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Billet de blog 28 juillet 2024

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Pour en finir avec le déni du "Je suis pas antisémite, je suis antisioniste"

Un texte spontané et cathartique sur le déni de l'antisémitisme à gauche, sur son gain de terrain au sein de celle ci, et sur le réveil que l'on attends de cette gauche. J'anticipe la mauvaise foi dans les commentaires, j'espère juste que ce que j'écris là ne tombera pas que dans des oreilles sourdes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’écris ce texte sur le coup de la colère et de la fatigue.

Ça fait maintenant au moins un an que mon travail sur internet à pris. Je suis confronté à une visibilité (à mon échelle c’est beaucoup) que je n’ai jamais connue auparavant, et au milieu de cette visibilité je reçois énormément de soutien, que je tiens à préciser aussi pour remercier toutes ces personnes.

Mais cela ne sera pas surprenant lorsque je dis qu’une majorité vraiment conséquente de réactions, sont pour le moins de mauvaise foi, et pour le pire antisémites.

J’ai titré cet article avec le credo le plus sacré de la gauche problématique sur les questions d’antisémitisme aujourd’hui : “Je ne suis pas antisémite, je suis antisioniste”.

Et avant de commencer, laissez moi préciser, car sinon on va me traiter de génocidaire assoiffé de sang palestinien (ps : on me traiteras quand même de ça je sais même pas pourquoi je m’attends encore à autre chose) : je n’ai jamais dit de ma vie que le soutien au peuple palestinien serait illégitime. Dans chaque contenu que j’ai produit qui touche à la question du conflit isréalo-palestinien, j’ai tenu, en raison de mes principes, de ne pas invisibiliser les palestiniens. Je passe une partie conséquente de mon temps à engueuler les ultras pro-netanyahou en leur disant qu'iels sont racistes, islamophobes, antipalestiniens, et d'extrême droite. Mon travail parle pour moi, je ne devrais pas avoir à me justifier à chaque fois comme ça.

Le problème en réalité n’est pas que je ne parlerait pas assez des palestiniens au final, le problème c’est que je parles d’antisémitisme ici, en France. Car il est là mon sujet à moi, depuis le début, et j’espère que la gauche si bienveillante soit-elle pourra comprendre que cette lutte demande déjà (comme toute lutte) beaucoup d’énergie et de résilience, et que donc je ne peux pas être partout à la fois. La vérité, c’est que la lutte contre l’antisémitisme est considérée comme de l’antimatière à la lutte en soutien des palestiniens, ou en vérité plutôt, à la lutte “antisioniste”. Je vais être parfaitement clair dès le début de ce développement. Si le mouvement antisioniste dans sa majorité est tellement hostile à la lutte (réelle) contre l’antisémitisme, c’est parce qu’il est visé, et malheureusement, à juste titre parce qu’il y a de quoi.

On me répondras à ce texte que je “soutiens le génocide à Gaza”. Les gens de bonne foi qui me lisent, je vous laisserai vous faire votre avis par vous même.

Depuis que ma modeste participation à la lutte contre l’antisémitisme devient de plus en plus publique, c’est sans cesse là même chose qui se produit. Mon combat contre l’antisémitisme sur des bases analytiques et argumentées est vue comme une menace à la lutte "antisioniste". C’est ce qui me vaut le harcèlement systématique et organisé, sur X notamment, de la part de comptes qui pour l’immense majorité semblent partager la ligne “antisioniste” et une certaine orientation politique LFIste. J'en parles car par exemple, j'ai reçu récemment en l'espace de 3 jours plus de 300 citations toutes plus insultantes et gratuites les unes que les autres, pour avoir pointé du doigt ma situation actuelle, partagée par nombre de gens dans mon cas, qui se retrouvent à se faire insulter copieusement par la droite parce que "collabo-islamiste-nazi", et copieusement par la gauche parce que "sioniste-nazi-génocidaire".

“L’insulte” que je me suis le plus souvent mangé, de manière encore une fois, automatique, est celle de “sioniste”.

