Semcheddine

Professeur de Thermodynamique à l'Ecole Polytechnique Alger

Abonné·e de Mediapart

465 Billets

1 Éditions

Billet de blog 12 janvier 2024

Semcheddine

Professeur de Thermodynamique à l'Ecole Polytechnique Alger

Abonné·e de Mediapart

Professeur   Ramdane  Belabbes :  Un gardien du temple  tire sa révérence

Quand un savant meurt , c’est une bibliothèque qui brûle Proverbe africain

Semcheddine

Professeur de Thermodynamique à l'Ecole Polytechnique Alger

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un coup d’éclair  dans un  jour morose J’apprends que  le  Ramdane  Belabbes est mort ! Il  est parti sans nous prévenir !  Nous sommes attérés par cette nouvelle . Ses amis et  ses élèves ils sont  nombreux sont sous le choc  Un mot pour le présenter    modestie,   humilité icône  du travail bien fait  pour des générations d’élèves  Je vois défiler devant mes yeux quelques pasages fugaces de mon compagnonnage  d’un quart de siècle avec lui.

 Qui est  Ramdane Belabbes ?

 C’est d’abord un enfant de cet Algérie profonde balloté par l’existence durant la guerre et qui l’indépendance. Venue rejoint le pays .  Ce ne fut pas facile pour lui ! de lutter si ce n’est scientifiquement . Après son baccalauréat il intègre l’Ecole Polytechnique , choisit la filière génie chimique et décroche  le diplôme  d’ingénieur  en 1969 . Nos parcours furent alors parallèles et je vais rapidement décrire  Ramdane Belabbes choisit le savoir  au lieu  de faire carrière dans l’entreprise à l’époque l’Algérie avait besoin d’ingénieur . Il s’inscrivit en  DEA à la faculté d’Alger , dans la foulée il  s’inscrivit   pour une thèse  d’abord de doctorat ingénieur   et de doctorat d’état qu’il soutint à l’Université Claude Bernard de Lyon en 1980.

Son parcours en tant qu’enseignant fut lumineux  en cinétique et en méthodes physiques d’analyses  Il sera aussi la référence concernant les méthodes d’analyses 1994 la période la plus atroce de la décennie noire, malgré cela il venait enseignait ; Une contrainte majeure l’obligea à tout quitter à savoir une carrière  bâtie de haute lutte,  un titre de professeur titulaire un relatif  confort . Il  s’installa difficilement à Marseille et pu décrocher un poste de chercheur dans sa spécialité d’analyses de notamment en chromatographie en phase gazeuse tout en continuant à suivre les thèses qu’il encadrait à Alger.   Il m'a demandé de  faire soutenir ces thèses 

 Pour témoigner, pour faire part de leur reconnaissance au Maître qui, pendant 50 ans de sa vie, a servi la science,   depuis l´indépendance de l´Algérie dans ce qu´elle a de plus précieux: la formation des hommes, seule ressource pérenne quand la rente ne sera plus là  Le professeur Ramdane Belabbes  fut l’une des  chevilles ouvrières de l´implantation de la technologie dans le pays.   Pendant son sacerdoce  d’un quart de siècle à l’Ecole  le professeur Belabbes  a été de tous les combats de l´esprit, les combats contre l´ignorance  Avec son humilité proverbiale il a marqué des  centaines d´Algériens qui se rappellent tous sa rigueur morale et son intransigeance en éthique. Pour rappel, L´Ecole Polytechnique ayant été chargé de mettre ne place la carte universitaire  L’Ecole Polytechnique C´est près de 20.000 ingénieurs formés, Plusieurs milliers de magisters et de masters, plus de deux cent   thèses de doctorat.  

