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Billet de blog 6 juillet 2024

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Lettre d'un français juif épuisé, à son pays et à la gauche

En cette fin de campagne, je voudrais partager quelque chose. J'ai pas changé sur ma ligne, mais j'ai besoin de parler de ce mois passé. En tant que français juif socialiste démocrate et militant contre l'antisémitisme.

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En cette fin de campagne, je voudrais partager quelque chose.
J’ai pas changé sur ma ligne, mais j’ai besoin de parler de ce mois passé.

Je voudrais que les gens réalisent la violence inouïe de cette campagne envers les personnes juives.

On a été mis au centre de tout, on a vu des hypocrites se gargariser partout de leur auto-validation comme parangons de la lutte contre l’antisémitisme. On les a vu les uns après les autres du centre à la gauche (sans parler de l’extrême droite clairement antisémite) sortir de grandes phrases contre l’antisémitisme, clamer leur pureté, refaire leur image.
La poignée de Juifs dans ce pays qui militent contre l’antisémitisme, je penses que l’on peut dire que tous ces politiques qui se proclament « défenseurs des Juifs », on les a jamais vus dans nos luttes.
On les a pas vu dire quoi que ce soit depuis l’explosion d’antisémitisme à gauche depuis un an (et bien plus). On les a vu se trouver des excuses, protéger leurs copains, et en rajouter des couches.
Et maintenant, non seulement on doit supporter d’entendre autant de mauvaise foi, mais en plus, on reçoit l’injonction de les défendre, comme si on leur devait quoi que ce soit.

On va être clair. Les Juif·ves, c’est à peu près 0,6% de la population française, et environ 0,1% du corps électoral. En terme de réserve de voix (faussement perçu comme communautaire, comme un bloc...) on ne représente rien, on est insignifiants démographiquement parlant.
Pourtant on nous a fait comprendre que cette élection se jouerait sur nous, ou par nous. Que c’était la parole d’un rabbin ou les critiques de juifs de gauche qui feraient faire gagner l’extrême droite. On nous fait porter un poids irréel. Encore une fois, on nous accorde un pouvoir immense que l’on a absolument pas.

Et après s’être fait insulter pendant un an, littéralement tous les jours, on nous demande non seulement d’oublier tout, mais de faire comme si rien ne s’était jamais passé.

On nous crache à la figure, et on nous demande à nous de dire qu’il pleut.

Voilà comment je me sens en cette veille d’élections.
Je me sens essoré par un pays entier qui s’est permis d’extraire toutes nos forces, nos espoirs, nos besoins, nos craintes, pour son propre compte.
J’ai besoin de dire qu’à l’heure actuelle, ce que je vois moi, c’est qu’à par nous même, personne, mais vraiment personne, n’en a rien à foutre de nous, les Juif·ves.

Je voudrais avoir tort, je voudrais que le mouvement social, que la gauche, me prouvent tort. Mais on est loin de ça là. C’est encore pire qu’avant. Parce que maintenant, la théorie du « rayon paralysant » à pris, tellement bien d’ailleurs que je vois et reçois des flopées de messages de gens qui me disent cash : « ça marchera pas avec moi l’accusation d’antisémitisme, j’en ai rien à foutre ».

J’aimerais que, au delà du fait que ce message est anecdotique par principe, les gens se rendent compte de ce que contiens cette phrase. De plus en plus de gens se sentent légitime à non seulement nier l’antisémitisme, mais avant tout, à nier le droit aux Juif·ves de témoigner de l’antisémitisme qu’iels vivent. On est encore une fois, vus comme un instrument du pouvoir, comme le pouvoir en lui même.
Je continue à croire en le fait que cette lutte contre l’antisémitisme doit absolument avoir une vraie place à gauche. Je n’accepterai jamais les cadeaux empoisonnés de la droite, et encore moins des fascistes et des néo-nazis... Mais voilà le problème. Face à des antisémites, on est sommés de fermer les yeux sur d’autres antisémites. L’instrumentalisation par ci et par là et ici et là bas et etc...
Pendant que tous les goys parlent d’instrumentalisation à longueur de journée, nous en attendant, l’antisémitisme, on le vit, dans nos chairs et nos esprits. On en peux plus. L’atmosphère de ce pays est irrespirable.

Parce que, nous les Juifves, on existe en fait. On est des vrais gens, avec des vraies vies, qui ont des vrais problèmes, et qui subissent du vrai antisémitisme. Pas de l’antisémitisme machin ou de l’antisémitisme truc. De l’antisémitisme. Point. J’entends tout le monde nous demander de hiérarchiser, comme si un antisémitisme serait pire qu’un autre. Si je rejoins le fait que certains antisémites sont plus dangereux que d’autres (exemple : les néo-nazis sympathisants RN), je refuse de dire que le phénomène de l’antisémitisme est hiérachisable.
D’ailleurs les mêmes qui nous assènent à longueur de journée que «l’antisémitisme n’existe pas à gauche» nous disent en même temps que «l’antisémitisme de gauche est moins grave que celui de droite». Personne n’arrive à tenir un discours ne serait-ce qu’un minimum cohérent. Et devinez qui en pâti en première ligne de tout ça ? Sans surprise, les Juifves (et pas les cadres insoumis qui passent leur temps à chouiner).