Je commence à en avoir marre. Certes marre des antisémites, mais je n’attends rien d’eux de base. Ce qui me révolte, c'est cette gauche qui ferme les yeux et qui se convainc que de hurler “sale sioniste” à des personnes juives de gauche qui luttent sincèrement contre l’antisémitisme c’est normal et c’est “politique”. Si c’était ne serait-ce qu’un poil politique, alors j’attendrai de ces “insultes” qu’elles soient fondées et basées sur ce que je dis réellement, et non pas à partir de ce que les autres projettent sur moi. La vérité c’est que je me fais cibler comme juif qui pense par soi-même et qui refuse de se taire quand une partie conséquente de la gauche française (et mondiale) plonge dans l’antisémitisme sous les yeux complaisants de toustes. On ne m’attaque pas pour mes idées, on m’attaque pour ce que d’autres ont décidé que j’étais ou représentais. Ça, ça s’appelle de l’antisémitisme.

Ou bien de l’antisionisme du coup ? J’ai mis des guillemets à “insulte” juste avant car effectivement, je suis toujours aussi surpris de voir à quel point ce phénomène ne pose de problème à personne. Le “sionisme” est un mot pensé par des Juif·ves, pour des Juif·ves, et qui aujourd’hui est accaparé par les non-juifs, qui l’ont vidé de tout son sens, pour s’en servir contre nous. Le mot “sionisme” désigne une chose simple en réalité, qu'on le veuille ou non : la légitimité de l’existence de l'État d’Israël, au minima dans ses frontières du plan de partage de 47, en tant que foyer national pour le peuple juif. Si dans cette définition le mot “national” vous dérange, alors surprise, tous les états modernes sont basés là dessus. L’immense majorité sinon tous ce sont bâtis sur des déplacements de population ou des massacres. C'est d'ailleurs en partie l'une des raisons principales de l’immigration juive en Palestine mandataire puis en Israël, les Juif·ves n'étant pas les bienvenu·es dans les pays où iels habitaient depuis des siècles. Est ce que c’est bien les déplacements de populations, les massacres et les exils ? Absolument pas. Mais de tous les pays du monde, il n’y en a qu'un seul dont on remet en cause la légitimité sur ces fondements. Comme le fait de dire que “le peuple juif n’existe pas”. Je vous apprends un truc, c’est vraiment pas aux non-juifs de nous expliquer ça, et c’est pas parce que vous avez trouvé deux trois juif·ves d’accord avec vous que vous avez le droit de mépriser le vécu de l’intégralité des autres. Car on a beau être un peuple, on est pas un bloc, et tous les juifs ne devraient pas penser la même chose juste pour faire plaisir aux goys qui refusent d'êtres mis face a leurs biais.

Cette “insulte” aujourd’hui, de “sioniste”, elle veut pas dire ça. Déjà parce que depuis un moment, le mot “sionisme” veut surtout dire ce que les antisionistes veulent entendre : racisme, colonialisme, impérialisme, nazi, génocide, apartheid…etc. Ça fait beaucoup de mots en un seul, et je le répète, le “sionisme” est la seule autodétermination nationale qui concentre autant de rancœur, de haine, et d’affects irrationnels au monde. L’exceptionnalité ne peut que faire réfléchir pour qui que ce soit qui souhaite vraiment avancer sur ces sujets.

Parce que maintenant que “sionisme” veut dire en quelque sorte “tout ce qui est mauvais”, c’est la porte ouverte. Je me fais insulter de “sioniste” depuis 2 ans alors que je suis un Juif français diasporiste de base (si j'étais tellement "sioniste" je serai là bas en fait) qui lutte contre l’antisémitisme où je me trouve, et d’où que vienne ce dernier. Et c'est clairement pour cela qu'on m'envoie cette "insulte". Et si cette "insulte" m’est lancée parce que je reconnais la légitimité de l’existence d’Israël, alors effectivement c’est tout à fait antisioniste, et tout à fait antisémite aussi.

