Un coup d’éclair dans un jour morose J’apprends que le Ramdane Belabbes est mort ! Il est parti sans nous prévenir ! Nous sommes attérés par cette nouvelle . Ses amis et ses élèves ils sont nombreux sont sous le choc Un mot pour le présenter modestie, humilité icône du travail bien fait pour des générations d’élèves Je vois défiler devant mes yeux quelques pasages fugaces de mon compagnonnage d’un quart de siècle avec lui.
Qui est Ramdane Belabbes ?
C’est d’abord un enfant de cet Algérie profonde balloté par l’existence durant la guerre et qui l’indépendance. Venue rejoint le pays . Ce ne fut pas facile pour lui ! de lutter si ce n’est scientifiquement . Après son baccalauréat il intègre l’Ecole Polytechnique , choisit la filière génie chimique et décroche le diplôme d’ingénieur en 1969 . Nos parcours furent alors parallèles et je vais rapidement décrire Ramdane Belabbes choisit le savoir au lieu de faire carrière dans l’entreprise à l’époque l’Algérie avait besoin d’ingénieur . Il s’inscrivit en DEA à la faculté d’Alger , dans la foulée il s’inscrivit pour une thèse d’abord de doctorat ingénieur et de doctorat d’état qu’il soutint à l’Université Claude Bernard de Lyon en 1980.
Son parcours en tant qu’enseignant fut lumineux en cinétique et en méthodes physiques d’analyses Il sera aussi la référence concernant les méthodes d’analyses 1994 la période la plus atroce de la décennie noire, malgré cela il venait enseignait ; Une contrainte majeure l’obligea à tout quitter à savoir une carrière bâtie de haute lutte, un titre de professeur titulaire un relatif confort . Il s’installa difficilement à Marseille et pu décrocher un poste de chercheur dans sa spécialité d’analyses de notamment en chromatographie en phase gazeuse tout en continuant à suivre les thèses qu’il encadrait à Alger. Il m'a demandé de faire soutenir ces thèses
Pour témoigner, pour faire part de leur reconnaissance au Maître qui, pendant 50 ans de sa vie, a servi la science, depuis l´indépendance de l´Algérie dans ce qu´elle a de plus précieux: la formation des hommes, seule ressource pérenne quand la rente ne sera plus là Le professeur Ramdane Belabbes fut l’une des chevilles ouvrières de l´implantation de la technologie dans le pays. Pendant son sacerdoce d’un quart de siècle à l’Ecole le professeur Belabbes a été de tous les combats de l´esprit, les combats contre l´ignorance Avec son humilité proverbiale il a marqué des centaines d´Algériens qui se rappellent tous sa rigueur morale et son intransigeance en éthique. Pour rappel, L´Ecole Polytechnique ayant été chargé de mettre ne place la carte universitaire L’Ecole Polytechnique C´est près de 20.000 ingénieurs formés, Plusieurs milliers de magisters et de masters, plus de deux cent thèses de doctorat.
Le Chercheur et le responsable de la scolarité et de la Recherche
Il eut à refuser, par la suite, plusieurs postes, préférant garder son indépendance et se consacrer à ce qu’il sait faire de mieux, l’enseignement et la recherche Il dérogea deux fois une première fois en acceptant le poste stratégique de vice recteur de la scolarité à l’USTHB naissante. Il poussait la minutie jusqu’à contrôler un à un les milliers de dossiers de scolarité. Mieux encore, il ne délégua aucun pouvoir au point que c’est lui qui signe les attestations de scolarités et aucun moyen de négocier avec lui. Il restait tard au bureau et ceci au début de l’année 1980 tout juste après avoir acquis de haute lutte son doctorat
La deuxième dérogation, à ma demande en tant que directeur de l’Ecole en juillet 1983 il accepta de m‘aider à occuper le poste stratégique de la Direction adjointe de la Post Graduation et de la Recherche. Je retiens de son apport deux actions fondamentales le développement de la recherche , voulant absolument séparer les actions de gestion de celle de la recherche j’ai pu convaincre le ministre Brerehi de permettre un deuxième ordonnateur du budget de la recherche. C’est lui le responsable en tant que président du Conseil Scientifique, même en tant que directeur je n’y assistais qu’en tant que membre ! Je me souvient de l’apport important du professeur dans la gestion des concours !
