Bonsoir,
Le présent est un tissu de mensonges.
Il ne peut être vrai qu'un parc d'attractions nommé « Heroïc Land » verra le jour en 2018 à Calais, à quelques encablures de feu la Jungle. Il ne peut être vrai que 275 millions d'euros seront donc dépensés pour transformer des hectares de terres agricoles en cité de carton-pâte habitée par des héros de jeux vidéo. Il ne peut être vrai que l’Etat, la Région et la Mairie enseignent de concert aux Calaisiennes et Calaisiens que ce projet s'avère « plus qu'un parc d'attractions, un nouveau monde », et qu'il bouleversera pour le meilleur le destin de leur ville. Il ne peut être vrai que l'association « Sauvons Calais », si ouvertement xénophobe, se félicite de la création d'une telle étrangeté urbaine et de sa vocation à attirer des visiteurs du monde entier. Il ne peut être vrai que, il y a deux semaines, alors que jusque dans les journaux chinois était annoncée la destruction imminente de la Jungle, la Maire de Calais se trouvait à Pékin afin de convaincre des investisseurs de parier sur ce chantier d'avenir.
Il ne peut être vrai qu'à Paris, le 4 novembre à 5 heures du matin, l'on a fait usage de la force afin de convaincre 3 000 personnes que l’on organisait leur accueil en les chassant de leurs abris. Il ne peut être vrai qu’en une seule semaine l’on a mobilisé des centaines de bus pour transporter des milliers de personnes en provenance de Calais et de Paris jusque dans des centaines de centres réquisitionnés dans des dizaines de régions. Il ne peut être vrai que l'on a affirmé qu'il s'agissait là d'une solution raisonnable et rationnelle, qu'hospitalité était ainsi dignement faite, que les riverains de France et de Navarre seraient dans ces conditions spontanément bienveillants, et que sur les territoires de Paris comme de Calais nulle installation dite « indigne » ne réapparaîtrait dans les jours à venir. Il ne peut être vrai que l'on a dans le même temps poursuivi la construction en bordure du boulevard périphérique d'un centre dit « pour migrants » de 400 places pour un coût de 6,5 millions d'euros. Il ne peut être vrai que la Mairie de Paris, maître d'ouvrage de ce dit « camp humanitaire », a déversé sur les trottoirs alentours des tonnes de rochers anti-camp et installé à Stalingrad des montagnes de barrières et dispositifs anti-migrants dont on ne mesure pas le coût. Il ne peut être vrai que les personnes qui oseront malgré telle férocité revenir demain sur le sol parisien seront dirigées dans ce dit « camp humanitaire », dispositif architectural anti-urbain bien que télégénique. Il ne peut être vrai qu’après un maximum de dix jours de dit « travail social », elles seront réorientées vers les centres qu'elles auront osé quitter la veille. Il ne peut être vrai que parmi les innombrables parisiens solidaires risquant depuis des mois, voire des années, des gestes, des actes, des formes d’hospitalité, nul n’a jusqu’alors été considéré comme crucial expert et éclaireur des acteurs publics en ces matières.
Le présent est un tissu de mensonges sans avenir.
Au PEROU nous habitons un tout autre présent. Alors, avec celles et ceux que nous y retrouvons, nous nous efforçons de le cultiver en vue de lui donner force et formes de réalité.
A Calais, nous avons reconnu mi-octobre l'existence d'une Autre Mairie de Calais. Cette institution d'avant-garde se compose de quatre étudiants de l'Ecole des Arts Politiques de Sciences Po Paris. Elle a pour mission, jusqu'à fin avril 2017, de faire vivre et retentir l'appel à idées « Réinventer Calais » élaboré sur la base de « L’Atlas d’une cité potentielle » finalisé il y a deux mois (consultable ici). Le 2 novembre elle était invitée à Remscheid en Allemagne par le European Network of Observatories in the Field of Arts et Cultural Education. Elle poursuivra ses visites diplomatiques dans les semaines à venir à Venise comme à Athènes. Nous lançons donc un appel aux architectes, artistes, urbanistes, poètes, designers et autres créateurs afin que soient adressées à cette Autre Mairie de Calais des réponses multiples aux 9 sujets de « Réinventer Calais » (lire l'appel et les pièces à conviction de celui-ci ici). Fin avril 2017, cette autorité nécessaire donnera forme manifeste aux réponses obtenues afin que soient rendues pensables et possibles d'autres politiques publiques enfin.
