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Billet de blog 17 avril 2025

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Sur l'essentialisation et le gaslighting des "Juif·ves de gauche"

La seule solution au "clivage" entre "la gauche" et "les Juifves de gauche", c'est que la gauche fasse le ménage chez elle, comme on est beaucoup à répéter depuis des années, et tant que y'auras des petits soraliens qui font la loi à gauche, vous étonnez pas si les juifves ne veulent pas être vos "camarades".

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors de l'émission À l'air libre du 15 avril 2025 intitulé "Nous, Français, juifs, de gauche", le journaliste Joseph Confavreux pose la double question suivante à Valérie Zenatti ainsi qu'aux autres membres du panel : 

"Aujourd'hui est ce que vous en tant que juive de gauche française vous vous sentez trahie ou en tout cas déçue par la gauche, et quelle gauche; ou d'abord piégée par la manière dont les extrêmes droites que ce soit aux États-Unis ou en France se servent des Juifs pour s'acheter une respactabilité ?"

(26:48)

Avec tout le respect que j'ai pour Mr. Confavreux, Mr. Magnaudeix, pour Mediapart et pour sa rédaction, je souhaite tout de même émettre une forte critique à l'encontre de cette émission, et de cette double question qui semblait en être le fil conducteur.

Le premier aspect problématique de cette double question est tout simplement le fait qu'elle prend deux réalités documentées et existantes (l'antisémitisme à gauche et l'instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme à l'extrême droite), et demande à des individus juif·ves de choisir leur poison en quelque sorte. Cet énoncé demande une hiérarchisation en réponse : soit le plus grave c'est l'antisémitisme à gauche, soit c'est la stratégie de dédiabolisation de l'extrême droite.

Pourquoi devrait on choisir lequel de ces problèmes est "pire" ? Qu'est ce que ça apporte concrètement ? Surtout dans une émission avec un panel exclusivement de gauche comme le précise le titre.

Il est assez logique que dans ce panel, personne n'allait encenser ou défendre l'extrême droite, ce qui est tant mieux. 

Mais dans ce cas là, pourquoi leur demander de hierarchiser ? Est-il trop difficile de concevoir que l'on puisse lutter contre l'extrême droite (ce pour quoi les juifves de gauche n'ont attendu personne) tout en ayant ce minimum d'exigence vis à vis de la gauche en lui demandait de ne pas se viander de manière récurrente dans un antisémitisme tout ce qu'il y a de plus évident ?

Cette question, posée comme ça, suggère finalement que si une personne considère l'antisémitisme à gauche comme quelque chose à combattre absolument tout de suite, alors cette personne serait davantage complaisante avec les instrumentalisations de la lutte contre l'antisémitisme par les extrêmes droites en France et aux États-Unis.

Un autre problème de cette question est la mise en opposition ou alors au minimum la mise en parallèle de ces deux phénomènes. Car en réalité, il n'y a qu'un seul de ces phénomènes contre lequel nous, à gauche, on peut concrètement faire quelque chose, et c'est l'antisémitisme dans nos rangs. Les "Juifs de gauche" nous n'avons aucun pouvoir sur l'extrême droite, nous n'avons pas le pouvoir de faire cesser les instrumentalisations, nous n'avons pas le pouvoir de lutter contre Trump, et nous n'avons pas le pouvoir d'influer sur les agissements du gouvernement Netanyahou. Nous avons le même pouvoir que qui ce soit en fin de compte, c'est à dire celui de combattre ce que fait l'extrême droite, et pas de l'empêcher en amont de faire ce qu'elle fait. C'est d'ailleurs il me semble pour cela qu'on ne négocie pas avec l'extrême droite, on ne discute pas avec l'extrême droite, on combat l'extrême droite.

Mais entre gens de gauche, lutter contre l'antisémitisme en interne, ça devrait pas être considéré comme une espèce de tâche impossible. Ça devrait même aller de soi, ce qui illustre bien la situation catastrophique actuelle vis à vis de ce sujet.

Non seulement on a visiblement besoin d'émissions avec des panels de personnes juives pour venir demander à la gauche poliment de bien vouloir prendre en compte le fait que peut être il y a un tout petit problème... mais en plus de ça ces émissions arrivent même pas à énoncer des critiques sévères, et franchement méritées, de la gauche.

On en est arrivé à un point où la gauche trouve des excuses aux antisémites mais demande des comptes aux juifves. Pas toute la gauche oui oui, mais une partie BEAUCOUP TROP conséquente de celle ci.

Le fait qu'à CHAQUE FOIS que l'on aborde le sujet de l'antisémitisme à gauche en France, le débat parte automatiquement sur l'extrême droite où sur le gouvernement Netanyahou, c'est un échec total de la capacité de la gauche à faire preuve d'auto-reflexivité. Elle est visiblement coincée dans une ligne impossible à tenir où elle veut se voir comme un parangon de la lutte contre l'antisémitisme tout en ne faisant rien quand il se propage dangeureusement en son sein.

Il serait franchement temps que l'on dise certains termes une bonne fois pour toutes :

- l'affiche antisémite de Cyril Hanouna n'était pas une "erreur" ou un "dérapage" mais le produit d'une tolérance (voire d'un entouhsiasme vis à vis) de l'antisémitisme en interne depuis des années qui conduit logiquement à ce que ce genre de représentations puissent finir imprimées et diffusées à l'échelle nationale. Le continuum n'est pourtant pas si difficile à voir il me semble...

- les français·es juif·ve n'ont aucun pouvoir réel vis à vis du gouvernement israélien, et les juifves de gauche parmi elleux n'ont aucun pouvoir sur la manière dont décide de se comporter l'extrême droite. Les français·es juif·ves de gauche ont toujours combattus l'extrême droite et n'ont jamais eu besoin de personne pour s'organiser et le faire. Le fait même qu'on doive revenir là dessus et franchement problématique.

- Le fait que les français·es juif·ves de gauche ont déserté la gauche n'est ni la faute des juifves, ni la faute du CRIF, ni la faute de la droite, ni la faute de Macron, ni la faute de l'extrême droite et ni la faute d'Israël : c'est la faute de la gauche. Faire porter implicitement aux juifves une forme de responsabilité quant à la manière dont la gauche multiplie les agissements antisémites est en soi profondément problématique, voire antisémite.

- La seule solution au "clivage" entre "la gauche" et "les Juifves de gauche", c'est que la gauche fasse le ménage chez elle, comme on est beaucoup à répéter depuis des années, et tant que y'auras des petits soraliens qui font la loi à gauche, vous étonnez pas si les juifves ne veulent pas être vos "camarades".

Encore une fois, ce ne sera ni la faute à Israël, ni la faute à Lepen, mais ce sera de votre faute, vous "la gauche". Il n'y a que vous qui ayez le pouvoir de changer vous même, mais pour ça, il faut déjà réussir à accepter qu'il y a un problème, un gros problème.

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