Imaginez un concours pour deux cent places avec 2000 candidats ; les sujets étaient choisis apprêtés et rédigés de la belle écriture du professeur Ramdane Belabbes le jour même tirés à l’aube , le même scénario est fait pour les épreuves de l’après midi Les copies sous bonne garde sont corrigés le lendemain toute la journée et le soir même vers 20 heures les résultats étaient affichés une copie était envoyée au journal El Moudjahid pour paraitre aussi le lendemain , coupant cours à toute révision des listes…
La formation des formateurs fut un autre chantier de l’Ecole auquel il a participé par la mise en place d´un plan permettant là encore de pourvoir à l´encadrement des enseignements en technologie. J’avais une confiance absolue en mon collègue au point, que plusieurs fois , il me contredisait pour la bonne cause et je m’en remettais de bonne grâce à son jugement
Conclusion en hommage à ce gardien du Temples un plaidoyer pour le futur
Taiseux mais très perspicace et sans illusion sur le sytème éducatif , il me rapporta une petite situaiton qu'il a vécue. Ayant participé à une thèse de doctorat à l'Université de Tlemcen, il profita de cette opportunité, pour aller visiter l'université d'Oudja . Il put constater le statut social de l'enseignant en fonction de son grade. Les professeurs à titre d'exemple travaillaient dans des conditions sociales exceptionnelles; Cet état de fait était inscrit dans le gène de la société à savoir le respect du savoir.. Avec son élocution lente et avec un air rieur, il me disait que quand il se présentait souvent auprès de personnes, il déclarait, " je suis professeur hachakoum" "je suis professeur avec respect que je vous dois de ne pas dire un mot déplacé" martelant par là le désespoir de la condition des enseignants dans une société qui ne reconnait pas en eux les gardiens du Temple du savoir dont la dure mission est de former l'élite de demain..
Pour la jeune génération qui a peut-être entendu parler du professeur Belabbes, hors-pair, pétri aussi d’humanités mais très réservé comme on dit c’était un taiseux qui préférait agir par les actes , il fit à sa façon, un djihad d’enseignement et der recherche sur tous les fronts où il fallait se battre contre l’ignorance, édifier, instruire, éduquer et pendant toute sa carrière donner l’exemple de l’humilité et de la force tranquille. Je restitue dans ce qui suit, quelques réflexions Epoque bénie que l’enseignement de l’époque, où nous devions prouver au quotidien que nous pouvions suivre les études, par le travail en dehors de toute interférence qui a fait tant de mal à l’université algérienne. Sans verser dans une nostalgie qui, d’une certaine façon, a tendance à embellir le passé, il faut bien convenir qu’il y a des efforts à faire pour renouer avec des valeurs, qui étaient note ; celles de la compétence, de l’humilité du travail bien fait, de la sueur, en un mot, du mérite
Pour affronter l’avenir en terme de science et de technologie nous devrons graduellement faire émerger de nouvelles légitimités pour garder un vivier de savoir en permanence Notre pays il serait indiqué de rendre un hommage appuyé à toutes ces vraies lumières ces «sans-grade» dans l’échelle actuelle des valeurs, mais qui ont tant fait pour le pays. La réhabilitation de l’université et des «gardiens du Temple» serait, à n’en point douter, un signe fort d’une nouvelle vision de société qui serait basée sur les critères de morale et de compétence, seule ceinture de sécurité et seules défenses immunitaires pour le pays, dans le monde dangereux qui frappe à nos portes
Ramadane Belabbes y participera en allant inlassablement porter la bonne parole dans des soutenances de thèses , des encadrements et des conférences Ramdane c’est aussi un gardien du Temple dont ce qu’il a de rigoureux c´est aussi une tradition universitaire faite d´éthique et de rigueur, qui risque de se perdre si elle n´est pas confortée au quotidien. Ayons confiance en nous-mêmes, départissons-nous avant tout de toute fatalité nous pouvons réussir nous devons réussir car les défis du pays sont immenses. On l´aura compris, le regard des gouvernants concernant l´université décidera de l’avenir du pays sinon rien de pérenne ne sera construit nous sommes un pays émergent- que nous irons vers l´avènement de l´intelligence, de l´autonomie. . «Demain se prépare ici et maintenant!».