Je voudrais inviter les gens à lire le dernier rapport de la CNCDH, à lire le contenu produit par les organisations antiracistes qui abordent clairement le problème évident de l’antisémitisme, notamment à gauche là pour le coup, à écouter sincèrement et avec empathie les voix juives qui sont en détresse. Je parles pour moi certes, mais je parle aussi à d’autres, et le sentiment partagé fait de plus en plus surface. On suffoque et on n’en peux plus. On est épuisés. On est à bout.

On nous utilise, on nous jette, on nous tokénise, on fait de nous une arme politique, et in fine, tout ça mis bout à bout, on nous déshumanise. On a pas parlé autant d’antisémitisme en France depuis tellement longtemps, et pourtant les Juifves ne se sont jamais senti·es aussi seul·es. On parle de nous comme de variables d’ajustement, comme de badges et de pins pour se valider soi même. Nos vécus sont silenciés et niés systématiquement. Et le pire c’est que nous, on s’y habitue aussi quelque part.

On s’habitue à la solitude, on s’habitue à la violence, on s’habitue au désespoir. Qu’est ce qui nous en empêche ? Dès que l’on ouvre la bouche on est sommé de la refermer dans la foulée. Alors on finit par partir du principe que maintenant c’est ça la politique en France. Pas que la gauche ou la droite ou je sais pas quoi. Si cette politique française et la société civile dans son ensemble en avait sincèrement quelque chose à faire de nous, je penses qu’on l’aurait senti. On en a tellement besoin que croyez moi ça ne serait pas passé inaperçu. Mais non.

En cette fin de campagne, je voulais tout simplement dire ça. Rappeler à tout le monde que c’est bien beau d’être monté sur vos grands chevaux à vous draper dans la dignité de la lutte contre l’antisémitisme, mais que faudra pas l’oublier dès le 8 au matin.

Parce que moi c’est ce que je vois venir. Une fois que « l’accusation infamante » ne sera plus vue comme un danger électoral...alors les choses reprendront leur cours. Les insoumis repartiront sûrement de plus belle une fois leur campagne finie. C’est pas comme si l’un ou l’une d’entre elleux ne s’était remis en question ne serait-ce qu’une seule fois...

Je peux plus utiliser des euphémismes pour adresser tout ça. On nous oblige, les Juif·ves, à observer depuis la marge un jeu de ping-pong médiatique entre un parti antisémite rempli de nazis, et un parti, qui certes n’a pas de programme politique/législatif antisémite, mais qui est franchement rempli d’antisémites. Je peux plus ne pas dire ça, c’est trop insupportable. Et le ou la première qui viendra me dire que de briser l’omerta de l’antisémitisme à gauche ça fait monter l’extrême droite...je lui déconseille de le faire, ça ne sera pas une discussion agréable et calme.

Parce que nos nerfs, vous les avez poussés à bout. Vous avez joué avec nous comme à votre habitude. Vous avez manqué toutes les occasions pour nous témoigner la moindre marque de respect et d’empathie. Et je peux vous dire que nombre d’entre nous n’ont rien oubliés. Moi le premier. Et bien que je fasse partie de celles et ceux qui ont pris sur eux de ne pas faire de vagues pendant la campagne, pendant que les partis continuaient de nous marcher dessus, en cette veille de scrutin, maintenant que la campagne est terminée, je ne peux pas me taire.

Et si je n’ai pas bougé d’un iota sur ma ligne pour demain, je ressens le besoin viscéral de coucher sur le papier toute cette douleur et cette rage que je contiens, depuis un mois, depuis un an, depuis que j’ai 12 ans et qu’au collège on m’avais sorti que ma place c’était dans un four, depuis qu’autour de mes 6 ans, j’ai vu pour la première fois le tatouage sur l’avant-bras de mon grand-père.

Notre histoire, l’Histoire juive, existe. Si une partie de la gauche refuse de la considérer, j’en appelle aux autres de nous écouter, et de nous montrer que non les français·es juif·ves ne sont pas seul·es, que l’on a des personnes sur qui compter, mais pour ça, il faudrait déjà briser le silence, péter la chape de plomb, et ça ne pourra pas arriver du fait du seul travail des Juif·ves.
La gauche a passé ce dernier mois à « avoir besoin de nous » pour les défendre face au fascistes. Personnellement je penses avoir répondu présent. Et je le regrette pas, j’ai suivi mes principes les plus fondamentaux : le socialisme, la démocratie, l’antiracisme, l’antifascisme...etc

Maintenant c’est à la gauche et au mouvement social de voir que c’est nous qui avons besoin d’eux. Parce que je le répète, vraiment, à titre personnel, et à titre collectif de par toutes les discussions que j’ai avec des juif·ves de gauche, militant·es, engagé·es, on est à bout de souffle, au bout de nos forces, et on a besoin d’une main tendue, une seule déjà, ce serait déjà un changement.

J’espère que ce témoignage ne disparaîtra pas dans le vortex de l’auto-justification et de l’indifférence dans lequel on se trouve depuis bien trop longtemps.

On est là, on vous voit, on voit tout ce qu’il se passe. Il serait temps que vous aussi vous nous voyez.

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