L’État d’Israël (dans ses frontières de 48, ou minimum de 47) existe, vouloir revenir dessus est un appel à la guerre et au nettoyage ethnique, voire au génocide.

La politique d’extrême droite du gouvernement israélien n’est pas “le sionisme”. Il en fait partie mais le sionisme ne peut pas être réduit à ça. Sinon j’ai le plaisir de vous annoncer que nombre d’entre vous devriez vous revendiquer antirépublicains dans la foulée. Quitte à être cohérents autant l'être jusqu'au bout non ?

Lorsque l’on m’insulte de “sioniste” donc, on m’insulte parce que juif, et surtout, parce que juif qui lutte contre l'antisémitisme. C’est tout. Et si les gens qui profèrent ces insultes sont trop endoctrinés par le dogmatisme maladif dans lequel nous vivons, ce n’est pas mon problème, c’est le leur, et le votre à vous tous qui fermez les yeux à coté.

Et soyons sérieux deux minutes s’il vous plaît. Tout le monde se comporte comme si les termes “sioniste” et “antisioniste” n’ont jamais posés de problèmes. C’est malhonnête et constitue un gaslighting monumental du vécu des Juifs dans le monde. Je vais vous citer quelques petits éléments historiques de manière non exhaustive pour permettre aux gens d’être à la page.