En écho à l'action de l'Autre Mairie de Calais, le PEROU a fait résonner ces derniers jours le Discours que n'a pas (encore) tenu la Maire de Calais sur la scène du VIVAT à Armentières comme au Théâtre Antoine Vitez d'Ivry-sur-Seine. Puisqu'il faut que cela s'entende enfin, nous lançons un appel aux compagnies de danse, théâtre, cirque, etc afin que les soirs de spectacle elles prononcent, pour les rendre présentes, ces 6 minutes de paroles absentes (à lire ici ; à écouter, lu par Juliette Binoche, ici). En accompagnement de la mission de l'Autre Mairie de Calais, le PEROU continue en outre de colporter l'Autre Calais Mag. Présenté notamment au Château Royal de Blois (voir ici), ce magazine municipal que la Mairie de Calais a qualifié de « plagiat qui nuit à l’image de la ville » a reçu le 13 octobre le prix spécial du jury des Beffrois de la création, récompense d'architecture et urbanisme décernée par l'Ordre des Architectes du Nord Pas-de-Calais et les CAUE de la région. Preuve, s'il en était besoin, que ces 32 pages s'avèrent aussi sérieuses que nécessaires (voir ici).
A Paris, nous avons décrété l'existence d'une école sans lieu, et déclenché pour ce faire une action pédagogique proliférante réunissant potentiellement toutes les écoles environnantes. Parce que l’impuissance et la misère des politiques publiques conduites ici-mêmes font insulte à la puissance et la richesse de cette jeunesse désireuse qui peuple les écoles et universités franciliennes et qui, demain, magnifiera ce territoire. Cette Ecole des Situations se compose depuis fin octobre d'étudiants artistes, designers, architectes, scénographes de l'Ensad et de l'ENSA Paris Malaquais. A partir de janvier, elle s'augmentera d'étudiants en géographie et aménagement du territoire de la Sorbonne. A l'articulation de ces premiers groupes de recherche et d'expérimentation, nous travaillons avec les réfugiés de Stalingrad en collaboration avec le BAAM / Bureau d'accueil et d'accompagnement des migrants (lire le récit du premier cours ici), avec des habitants d'un bidonville de la Porte d'Aubervilliers en collaboration avec le collectif MU, avec deux sans-abri vivant dans une dent creuse dans le 11e arrondissement en collaboration avec le Collectif 3 couronnes. Puisqu’il faut que prolifère cette action pédagogique hors les murs, nous lançons un appel aux étudiants, enseignants, chercheurs, écoles, afin que de nouveaux groupes nous rejoignent ici ou là, et qu'apparaisse au centuple cette Ecole des Situations, et qu'école de pensée constructive soit faite alors en contrefeu des opérations sans vision qui prévalent aujourd’hui, poursuivant une défaite.
En France, nous venons de déclarer la création de Consulats du PEROU dans une dizaine d’écoles et universités d'art, de design, d'architecture, de sciences humaines et sociales. Ces institutions ont pour fonction de documenter, consigner, relever, mais aussi déclencher, expérimenter, risquer des formes, gestes, espaces d'hospitalité. Ainsi doivent-elles nourrir pour les mois et années à venir un répertoire des actes constructifs, de quelque échelle et nature que ce soit, révélant la potentialité de notre présent. Ainsi doivent-elles constituer un fécond trésor public à même de faire éclore une pensée comme des formes renouvelées de politiques d'hospitalité. Puisque les récits du désastre et de tout ce qui s’écroule menacent de nous accabler, nous lançons un appel aux écoles de France et de Navarre afin que soit créé en leur sein un Consulat du PEROU au travail de renverser les évidences. Ainsi prendront-elles part à cette recherche collective qui, régulièrement, fera l'objet de publications sous la forme de « guides pratiques » d'hospitalité à l'usage de celles et ceux qui ne se retrouvent pas dans le présent qui nous sert aujourd'hui de réalité. A Tours, Paris, Aix-en-Provence, Sèvres ou encore Lille, des consuls oeuvrent d'ores et déjà. De nouveaux doivent survenir, répondant à l’appel lisible et partageable ici.
De cet autre présent, nous débattrons les semaines à venir à l'occasion de rencontres publiques que nous organiserons et systématiserons dans des théâtres, centres d'art, cinémas, et autres écoles alentour. D'ici là, nous nous retrouvons le mardi 8 novembre à 19h à la Colonie, lieu ouvert par Kader Attia au 128 rue Lafayette dans le 10e arrondissement de Paris, où sera notamment présenté le dernier numéro de la revue Multitudes intitulé « Migrants / Habitants : urbanités en construction », numéro auquel contribuent de nombreux membres du PEROU (voir la présentation du numéro ici). D'ici là, nous nous retrouverons avec le collectif Lille 3 New-Jungle, consul du PEROU à Lille, pour une rencontre le mardi 15 novembre à 17h. D'ici là, nous répéterons combien il nous faut apprendre et comprendre que les réfugiés de toutes parts augmentent notre réalité urbaine et percent l’invraisemblable présent de perspectives d'avenir, qu'il nous faut savoir cultiver. Tel est le sens d'un entretien re-paru début novembre sur le site Lumières de la Ville (lire ici), et de ce que quotidiennement nous publions sur nos pages Facebook et Twitter (@perouparis).
Reste à noter que par simple retour d'email, il est possible d'obtenir la désinscription de cette lettre d'information mensuelle parce qu’elle est trop longue.
A bientôt, ici ou ailleurs.