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Billet de blog 18 mars 2021

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Ma chronique #39

Quand j’étais môme on se poussait dans la cour de récré, la peur au ventre de faire mal à l’autre, on tirait des cheveux, on roulait comme des couleuvres sur le béton crade du préau. Après, personne n’allait au commissariat, on ne savait pas ce qu’était un juge d’instruction ni un procureur.

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On allait au coin, une joue rougie par la baffe du surveillant général ou le cul endolori par la pompe du dirlo.

Je ne parle pas de l’école primaire, on était grands, aussi grands que les assassins d’Argenteuil, que les jeunes dingues, armés jusqu’aux dents, avides de sang, des bleds du fond de l’Essonne et du quartier huppé du Lycée Jean de La Fontaine.

A qui la faute ? A force de réduire les coûts, de couper dans les crédits, comme font les banques en automatisant leurs services, et maintenant les commerces de bouche qui remplacent les caissières par des machines, comme si l’État avait d’autres actionnaires que les citoyens qui le constituent, on économise sur l’humanité et la solidarité, on brade le socle de la république et ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, c’est tout.

Mais qui s’en soucie ? Le nez sur l’écran de son smartphone, le gamin ou la gamine tapote, fait sa petite Poucette, comme disait Michel Serres, qui avait tort de penser que les digital natives ont un accès plus grand au savoir. Ces gosses-là sont des cons, ensuqués par le flux des réseaux sociaux, ces fabriques de haine et de bêtise, de superficialité et de délire consumériste.

Comment expliquer autrement les rixes à répétition, les assassinats qui mettent en présence des gosses de 14 ou 15 ans ?

Les parents sont réduits à des darons, ces vieux qui ne comprennent rien aux règles qui s’écrivent au fil de la méchanceté, de l’inhumanité, de l’égoïsme et d’une intransigeance fondée sur l’ignorance crasse de ce qu’est le monde, dont font preuve un nombre de plus en plus grand de nos enfants.

Avez-vous déjà ressenti l’inexorabilité d’une marée montante, quand dans votre dos se dresse l’infranchissable falaise ? Quand le chemin qui sauve est déjà englouti ? C’est ce que je ressens, dans ce moment de couvre-feu qu’on devrait mieux nommer un couve-feu. J’entends Zemmour et ses zélateurs, Praud et les siens, je lis parfois, retourne des livres dont les radios-télés font une promo tapageuse, et mesure le gouffre qui s’est ouvert sous nos pieds sans qu’on y prenne garde. Le vide est en train d’aspirer tout ce que les hommes ont de bon pour ne laisser que l’os d’une humanité dépecée par le profit et la gloire factice, trompée par ceux qui ont la charge de son destin.

Qui aurait cru que les néophytes de la REM allaient se vautrer dans une bienveillance baveuse vis à vis des idées de l’extrême droite ?

Qui aurait pensé que pas un journaliste ne pète un câble sur un Véran délirant, un Castex débile ou une Vidal imbécile ?

Où sont les anathèmes, les chroniques nerveuses, les oppositions malpolies ? Où sont les gros mots, les injures, ces indispensables impolitesses qui sont les muscles de l’expression politique ? Même Mélenchon ne jure plus la langue aplatie par le poids de son improbable projet de devenir calife à la place du calife.

J’ai entendu que la vente de textile de merde, Zara et compagnie, allait augmenter de 60% dans les 20 prochaines années. Quand on vous disait que le monde d’après serait pire que celui que nous avons laissé derrière nous !

Vous pensez que je divague, commençant ma chronique par les jeunes perdus dans les réseaux sociaux, la finissant sur Zara ? Non, je ne divague pas, je marche droit. Les gosses dont je parle au début de ce texte sont des produits de ce que nous sommes devenus. Nous sommes eux. Nous les laissons perdre leur avenir, leur vie, leur liberté, un œil ou la raison, à notre place, parce que nous n’avons pas le courage de voir à travers la brume épaisse qui émane de l’innovation technologique des réseaux sociaux et les terminaux qui permettent d’y souscrire, les lambeaux de ce que nous étions, à l’époque où il était encore possible de raisonner, de réfléchir, de relativiser d’apprendre pour comprendre, de dire merde à tout bout de champ.

Comme les derniers indiens, traqués par l’armée de voleurs capitalistes des USA naissants, nos gosses croient que c’est dans la guerre totale, dans la vengeance et dans la collection de scalps numériques qu’ils se sauveront.

En vérité ils ne sont armés que de flèches brisées.

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