  • Les premiers antisionistes conséquents étaient le Bund. Leur antisionisme était moins un antisionisme de principe plutôt que de stratégie. Le Bund visait la révolution prolétarienne en Europe et pensait que l’émancipation des Juifs en tant que nation ne pourrait advenir qu’au sein d’une Europe socialiste, démocratique, fédérale et multinationale. Le sionisme pour eux était un dévoiement de la vocation révolutionnaire du prolétariat juif yiddishophone. Dès l’accession d’Hitler au pouvoir, et un peu avant déjà à partir du virage antisémite de la révolution russe lors de la guerre civile puis du stalinisme, le Bund s’alliait systématiquement avec les sionistes notamment d’extrême gauche, le Linke Poale Zion (sionistes marxistes diasporistes, eh oui parfois c'est plus compliqué qu'on le pense) pour la constitution de groupes d’autodéfense face aux pogroms depuis le début du XXe, puis face aux nazis dans les ghettos. Pendant la guerre, les deux tendances luttèrent ensemble, à l’exception des ancêtres de l’Irgoun et du Likoud sous l’égide de Vladimir Jabotinsky qui décidèrent de faire chemin seul. Le reste des Juif·ves de l'Est étaient solidaires. Nombre de bundistes ont aidés des Juif·ves à fuir en Palestine mandataire, clandestinement d’ailleurs au vu de la politique britannique du Livre Blanc qui interdisait toute immigration juive en Palestine au delà de quotas absolument ridicules. Surtout au vu des évènements en Europe dont tout le monde avait connaissance en réalité. Nombre de bundistes sont également partis s'installer en Palestine mandataire après la guerre, et en Israël durant les décennies suivantes qui virent l'Europe de l'Est persécuter de plus en plus les Juifs qui étaient restés surplace.
  • les premiers non-juifs à avoir développés une doctrine antisioniste conséquente en Europe, durant cette même période de 39-45, c’était les nazis. Tout le monde semble si heureux de pouvoir dire que les sionistes et les nazis auraient collaborés pour justifier leur propre haine irrationnelle de quelque chose qu’iels refusent de comprendre. La vérité étant bien davantage que les nazis étaient parfaitement antisionistes. Leur facilitation au début de la guerre pour organiser la déportation de Juifs allemands en Palestine ne signifie aucunement leur appréciation de l’idéologie sioniste. Au contraire, dès 39, le Reich nomme le ministère des Affaires Étrangères de Von Ribbentrop comme responsable de l’effort de propagande nazie pour le Moyen-Orient. Ce ministère produira des kilomètres de pamphlets et des milliers d’heures d’émissions de radio, diffusés durant toute la guerre, jusqu’en 1945. Ce contenu de propagande ne pouvait pas être le même que pour l’Europe, les nazis le savaient. Ils eurent donc l’aide de multiples réfugiés politiques nationalistes arabes comme Al-Husseini le fameux grand mufti de Jérusalem et tête du Haut Comité Arabe de l’époque, de ses proches collaborateurs, ou encore de Killani qui fut à l’origine avec l’aide de l’Axe du coup d’état temporaire en Irak qui mena à terme, quelques années plus tard, au Farhoud et à l’exil des Juifs d’Iraq (qui allèrent donc...en Israël). Tout ce beau monde travailla sans relâche pour mettre au point une propagande efficace pour mobiliser les masses “mahométanes” (leur terme) contre "l'ennemi Juif" en instrumentalisant honteusement le Coran et en remplaçant “antisémitisme” par “antisionisme”. Le “sionisme” dans cette propagande était qualifiée de pouvoir caché exercé par les Juifs pour pousser le colonialisme britannique et l’impérialisme américain à soutenir la création d’un “état sioniste” qui finirait par coloniser lui même le monde arabe et le monde entier…Alors même que les foreign policies anglaises et américaines ne soutenait pas vraiment le sionisme en réalité, au contraire même, ce mouvement était une épine dans leur pied. La fable comme quoi c’est l’Occident colonial qui aurait offert la création de l’État d’Israël aux sionistes sur un plateau d'argent est fausse, et semble vite oublier le rôle central joué tout d’abord par les Juifs de la Diaspora européenne et américaine, envers et contre tous, ainsi que du vote décisif de l’URSS et son envoi d’armes par la Tchécoslovaquie en 48 lors de la première guerre israélo-arabe. Guerre durant laquelle l’État naissant est attaqué par 5 États voisins dont la plupart trouvaient alors chez eux des haut responsables ayant collaborés avec les nazis, voire carrément des nazis en chair et en os comme à Damas ou au Caire.
