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Billet de blog 22 novembre 2021

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La nature, pour être commandée, doit être obéie*

Une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses. Me voilà encore à citer Karl Marx !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce matin, j’entends qu’on vient de mettre sur le marché du langage, le mot enfantisme, composé du mot enfant et de l’isme, d’ostracisme, de racisme ou de sexisme. J’aimais bien le mot jeunisme, quand il avait cours. C’est un mot euphoniquement acceptable, ce qui n’est pas le cas d’enfantisme.

Le problème, c’est qu’à un autre moment, dans les années 80-90 de l’autre siècle, le mot jeunisme signifiait exactement le contraire du sens que prétend recouvrir enfantisme. C’était alors, la manie de ne faire confiance, en toutes choses, qu’aux jeunes.

O tempora, o mores !

Il se dit, dans les voix que j'écoute, que la jeunesse est une minorité, non pas en nombre, mais en pouvoir. Une minorité sociale, comme sont les femmes, prises comme un ensemble, les noirs etc...

Cette minorité présente la particularité d’être frappée par un mal sournois, invalidant parfois, et, heureusement plus rarement, mortel, l’éco-anxiété.

Ce terme, encore tout neuf, à peine usité par quelques media concernés par le climat, des psychologues et des psychothérapeutes, qui se sont spécialisés dans la niche, désigne une réalité douloureuse, qu’il est urgent de prendre en compte. L’éco-anxiété est en passe d’acquérir le statut de pathologie figurant dans la nomenclature de la sécu, générer études scientifiques, projets pharmaceutiques et, peut-être un jour, prise de conscience politique.

L’éco-anxiété est, en somme, le nom de la lucidité sur ce qui est en train de se passer, de la prémonition d’un no future avéré, inéluctable. Une lucidité qui aveugle les jeunesses du monde, au point qu’elles se mobilisent, pauvrement, brandissant des pancartes en carton arraché aux boîtes d’expédition Amazon ou Vinted, hurlant de leurs voix juvéniles des slogans parfois percutants comme celui-là, que je préfère entre tous, nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend !

L’une s’en va en bateau à voile, à l'ONU, pour donner un exemple impossible à suivre, invective de sa voix rogue, qui énerve les vieux ; les autres, sautent des cours, s’engueulent avec leurs parents, pourrissent les diners familiaux, fuguent pour manifester.

Les cris de la jeunesse paniquée, abandonnée à un sort qu’elle n’a pas choisi, ne provoquent que quelques haussements d’épaules arthritiques, des remontrances de Finkielkraut qui ne comprend pas qu’on se plie aux injonctions de la Thunberg, fait taire Ali Badou qui, à raison, s’insurge contre les dires du méchant philosophe.

Rien n’y fait, les vieux, attendris, regardent les cortèges, depuis le trottoir, filment les marches juvéniles de leurs smartphones. Ils ont salopé la planète, continuent de le faire, et ils s’en foutent ! proclame ce grand garçon, d’une vingtaine d’années, à la barbe imparfaite. Il tient d’une main, une pancarte qui dit, pas de nature, pas de futur, de l’autre, la main de sa copine, qui ne veut pas d’enfants.

Deux jeunes filles s’expriment à la radio, elles disent que ça ne devrait pas être aux jeunes de s’employer à lutter pour que la planète ne prenne pas plus de 1,5 degré Celsius de température, comme le préconise le GIEC. Elles parlent joliment, avec des mots de jeunes, parmi lesquels ne figurent ni économie de marché, libre-échangisme, ni capitalisme.

Fustiger le mal, sans jamais en mentionner les causes, voilà la limite. Quand entendrais-je qu’il faut impérativement, demain, contrôler la production de biens de consommation, rompre avec le libre-échangisme, localiser tout ce qui peut l’être, se nourrir de ce qu’on produit ici.

Reprendre le fil de nos savoir-faire, ces compétences émigrées, pour la cause du capital.

Bien sûr, il n’y aura pas de retour en arrière, évidement que les forces productrices sont désormais dévolues à l’activité tertiaire, pour l’essentiel, mais il y a tant à faire pour réinventer un modèle de société qui ne soit pas suicidaire.

Le capitalisme n’est pas un virus, il n’y a pas de vaccin pour le combattre. Il faut lutter pied à pied, ne pas se laisser entraîner dans la procrastination des Verts, l’obtusité des autres, y compris ceux qui se réclament de la gauche.

Comment en est-on arrivés là ?

Je m’interroge, pour comprendre ce que j’ai bien pu faire, ou ne pas faire, personnellement, qui ait contribué au désastre. Je cherche à me déculpabiliser, parce que je ne serais pas concerné par l’approvisionnement de la bête dévoreuse de la nature. Pourtant, comme entrepreneur, j’ai produit, commandé, livré, acheté et vendu, j’ai fait de la publicité, du marketing pour augmenter mon chiffre d’affaires et mes marges.

Comme appartenant à une classe moyenne aisée, je suis parti en vacances dans les lointains, possédé des tas de voitures, loué des maisons extravagantes au bord de la mer ou à la montagne.

J’en ai consommé des trucs, qu’il a bien fallu produire.

Et puis, j’ai vu le monde changer, le mien, le vôtre.

En un rien de temps, ma ville est devenue un temple de la consommation, un immense Mall a ciel ouvert, un lieu désespérant, pleins de touristes qui viennent confisquer l’espace vital de ses habitants, chasser les derniers parisiens à l’authenticité desquels ils viennent se frotter.

Paris, comme toutes les capitales du monde a été colonisée par les marques. Ici, l’obscénité des kilomètres carrés de bâches publicitaires recouvrant les grands monuments, ne dérange personne.

A l’hôtel de la marine on montre la collection du chèque Al Thani un riche bédouin qui régnait sur le Qatar, à la bourse de Commerce c’est un autre émir, Pinault, à qui on donne un bout de notre patrimoine pour qu’il montre sa collection ... à nos frais, etc...

Partout le capitalisme montre son arrogance et son cynisme, sans que personne y voie d’inconvénient. Voyez les files d’attente devant ces deux machins à prétention culturelle quand ce n'est que l'étalage de leur puissance qu'osent ces deux hyper-riches.  Il serait quand même assez décent de les boycotter, au nom de la nature et du bon sens var ce sont les mêmes files de consommateurs, que celles qui s’étirent devant Zara ou H&M les jours de Black Friday, ce jour crépusculaire qui dure une semaine entière.

Je sais que j’ai commis des fautes. Je n’ai rien vu, ou plutôt comme a dit Chirac, notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Nous sommes des millions d’adultes éduqués, sachants, à n’avoir rien vu, à n’avoir même pas pris soin de dire à nos enfants que nous avons abîmé la nature, peut-être d’une manière irrévocable.

Comment pouvons-nous remédier, aussi peu que ce soit aux désastres que nous avons provoqués, sinon en nous dressant, aux côtés de la jeunesse, en marchant avec eux, en portant des cartons qui disent l’urgence ...

... sur mon carton, je citerais Sénèque, tirons notre courage de notre désespoir même

* Le titre est une citation de Francis Bacon

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