ? Connaît pas.
Enseignants ! Documenti
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5 ) Quand les enseignants ont du temps pour travailler en groupe et rencontrer les parents mais sans plage horaire pour disposer de ce temps.
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Tiens, je reviens à cela avant de bientôt conclure. Nous avons donc du temps pour rencontrer les parents. Mais voyez la situation suivante. Une école n'a pas pu faire autrement que de mettre les deux heures de soutien après la classe à 16h30.
Tous ces moments où l'on échangeait avec les parents au portail, les « ça s'est bien passait aujourd'hui ! » qui rassurent ! Les « aujourd'hui, ça a été dur ! » qui appellent un mauvais regard du parent en signe de réprobation ! Les « ça y est, il a décollé ! » qui se fêtent et enfin les « on peut se voir tout de suite ? » de l'enseignant ou du parent. Fini ! Place aux « excusez-moi, j'ai un groupe à prendre tout de suite, prenons rendez-vous ? Oui, quand ? » Quand ? C'est bien la question. Car s'il y a des heures de rencontres avec les parents prévues dans les 24h e réunions, quand en disposer ? Après le soutien, bien sûr, soit environ 1 heure plus tard ! Nous allons faire revenir les parents pour une discussion de 5 minutes ? Mais l'on nous demandera si c'est grave ? Mais, il y a des choses qui ne sont pas grave et dont il faut tout de même parler. Ou alors, nous ne devons parler qu'avec les parents des élèves en difficulté. Peut-être est-ce ça « l'esprit » de la réforme.
Mais là aussi, il y a une remise en cause des élèves suivis en « équipes éducatives » (grande difficulté scolaire) et par les Maisons Départementales du Handicap. Le soutien nous prive de plages horaires pour faire ces rencontres qui parfois réclament la présence de 8 à 10 personnes selon les enfants (Parents, enseignant référent, psychologue scolaire maître E, maître G, orthophoniste, pédo-psychiatre, éducateur, responsable d’établissement spécialisé...). Au passage, je rappelle qu'il faut aussi préparer sa classe...
Mais il y a le mercredi. Sauf que nous avons des formations (très bien pas de problème). Mais faire « revenir » les collègues à l'école le mercredi matin alors que les journées avec les gamins sont longues. Alors, souvent, le mercredi devient un break salutaire, pour les enfants et pour les enseignants.
Une conséquence insoupçonnée du ce nouveau dispositif pourrait être une « baisse du rendement de l'école» conséquence d'une « décroissance de la productivité enseignante ». A réglementer chaque acte d'enseignement, à « cadrer » les moyens à mettre en œuvre pour soutenir les élèves, à contrôler jusqu'aux lectures de formation personnelle (vous vous souvenez des 6h consacrés à la « formation personnelle »!), les enseignants vont se limiter à ce qui est demandé (4 heures de rencontres avec les parents dans l'année, là encore je rigole).
Ce phénomène a déjà été observé dans les hôpitaux de Grande-Bretagne. Souhaitant augmenter l'efficacité du geste infirmier, les directions des hôpitaux ont construit un référenciel d'actes et un protocole très stricts. Conséquence, une baisse de la qualité de soin. Tous les petits soins, les petits mots dit aux patients, tout ce qui est du rapport humain et qui n'est pas quantifiable a été perdu. L'école est construite autour de relations humaines qui ne sont pas quantifiables et qui demande du temps. Donner un horaire pour tel ou tel acte, limite nécessairement les rapports humains au sein de la communauté éducative ou encore créera de la frustration chez les enseignants (« nous n'avons pas assez de temps pour... »).
L'attitude de considérer les enseignants comme des cadres (ce qu'ils sont) ayant une mission à accomplir (même si la RGPP est passée par là) aurait été préférable. Les enseignants n'ont pas besoin de temps « cadré » mais de temps exploitable. De 18h à 20h, ce n'est pas du temps exploitable. Les enseignants ne doivent pas prendre du temps pour remplir des papiers mais pour préparer leur classe et le travail pour les élèves en difficulté.
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6 ) Il est temps de conclure
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Le diable se cache dans les détails et dans cette réforme tout particulièrement. Si de disposer de deux heures avec un petit groupe d'élèves en difficultés est une bonne chose pour les élèves et une reconnaissance implicite par un gouvernement de droite qu'on ne peut faire face à la grande difficulté scolaire qu'en réduisant la taille du groupe d'élèves pour 1 enseignant (entre 2 et 5 élèves pour un groupe), on peut malheureusement « regretter » la manière dont la réforme a été conduite et les choix qui ont été faits.
Une des premières choses à faire aurait été de lisser ces 24 heures sur 5 jours afin de réduire la journée des élèves et rendre les enseignants disponibles pour le travail en équipe ou en concertation avec les parents et les professionnels de l'enfance. Un lissage des 26 h sur 5 jours et sur les vacances n'aurait pas été aussi une mauvaise chose pour tout le monde. Les heures supp. auraient pu servir à créer une « armée » pour le soutien scolaire ? Où trouver l'argent ? En supprimant les réductions d'impôts pour les familles qui ont les moyens de payer les cours privés et qui permettent le développement d'entreprises privées subventionnées indirectement par l’Etat. Nombreuses sont les mairies qui n'ont encore rien mis en place (garderie, transport...) pour aider les parents dans ces changements que craint le très à droite Président des maires de France qui demande le report d'un an de la mesure. Le coût de cette mesure pour les petites communes est énorme
Un espoir ? Que le dispositif tombe de lui même par la pagaille qu'il générera.
Une crainte ? Que le « corps social » soit si mou qu'il soit capable de tout adsorber pour minimiser l’impact pour les enfants.
Un plan d'action ? Côté enseignants : Rien ne bougera sans que les enseignants aillant vers les parents et leurs expliquent ce qui se passe. Côté politique : soit disant les mairies sont à gauche maintenant. C'est le moment de le montrer. Côté syndicats : les prochaines grèves risquent d'être un fiasco (tous les enseignants que je connais m'ont dit qu'ils en avaient marre des 4 jours de grèves par an. Certains se demandent si c'est pour combattre les réformes ou pour entretenir le statut des syndicats ?) D'autres formes d'actions existent mais rien ne sera possible si les syndicats n'incluent pas les non-syndiqués dans leurs prises de décisions.
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Enfin pour recentrer sur l'essentiel; le principal problème de cette réforme est le rythme de l'enfant. Notre combat, et les textes officiels le permettent (cf page 3 du document « décret sur la suppression du samedi matin » en fichier joint « aménagement »), c'est de mieux répartir les heures de classe sur les 5 jours et/ou sur les vacances.
A bientôt
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PS : Dans les grandes villes comme Montpellier, le pourvoir politique s’est entendu avec l’Inspection pour que toutes les écoles aient les mêmes horaires. Le conseil des maîtres n’a donc rien proposé. Les moyens financiers de la mairie permettent de rendre invisible pour les parents
la mesure.