  • L’antisionisme après la guerre, en Europe, fut conservé et cultivé par l’URSS, certaines extrêmes gauches stalinistes/maoïstes en Europe, ainsi que par l’entièreté de l’extrême droite européenne. Si aujourd’hui les antisioniste jouissent tant de clamer que “l’extrême droite est sioniste par principe”, iels seraient étonnés de savoir que jusque dans les années 2000-2010, ce n’était vraiment majoritairement pas le cas. On peut d’ailleurs, en connaissance de cause, sérieusement douter de leur honnêteté, pour peu qu’on attende quoi que ce soit de l’extrême droite ce qui n’est pas mon cas. Le propagande soviétique s’est propagée partout en Europe ainsi que dans le monde de part ses satellites durant tout la guerre froide. Les journaux soviétiques des années 50 faisaient déjà le portrait d’Israël comme des nouveaux nazis, génocidaires, impérialistes et colonialistes (ce qui est quelque peu ironique venant de l’Union soviétique). Ce langage ne s’est pas arrêté, il a perduré tout au long du bloc, et perdure encore aujourd’hui, pour la simple raison qu’on ne se débarrasse pas aussi facilement d’un demi siècle de propagande internationale intense venant d’un régime totalitaire. Il est surement pertinent de noter également que durant cette guerre froide, l’URSS à travers son satellite de Berlin Est avait pour projet de monter une antenne de l’OLP à l’époque où ce dernier est une organisation terroriste revendiquée dont la ligne politique se résumait plus ou moins par “tous les Juifs arrivés après 1917 ça dégage”. Cette antenne avait clairement pour but de servir de relai pour monter des opérations terroristes sur le continent, encore une fois, à une époque où c’était une stratégie assumée par l’OLP et d’autres mouvements palestiniens. En 1972, à Munich, lors des jeux olympiques, la majorité des membres de Septembre noir était des militants voir des responsables de l’OLP de Yasser Arafat. En Allemagne de l’Ouest, des groupes d’extrême gauche comme celui des Cellules Révolutionnaires, qui n’est pas une organisation palestinienne, aux cotés du FPLP, vont être à l’origine notamment du détournement d’avion et de la prise d’otage à Entebbe en 1976. Durant toute la période de l'après guerre, en France, le groupe d'extrême droite GUD prêchera un antisionisme à travers des slogans comme "De Pars à Gaza, Intifada" et s'amusera à chercher la bagarre pour tabasser des Juif·ves dans les universités et les rues de Paris. Tous ces exemples sont des exemples de groupes et individus agissants sous la bannière de “l’antisionisme” pour commettre des actes antisémites. Le nier ne le fera jamais disparaître de l’Histoire, contrairement a ce qu'essaient de faire depuis si longtemps avec tant de hargne les négationnistes du monde entier. Et ça c'est sans même parler de toute la période soralo-dieudonniste récente.
  • L’antisionisme au Moyen-Orient à lui aussi une sacrée histoire. Ça prend une ampleur considérable comme dit précédemment avec la campagne massive de propagande nazie. Précision, en travaillant sur leur propagande, les nazis se sont rendus compte de quelque chose, pas tous les sujets arrivent à fédérer les esprits allemands et “mahométans” (encore une fois, c'est leur terme) assez bien pour eux. Le sujet sur lequel le ministère du Reich décidera de mettre l’accent, suivant les conseils de ses réfugiés nationalistes arabes à Berlin, c’est le rejet et la haine des "Juifs". Le mufti à lui tout seul à largement participé à la diffusion massive de cette doctrine antisémite sur-mesure dans le monde arabe, mais il n’était pas le seul de son temps, ni de celui d’après sa mort. Pour donner une idée, le frère du mufti, Jamal Al-Husseini, un des représentants du Haut Comité Arabe à l’ONU pendant les pourparlers concernant le plan de partage, déclare que la création de l’État d’Israël briserait "l’homogénéité raciale de la région”. Le HCA de cette époque était alignée avant 45 sur les intérêts et arguments nazis, et on n’est pas étonné de l’entendre encore en 48. Je répète de nouveau que non seulement nombre de nazis ont trouvé refuge dans certains pays du monde arabe, mais qu’au delà de ça, ils étaient souvent sollicités pour aider le pays en question. Cela n’est pas valable que pour le Moyen-Orient. La diaspora nazie en Amérique du Sud est un tout autre sujet tout à fait aussi grave. Après la défaite des armées de la Ligue arabe en 48-49, au cours des années 50, la quasi-totalité des Juifs du Maghreb et du Moyen-Orient se verront expulsés ou contraints à l’exil en toute transparence pour “sionisme” et donc grossomodo pour collusion avec l’ennemi. On à pu voir récemment en Tunisie que ce sentiment antisioniste ne s’est pas tant atténué depuis le temps. Et attention, je ne parle pas des peuples, je parle des dirigeants, et de leurs efforts de propagande qui, s’ils n’ont pas embrigadés tout le monde, en ont forcément convaincus certains. Nasser avait assez bien compris lui aussi la force de ce discours en commanditant la réédition massive des Protocoles des Sages de Sion en arabe (ce n’était ni le premier à le faire, ni le dernier) et de ses multiples adaptations comme celle de ce dessin animé qui passait à la télévision égyptienne dont la narration entière reposait sur cette bible de l'antisémitisme que sont les Protocoles.