 Le Chercheur et le  responsable de la scolarité et de la Recherche

  Il eut à refuser, par la suite, plusieurs postes, préférant garder son indépendance et se consacrer à ce qu’il sait faire de mieux, l’enseignement et la recherche  Il dérogea deux fois une première fois en acceptant le poste stratégique de vice recteur de la scolarité à l’USTHB naissante. Il poussait la minutie jusqu’à contrôler un à un les milliers de dossiers de scolarité. Mieux encore, il ne délégua aucun pouvoir au point que c’est lui qui signe les attestations de scolarités  et aucun moyen de négocier avec lui. Il restait tard au bureau et ceci au début de l’année 1980 tout juste après avoir acquis de haute lutte son doctorat

 La deuxième dérogation, à ma demande  en tant que directeur de l’Ecole en juillet 1983 il accepta de m‘aider à occuper le poste stratégique de la Direction adjointe de la Post Graduation et de la Recherche. Je retiens de son apport deux actions fondamentales le développement de la recherche , voulant absolument séparer les actions de  gestion de celle de la recherche j’ai pu convaincre le ministre Brerehi de permettre un deuxième ordonnateur du budget   de la recherche. C’est lui le responsable en tant que président du Conseil Scientifique,  même en tant que directeur je n’y  assistais qu’en tant que membre ! Je me souvient de l’apport important du professeur dans la gestion des concours !

 Imaginez un concours pour deux cent places avec 2000 candidats ; les sujets étaient  choisis  apprêtés et rédigés de la belle écriture du professeur Ramdane Belabbes  le jour même tirés à l’aube , le même scénario est fait pour les épreuves de l’après midi  Les copies sous bonne garde sont corrigés le lendemain toute la journée et le soir même vers  20 heures les résultats étaient affichés une copie était envoyée au journal El Moudjahid pour paraitre aussi le lendemain , coupant cours à toute révision des listes…  

 La formation des formateurs fut un autre chantier de l’Ecole auquel il a participé  par la mise en place d´un plan permettant là encore de pourvoir à l´encadrement des enseignements en technologie. J’avais  une confiance absolue  en mon collègue au point, que plusieurs fois , il me contredisait pour la bonne cause et je m’en remettais de bonne grâce à son jugement

 Conclusion  en hommage à ce gardien du Temples  un plaidoyer pour le futur

Taiseux mais très perspicace et sans illusion sur le sytème éducatif , il me rapporta une petite situaiton qu'il a vécue. Ayant participé à une thèse de doctorat à l'Université de Tlemcen, il profita de cette opportunité, pour aller visiter l'université d'Oudja . Il put constater le statut social de l'enseignant en fonction de son grade. Les professeurs à titre d'exemple travaillaient dans des conditions  sociales exceptionnelles; Cet état de fait était inscrit dans le gène de la société à savoir le respect du savoir.. Avec son élocution lente et avec un air rieur, il me disait que quand il se présentait  souvent  auprès de personnes, il déclarait, " je suis professeur hachakoum"  "je suis professeur avec respect que je vous dois de ne pas dire un mot déplacé" martelant par là le désespoir de  la condition des enseignants  dans une société qui ne  reconnait pas en eux les gardiens du Temple du savoir dont la dure mission est de former l'élite de demain..

Pour la jeune génération qui a peut-être entendu parler du professeur Belabbes,  hors-pair, pétri aussi d’humanités mais très réservé  comme on dit c’était un taiseux qui préférait agir par les actes   ,  il fit à sa façon, un djihad d’enseignement et der recherche sur tous les fronts où il fallait se battre contre l’ignorance, édifier, instruire, éduquer et pendant toute sa carrière donner l’exemple de l’humilité et de la force tranquille.   Je restitue dans ce qui suit, quelques réflexions   Epoque bénie que l’enseignement de l’époque, où nous devions prouver au quotidien que nous pouvions suivre les études, par le travail en dehors de toute interférence  qui a fait tant de mal à l’université algérienne.    Sans verser dans une nostalgie qui, d’une certaine façon, a tendance à embellir le passé, il faut bien convenir qu’il y a des efforts à faire pour renouer avec  des  valeurs, qui étaient note ;  celles de la compétence, de l’humilité du travail bien fait, de la sueur, en un mot, du mérite  

 Pour affronter l’avenir en terme de science et de technologie nous devrons graduellement faire émerger  de nouvelles légitimités pour garder un vivier de savoir en permanence Notre pays il serait indiqué de rendre un hommage appuyé à toutes ces vraies lumières ces «sans-grade» dans l’échelle actuelle des valeurs, mais qui ont tant fait pour le pays. La réhabilitation de l’université et des «gardiens du Temple» serait, à n’en point douter, un signe fort d’une nouvelle vision de société qui   serait   basée sur les critères   de  morale et de  compétence, seule ceinture de sécurité et seules défenses immunitaires pour le pays, dans le monde dangereux qui frappe à  nos portes