Nous ne pouvons qu’exprimer notre propre chagrin devant cette perte cruelle et notre profond désarroi devant la mort de cette éminence grise qui a marqué des dizaines de milliers d’Algériens qui ont été ses élèves, qui l’ont connu et apprécié sa rigueur au point que chacun se sent d’une certaine façon un héritier. Notre pays s’honorerait à ne pas laisser « partir » sans leur rendre hommage ces piliers respectables Le djihad des enseignants contre l’ignorance est un djihad toujours recommencé, c’est, d’une certaine façon, le «grand djihad» sans médaille, sans bousculade pour des postes honorifiques qui ne sont pas le fruit d’une quelconque compétence,
La flamme du savoir ne doit pas s´éteindre avec la disparation du professeur Belabbes et de tant autres besogneux sortis du même moule Le pays s´honorerait en rendant les honneurs à ces patriotes du savoir authentique ces aristocrates de la pensée, à ces fiers Algérien qui firent le grand djihad, celui de combattre inlassablement l´ignorance en entretenant à sa façon la flamme fragile du savoir loin des feux de la rampe. Pour cela et par fidélité au sacerdoce du professeur Ramdane Belabbes et à tout ceux qui ont donné le meilleur d´eux-mêmes à ce pays, nous devons, par notre rigueur scientifique et pouvons véritablement être des acteurs de la vie de notre pays. Pour cela nous militons pour que l’université que soit associée dans l’évaluation des grands choix technologiques pour le pays. L’Université a le potentiel, elle souhaite qu´on lui fasse confiance pour qu´elle continue à donner la pleine mesure de son talent.
Pour nous, Ramdane Belabbes est un citoyen du monde au sens où il a rendu service en éclairant, en éduquant, en tentant inlassablement d´inculquer des valeurs et de ne pas tomber dans le piège des compromis, voie royale vers la compromission. Il dépasse de loin le cadre étroit du pays et s´inscrit assurément dans la lignée de tous ceux qui ont servi l´humanité en tentant de la «civiliser» dans un monde de plus brutal où seule le droit de la force existe
Il me vient à l’esprit de lui rendre hommage comme à des maitres qui de par ! leur action mais invisibles socialement, en convoquant Brassens et son fameux poème intitulé Pauvre Martin adaptée pour la cause à la gentillesse l’abnégation et le souci de faire d’une façon parfaite son travail sans laisser voir sur son visage ni l’air jaloux ni l’air méchant
« Avec, à l'âme, un grand courage Il s'en allait trimer aux champs
Pour gagner le pain de sa vie De l'aurore jusqu'au couchant
Il s'en allait bêcher la terre En tous les lieux, par tous les temps
Sans laisser voir, sur son visage Ni l'air jaloux ni l'air méchant
Et quand la mort lui a fait signe De labourer son dernier champ
Il creusa lui-même sa tombe En faisant vite, en se cachant
Et s'y étendit sans rien dire Pour ne pas déranger les gens
Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps »
Adieu Ramdane, repose toi en paix tu as donné le meilleur de toi-même au pays puisse ton sacerdoce servir d’exemple inspirant. Que Dieu le tout puissant te fasse miséricorde !
Professeur Chems Eddine Chitour