Honnêtement, je vais m’arrêter là, je ne suis ni expert universitaire sur le sujet, ni historien, mais je sais lire et il se trouve que j’aime bien le faire. On en sort moins bêtes généralement. Est ce que tout ce que je dit ici à pour but de silencier pour justifier les morts civiles à Gaza ? Non. Non. Et je le RE-répète : NON. 

La raison qui me pousse à écrire ceci, c’est ce qui se passe ici en France, sous le nez de tout le monde. Le fait que des français se mettent de plus en plus à tenir des propos et des postures complètement antisémites. Même lorsqu’elles sont “pas antisémites mais antisionistes”...

La ruse incroyable aujourd’hui est celle de faire croire qu’il n’existe que ces deux termes là aujourd’hui pour parler du conflit au Proche Orient : “sionisme” VS “antisionisme”.

Et ce qui est affligeant c’est que ce constat, il témoigne d’un truc grave : une partie bien trop conséquente de la gauche parle maintenant en toute décontraction comme Dieudonné, Soral, Garaudy, Faurisson, Pierre Guillaume, François Duprat, ou pour prendre une figure plus contemporaine, comme Houria Bouteldja et ses sbires du PIR et cie qui par ailleurs semblent être devenus les meilleurs amis de la France Insoumise qui vont régulièrement participer a ses conférences à ses côtés...C'est assez parlant, que vous l'assumiez ou non.

L’immense majorité des Juif·ves de gauche n’ont jamais eu pour but de “faire taire toute critique de la politique israélienne” et le répéter en boucle n’en fera pas une vérité. Nous luttons toustes contre l’antisémitisme, MÊME lorsqu’il se drape dans la vertu autoproclamée de “l’antisionisme qui n'est pas de l'antisémitisme”.

Parler de ce qui se passe là bas ne nécessite absolument pas l’usage de termes vidés de leur sens premier, donc extrêmement confus, confusion qui ne sert en réalité qu’aux antisémites.

Je vous donne un exemple. Si quelqu’un me dit :

“Je suis contre le sionisme”

Qu’est ce que ça veut dire ?

Si c’est être contre la colonisation en Cisjordanie et la guerre à Gaza, alors le terme antisioniste n’est pas le bon, ne désigne pas cela, et ne sert à rien sinon à brouiller toutes les pistes.

En majorité ce que je lis maintenant, c’est pas ça.

C’est des antisionistes qui quand tu leur demande de préciser, te disent que “l’entité sioniste coloniale et raciste devra disparaître et que les palestiniens recouvreront l’intégralité de leur terre”, “une Palestine arabe de la mer au Jourdain” si on préfère comme le déclamait sur X le collectif Urgence Palestine il y a maintenant plusieurs mois en partageant une photo d'une bannière portant ce slogan dans une manifestation "antisioniste et pas antisémite".

Je suis au regret de décevoir les "antisionistes pas antisémites", mais ça, c’est antisémite.

Si après tout ça, y’as personne pour ne serait ce que se poser la question, alors j’ai le regret de vous annoncer que la gauche s’accommode surprenamment bien de l’antisémitisme, et que de ce fait, elle n'est vraiment pas la force antiraciste qu'elle se persuade d'être.

Tout ceci est franchement alarmant.

Le fait qu’un député de la France Insoumise puisse avouer en toute confiance et en toute tranquillité s’être formé sur le conflit israélo-palestinien par l’intermédiaire d’Alain Soral, fervent national-socialiste antisémite et antisioniste revendiqué, ne choque pas vraiment plus que ça le reste de la gauche.

Le fait que deux humoristes médiocres s’amusent à faire applaudir une salle entière à la phrase “Ici, on est TOUS antisémites”...hahahahaha…très drôle de rire des discriminations subies par une minorité vulnérable dans un pays où ces deux humoristes représentent la majorité dominante, en effet... Ces mêmes humoristes qui s’imaginent faire acte de résistance en tournant en dérision le vécu très réel et très concret des Juif·ves de France, avant d’aller, pour Blanche Gardin, sur la chaîne YouTube de Paroles d’Honneur en compagnie comme par hasard de Tsedek, pour qu’on lui dise que “la preuve par la Palestine” la ferait “sortir de sa blanchité” parce qu’elle aurait un le “courage” d’être “antisioniste”...