 Ramadane Belabbes y participera en allant inlassablement porter la bonne parole dans des soutenances de thèses , des encadrements et des conférences    Ramdane c’est aussi un gardien du Temple dont ce qu’il a  de rigoureux  c´est aussi une tradition universitaire faite d´éthique et de rigueur, qui risque de se perdre si elle n´est pas confortée au quotidien.  Ayons confiance en nous-mêmes, départissons-nous avant tout de toute fatalité nous pouvons réussir nous devons réussir  car les défis du pays sont immenses. On l´aura compris,   le regard des gouvernants concernant l´université  décidera de l’avenir du pays sinon  rien de pérenne ne sera construit   nous sommes un pays émergent- que nous irons vers l´avènement de l´intelligence, de l´autonomie.  . «Demain se prépare ici et maintenant!».

 Nous ne pouvons qu’exprimer notre propre chagrin devant cette perte cruelle et notre profond désarroi devant  la mort de cette éminence grise qui a marqué des dizaines de milliers d’Algériens qui ont été ses élèves, qui l’ont connu et apprécié sa rigueur au point que chacun se sent d’une certaine façon un héritier. Notre pays s’honorerait à ne pas   laisser « partir » sans leur rendre hommage  ces piliers  respectables  Le djihad  des  enseignants contre l’ignorance est un djihad toujours recommencé, c’est, d’une certaine façon, le «grand djihad» sans médaille,  sans bousculade pour des postes honorifiques qui ne sont pas le fruit d’une quelconque compétence, 

 La flamme du savoir ne doit pas s´éteindre avec la disparation du professeur Belabbes et de tant autres besogneux sortis du même moule  Le pays s´honorerait en rendant les honneurs à ces  patriotes   du savoir authentique ces  aristocrates de la pensée, à ces fiers Algérien qui firent le grand djihad, celui de combattre inlassablement l´ignorance en entretenant à sa façon la flamme  fragile du savoir loin des feux de la rampe.  Pour cela et par fidélité au sacerdoce du professeur Ramdane Belabbes  et à tout ceux qui ont donné le meilleur d´eux-mêmes à ce pays, nous devons, par notre rigueur scientifique et pouvons véritablement être des acteurs de la vie de notre pays.  Pour cela nous militons pour que l’université que soit associée  dans l’évaluation des grands choix technologiques pour le pays. L’Université a le  potentiel, elle souhaite qu´on lui fasse confiance pour qu´elle continue à donner la pleine mesure de son talent.

 Pour nous, Ramdane Belabbes  est un citoyen du monde au sens où il a rendu service en éclairant, en éduquant, en tentant inlassablement d´inculquer des valeurs et de ne pas tomber dans le piège des compromis, voie royale vers la compromission. Il dépasse de loin le cadre étroit du pays et s´inscrit assurément dans la lignée de tous ceux qui ont servi l´humanité en tentant de la «civiliser» dans un monde de plus brutal où seule le droit de la force existe

 Il me vient à l’esprit de  lui rendre hommage comme à  des maitres qui  de par ! leur action mais invisibles  socialement, en convoquant Brassens et son fameux poème intitulé Pauvre Martin  adaptée pour la cause à la gentillesse l’abnégation et le souci de faire d’une façon parfaite son travail  sans laisser voir sur son visage ni l’air jaloux ni l’air méchant

« Avec, à l'âme, un grand courage Il s'en allait trimer aux champs

Pour gagner le pain de sa vie De l'aurore jusqu'au couchant

Il s'en allait bêcher la terre En tous les lieux, par tous les temps

Sans laisser voir, sur son visage Ni l'air jaloux ni l'air méchant

Et quand la mort lui a fait signe De labourer son dernier champ

Il creusa lui-même sa tombe En faisant vite, en se cachant

Et s'y étendit sans rien dire  Pour ne pas déranger les gens

Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps »

Adieu Ramdane, repose toi en paix tu as donné le meilleur de toi-même au pays puisse ton sacerdoce servir d’exemple   inspirant. Que Dieu le tout puissant te fasse miséricorde !

Professeur Chems Eddine Chitour

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.