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Billet de blog 28 avril 2017

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Lamamra affirme que le régime algérien est une dictature - par Youcef Benzatat

C’est le propre de tout totalitarisme de concevoir une seule réalité dans la parole publique et que seul le pouvoir en est le dépositaire et à même d’être le seul autorisé à la déclamer.

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28 AVRIL 2017 - PAR YOUCEF BENZATAT

Illustration 1

« Emmanuel Macron est notre ami, c'est un ami de l'Algérie, et c'est la réalité » avait déclaré Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères algériennes, au lendemain de la victoire de ce dernier au premier tour des élections présidentielles françaises, avec une très forte option d’être élu Président de la République de ce pays dans quelques jours.

Cette déclaration est une assertion qui ne peut être tenue pour une réalité ou comme il le dit lui-même « la réalité ». Car, pour que ce sentiment soit véritablement la réalité, il faudra qu’il soit validé par l’accord de l’ensemble des destinataires. Il s’agit en fait d’une déclaration performative, au sens ou l’entend le philosophe John L. Austin, à savoir « Quand dire, c’est faire ». C’est une figure de langage qui traduit une certaine forme d’autoritarisme de la part de son locuteur. Je vous dis que Macron est l’Ami de l’Algérie. Il est l’ami de l’Algérie et ça ne peut pas être autrement. Il devient l’ami de l’Algérie par le fait même d’avoir été désigné en cette qualité d’ami. Il s’agit bien là d’une forme de déclaration performative émanant d’un locuteur autoritaire. De ce fait, il s’autoproclame dépositaire de l’autorité pour parler à la place des destinataires sans même leur accord. Sachant qu’en aucun cas il n’a été mandaté par un quelconque suffrage universel auquel ont participé les destinataires de cette déclaration. Généralement, la majorité des destinataires à laquelle cette déclaration a été adressée, soit ils se sont abstenus au vote lors de l’organisation du suffrage par lequel il était censé être désigné dans son rôle, soit ils contestent l’honnêteté des résultats pour fraude, ou alors, ils contestent même la légitimité de l’organisation de ces suffrages.

De plus, avant même que la qualité d’ami de l’Algérie ne soit attribuée à Macron, Lamamra ne s’embarrasse pas de l’attribuer dans un premier temps à un « nous » quelque peu énigmatique : « Emmanuel Macron est notre ami… » Le notre ici renvoie au nous. Quelque chose qui vient avant l’Algérie, comme l’indique l’ordre de l’énonciation de sa phrase, quelque chose qui serait une composante restreinte de ses membres, dont il est le porte-parole. Un confrère l’avait à ce propos qualifié à juste raison de « publiciste » de ce nous. Un nous dont la parole est un acte et qui ne peut être contredite. Puisque c’est le nous qui déclare. Ce nous peut aussi bien renvoyer à un clan, à un système ou tout autre groupe dominant autoproclamé et dépositaire de l’autorité de l’énonciation de la parole publique. Il ne s’agit en fait, ni plus, ni moins, que du pouvoir dont il est le Ministre des Affaires étrangères. Cette répétition du même dans la déclaration, « notre ami » et « l’ami de l’Algérie », qui ne l’est que d’apparence, s’apparente à ce que les psychanalystes appellent un acte manqué, à savoir, l’accomplissement accidentel du désir, qui se confirme dans l’ordre de l’acte d’énonciation. D’abord le nous avec un « n » minuscule, « notre ami », ensuite l’Algérie, qui serait le Nous avec un « N » majuscule et qui serait le peuple algérien. L’ordre d’énonciation de cette qualité d’amitié renvoie à ce désir inconscient de préciser que Macron est l’ami du pouvoir algérien avant d’être celui de l’Algérie.

Enfin, la déclaration en question s’achève par l’affirmation qu’il s’agit dans ce cas de l’unique réalité possible : « Emmanuel Macron est notre ami, c'est un ami de l'Algérie, et c'est la réalité. » A savoir, qu’il ne peut y avoir une quelconque autre réalité possible. C’est le propre de tout totalitarisme de concevoir une seule réalité dans la parole publique et que seul le pouvoir en est le dépositaire et à même d’être le seul autorisé à la déclamer. Qu’il serait inadmissible qu’il y a une autre réalité envisageable. En d’autres termes, il ne peut y avoir d’autres représentants de l’Algérie que « notre » pouvoir. Qu’il est impensable qu’il puisse y avoir d’autres représentants. Une affirmation que le régime algérien est une dictature et qu’il ne peut s’accommoder avec le pluralisme politique. En même temps qu’il reconnaît à Macron d’appartenir à un régime démocratique, puisque cette qualité d’amitié n’est pas adressée à la France, mais seulement à Macron, tout en reprochant aux autres candidats à l’élection présidentielle de ce pays de ne pas avoir manifesté leur amitié en se rendant en Algérie pendant leur compagne électorale.

Bien qu’on soit en droit de penser, qu’il se pourrait que Lamamra ne soit pas sincère dans sa déclaration et n’a fait que distribuer un blanc-seing au nouveau pouvoir français qui se dessine en perspective de ces élections présidentielles. Sachant que le probable futur président français n’est qu’une marionnette entre les mains de très dangereux lobbys, comme l’a été l’ancien président Nicolas Sarkozy, qui a fini son mandat dans une folie meurtrière et destructrice envers un Etat souverain, en l’occurrence, la Libye de Mouammar Kadhafi et qu’elle a été précédée d’une lune de miel des plus spectaculaires. Une agression motivée par la même vulnérabilité qui caractérise l’Algérie aujourd’hui, celle qui est due pour l’essentiel à la nature de son régime politique. Que ce soit l’une ou l’autre réalité non avouée, le pouvoir, à travers son publiciste, Lamamra, demeure le seul locuteur à dire cette réalité. C’est donc à cette affirmation, que le régime algérien est une dictature, à laquelle nous convie Lamamra dans sa déclaration d’amitié avec Macron.

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