Le fait que le grand chef, Jean Luc Mélenchon lui même, enchaîne saillie antisémite après saillie antisémite, insultant Jérôme Guedj de façon ignoble, cautionnant ses militants qui chantent dans la rue “Israël assassin Glucksmann complice”, blaguant ironiquement sur les “sionistes” qui seraient des “cleptomanes” avant de parler d’une “caste médiatique” et d’une “série de protagonistes de cette nature, qui tirent les ficelles” en mimant avec ses mains un marionnettiste lors d'une récente conférence donnée il y a quelques mois.

Mais évidemment, vu que ce n’est pas acceptable pour la gauche française de parler d’antisémitisme sans au final ne plus parler d’antisémitisme pour à la place critiquer “l’entité sioniste” et parler à la place du “génocide” en cours à Gaza, eh bien tout ce que je dis est tout simplement inaudible.

Je n’ai jamais nié le risque génocidaire de la situation, telle que l’a statuée la CIJ. Je trouve ça pourtant cocasse que toutes ces personnes qui ne jurent que par “le droit international” et qui affirment la légitimité de leurs discours sur cette base, ne respectent pas les formulations de ce même droit lorsqu’iels estiment qu’il n’est pas assez bien à leur goût. Lorsqu'avant le rapport de la CIJ, les "antisionistes" justifiaient l'usage du terme génocide en disant que la cour leur donnerait raison , lorsque cette même cour spécifie "risque génocidaire", ça ne fait rien, on continue à répéter les éléments de langage qui font sensation. C’est également intéressant de voir des parangons autoproclamés du “droit international” remettre en cause le plan de partage de 47 et la création de l’État d’Israël qui pourtant s’est faite entièrement sous la tutelle du droit international par le vote de l’ONU.

Ce que je dis dans ce texte ne sert en réalité aucunement à valider le discours pro-netanyahou que j'exècre profondément. La “Judée-Samarie”, ça s’appelle la Cisjordanie, et rien d’autre. Les colonies présentes là bas, les colons d’extrême droite violents, l’armée qui les protège, tout ça me dégoute depuis bien avant que beaucoup “d’antisionistes” parisiens ne se découvrent une passion pour le sujet. 

Ce qui, pour les “antisionistes” français est insupportable en réalité, c’est ce que j’essaie de faire ici.

Montrer que l’histoire du sionisme et de l’État d’Israël n’est pas un projet génocidaire pensé par des européens colonialistes dans un but suprémaciste et impérialiste.

Le sionisme est une histoire d’autodétermination juive, avec toutes ses spécificités et ses singularités. Elle est parsemée d’injustices, faites aux Juif·ves par les opposants au sionisme et les antisémites, ainsi qu’aux populations civiles palestiniennes qui ont bien évidemment souffert grandement de ce conflit incessant.

Reconnaître l’humanité des palestiniens n’a jamais été antagonique avec le fait de reconnaître l’humanité des Juif·ves et des Israélien·nes (Juif·ves ou non juif·ves). Toute personne qui dit le contraire, dans un cas est islamophobe/antipalestinien, dans l’autre est antisémite.

Si la gauche trouve ça normal que le mot "sioniste" ait été dévoyé au point de lire de manière récurrente des trucs du style "sionazis" et autre agréables comparaison de Juif·ves, entre l'une de leur principale idéologie d'autodétermination, et celle des responsables de leur génocide, c'est qu'elle a un sérieux problème.

Et si vous voulez tout savoir, ce mantra “l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme”, s’il n’était pas utilisé de mauvaise foi pour protéger les discours clairement antisémites, on pourrait débattre dessus en réalité, mais pas de la manière dont vous le pensez. L’antisionisme n’est pas l’antisémitisme moderne. Ça oui. Mais lorsque l’on parle d’antisémitisme tout court, ou d'antisémitisme historique, il faut savoir que ce terme est devenu par principe le terme qui englobe les différentes formes et manifestations qu’a pris et que prend encore la “haine des Juifs”. L’antijudaïsme n’est pas l’antisémitisme moderne, qui n’est pas l’antisionisme non plus. Il n’empêche que ces trois doctrines, sont antisémites dans son sens général. A défaut de trouver un meilleur terme aujourd’hui, c’est le seul que l’on a pour parler de la “haine des Juifs” plurimillénaire. Donc on apprécierait que les non-juifs puissent mettre de côté leur égo et accepter que les Juifs ont peut-être le droit de nommer et définir la haine dont iels font l’objet. Et pas uniquement les juifs qui sont déjà d’accord avec vous et qui ne passent leur temps qu’à vous brosser dans le sens du poil pour que personne ne se remette en question.

