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Billet de blog 30 avril 2021

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Ma chronique # 46

Je me souviens du fiddler qui venait parfois nous casser les oreilles dans la cour du Passage Brady, à qui on jetait une pièce dans du papier journal. On n’allait pas à l’église, alors c’était notre denier du culte.

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Je m’en suis souvenu au moment des bravos à la fenêtre, dont chacune et chacun s’acquittait comme d’une obole pas très coûteuse, pour faire peuple et hommage à ceux qu’on appelait les soignants. Un denier du culte.

On est passé à autre chose, une brève levée d’écrou, qui a précipité dans l’oubli les beaux gestes, o tempora, o mores ! suivi d’un couvre-feu et d’un pseudo re-confinement.

Depuis un an, on aligne, sur le tableau de nos esprits sidérés, des chiffres, des statistiques, des prévisions qui n’en sont pas, des spéculations sur un monde d’après, dont personne n’ose plus parler.

L’archipel français, de Jérôme Fourquet, que beaucoup ont commenté, avant même de l’avoir lu, le commentaire du commentaire étant un des raccourcis les plus arpentés des journalistes et autres observateurs du monde, en est gavé, de chiffres. Le titre est une formidable promesse d’un contenu dont on peut, sans beaucoup de risques, exciper qu’il n’y est pas question que d’îles. Les clivages, morcellements, les îles et les îlots, politiques, sociétaux, confessionnels qui surgissent des chiffres et des études, montre une société bien, plus éclatée que ce qu’on imagine.

Chacun de nous est une île. L’individualisme, né dans les années bonheur, qui n’ont duré que quelques années, échouées sur les crises pétrolières des années 1970, a achevé la mue d’une société relativement cohérente et solidaire, constituée d’une classe ouvrière et laborieuse, évoluée vers une classe moyenne prometteuse de progrès. Cette classe avait des valeurs et des aspirations communes, qui s’exprimaient dans les choix politiques et dans les mœurs.

La formidable fragmentation des peuples en singularités, ayant chacune ses envies, ses projets, ses moyens d’y parvenir, résultat de la pression consumériste, de la mobilisation totale des forces productives pour compte d’une croissance dont on sait le fond mortifère, puisque la pandémie C19 en est l’un des effets, s’est poursuivie jusqu’à la disparition de l’idée même de bien commun et d’intérêt général.

Chacun pour soi. Comment penser l’intérêt général quand tout pousse à être obnubilé par son intérêt particulier ? Dans l’intimité, la vie quotidienne, l’individualisation, le selfisme prennent le pas sur l’esprit communautaire propre aux amitiés et à la famille. Cet état d’esprit, universalisé par la mondialisation de l’économie et l’échangisme technologique, pervertit le dogme marxiste, de chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins.

Il s’agit là de généralités n’est-ce pas ? Pourtant, qui nierait qu’il lui serait bien difficile d’identifier une seule personne, parmi ses amis à qui demander un service, comme un lift à l’aéroport de Beauvais pour prendre l’avion de 23 :45 ? Le meilleur ami se révélera sans doute être un VTC.

Dans un autre domaine, où l’intérêt général et le bon sens sont le jouet de l’intérêt de l’actionnaire, prit comme une individualité non fongible, regardons les batailles menées par des charrettes de salariés contre des licenciements économiques, forcément abusifs et injustifiés, car ils consistent à supprimer des postes au profit de contrats avec des prestataires de pays low cost, les économies réalisées finissant dans des bilans favorables aux actionnaires.

Je prends, au hasard, l’exemple de Psychologies magazine, qui entre autres organes de presse, connaît le stress du démembrement après le long frisson du succès.

Ironie de l’histoire, en 2018 le magazine titrait Comment survivre à un plan social ? Adrien Chignard, psychologue du travail et des organisations répondait, cela peut paraître difficile mais ces moments de tensions, voire de détresse collective nous donnent matière à partager nos craintes, nos colères et nos amertumes.

Et voilà ! Le bien commun, l’intérêt général, on les trouve dans le malheur, dans le pire.  La solidarité des tranchées, où on voit les blessures, le sang couler, la mort, affecter l’autre, avant que d’être cet autre dont le destin s’offrira à la compassion furtive de ses compagnons.

Je sais, c’est noir comme le charbon. Mais l’espérance est là, tapie quelque part.

Les écologistes, porteurs sains, crois-t-on d’un projet de société propre, lucide, bâti sur le besoin plutôt que sur l’envie, sur le bon sens plutôt que sur le profit quoi qu’il en coûte, déconnent. La mosquée de Strasbourg subventionnée par la mairie écolo, la suppression des subventions pour un club aéronautique, un autre pour un club nautique par des élus écolos de Vincennes, le dernier osant un le Yacht Club, c'est des bateaux ! pour justifier le couperet, immédiatement calmé par un cinglant des bateaux à voile ! Ça fait désordre. Alors, quoi ?

Dans ce moment terrible de la disparition des valeurs communes, de la solidarité, où trouver les ressources humaines pour mobiliser les forces nécessaires à la réinvention d’un liant social sincère et durable ?

Bruno Lemaire et Yannick Jadot, s’affrontaient dans un débat convenu à la télé, hier soir. Jadot ? Il est mauvais, il pense mal, il est vaniteux et croit que l’étiquette écolo dont il tire sa légitimité, lui donne du crédit, voir plus haut. S’il parvient jusqu’à la candidature à la présidentielle, il éteindra toute espérance d’une ère post-macronienne.

Lemaire, comme tous ceux de sa famille politique, autrement dit la mafia dont il est un parrain, est droit dans ses bottes, crottées par l’incurie du gouvernement auquel il appartient. Il aboie qu’il faudra bien rembourser la dette colossale que le pays a contractée pendant la crise sanitaire, comme si la dette n’était pas la ressource de la croissance, depuis des décennies, et l’endettement, une caractéristique de notre société frénétique façonnée par le capitalisme spéculatif comme le dit Pierre-Yves Gomez.

Le président, formule de campagne électorale, promet des lendemains qui chantent avec des bouts de libertés rendues dès le 15 mai. Je ne suis pas tellement rassuré par ce qui va se passer quand les terrasses seront de nouveau autorisées à accueillir du public, ni quand les salles de théâtre ou de cinéma rouvriront. Pas sûr que la bière distanciée et les jauges réduites guérissent les blessures des confinés.

Les séquelles de la crise sanitaire seront longues à effacer.

Le chacun pour soi, si délétère, pour ce qu’on ose à peine encore qualifier de vivre ensemble, survivra au Covid 19. Le simple fait qu’on ait eu besoin de recourir massivement à une telle expression, en dit long sur la réalité qu’elle voudrait contredire.

J’ai du mal à mettre un terme à cette chronique sur une note positive, alors je le fais avec les mots de Rutebeuf, écoutez la voix de Léo Ferré chanter

Les maux ne savent seuls venir, Tout ce qui m’était à venir, Est advenu.  Que sont mes amis devenus, Que j’avais de si près tenus  Et tant aimés ?  Je crois qu’ils sont trop clair semés, Ils ne furent pas bien fumés, Si m’ont failli.  Ces amis-là m’ont bien trahi, Car, tant que Dieu m’a assailli, En maint côté, N’en vis un seul en mon logis, Le vent, je crois, les m’a ôtés. L’amour est morte, Ce sont amis que vent emporte, Et il ventait devant ma porte, Les emporta

Serge Malik

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