Il va durer combien de temps le déni au juste ? On est parfaitement au courant que tout le monde à mieux à faire, on en a la preuve tous les jours. C’est à croire qu’il faut un attentat peut-être pour que la gauche se réveille et comprenne que l’antisémitisme existe et qu’il se porte merveilleusement bien aujourd’hui en France, et notamment en son sein.

C’est quand que la gauche va réaliser à quel point ce pays, et cette famille politique, sont devenus des espaces totalement irrespirables pour les Juif·ves de France qui n’ont pas la gentillesse de se dire “antisionistes” pour faire plaisir et qui donc se font harceler, insulter, marginaliser, en tout impunité ? 

Je continue à croire que la grande majorité de la gauche n’est pas antisémite. Et c’est à elle que je lance ce cri d’alerte et de désespoir face à son inaction.

Arrêtez de faire comme si tout ce qui se passe, entre la hausse des agressions antisémites, l’intensification de l’hostilité envers le “sionisme” (au point que des LFIstes taguent des affiches de campagne d’Alexis Corbière durant les législatives avec “vendu aux médias sionistes”...), l’intensification des discours irresponsables comme celui d'un député LFI qui crie sur une tribune qu'une délégation d'athlètes "n'est pas la bienvenue à Paris" malgré l'histoire rappelée précédemment autour des délégations israéliennes et des jeux olympiques...

Nous avons notre place à gauche, plus que les antisémites. Et pour tout vous dire, il n’y a qu’en accordant cette place à la majorité des Juif·ves de gauche aujourd’hui que la gauche pourra justement lutter contre l’antisémitisme en son sein.

Pour le moment, un juif qui dénonce de l’antisémitisme à gauche, et qui contrairement à ce qu'on répète en boucle dans la gauche du déni n’instrumentalise pas la lutte contre l’antisémitisme, il se fait insulter en le faisant. On lui explique (à moi comme à d’autres) qu’il n’est pas légitime pour parler de son propre vécu et devrait s’aligner sur le narratif qui soulage la conscience des gauchistes qui ne peuvent s’empêcher de faire la “chasse aux sionistes” pendant leur temps libre.

Nous voulons lutter à gauche mais nous ne pouvons pas le faire tant que la gauche est confortable avec l’existence d’une doctrine antisémite de plus en plus conséquente en son sein.

Nous voulons participer au mouvement social, politique etc, nous ne sommes pas heureux de nous faire rejeter et marginaliser parce qu’on ose nommer ce que l’on vit.

Nous voulons faire tout ça, mais encore une fois, les Juif·ves en France, on est 0,6% de la population, et 0,1% du corps électoral. Sans compter que tous les Juif·ves ne sont pas de gauche, donc vous pouvez continuer à diviser à souhait. On est pas beaucoup par rapport à la population française de manière générale, vraiment pas beaucoup. Et de ce fait, on pourra pas lutter contre cet antisémitisme sans soutien et sans appui ferme et prononcé de nos compatriotes non-juif·ves. La gauche doit faire son introspection sérieusement, et sans ménagement, parce qu’à défaut de ça, elle va continuer à s’engouffrer dans un chemin très dangereux, qui au delà du danger intrinsèque à ce chemin, continueras à donner de plus en plus d’éléments à instrumentaliser à souhait du coté de la droite et de l’extrême droite. Si vous ne vous rendez pas compte du problème, j’espère avoir sonné quelques oreilles dans ce texte.

Vous portez cette responsabilité, à vous d’en être à la hauteur.

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