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Billet de blog 1 décembre 2025

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Henri BENOITS, militant trotskyste de la 1re heure, est décédé

Á l'âge canonique de 99 ans, Henri Benoits, militant trotskyste et autogestionnaire, est mort le jeudi 27 novembre.

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Illustration 1

Jamais sur la photo, et pourtant très engagé, son égo était égal à 1 sur  les 8 milliards de la population mondiale, tant son esprit faisait corps avec l'action altruiste pour l'Humanité ; le socialisme autogestionnaire dont il se revendiquait est en effet une œuvre collective.
La vie militante de Henri parlait pour lui. Son humanité était à hauteur d'homme.


Je diffuse ici le texte de deux de ses camarades.

« Henri Benoits est né en 1926 à Paris et était entré, comme il s’en félicitait, dans sa centième année. Il fut un enfant des « fortifs », entre Porte de la Plaine et Vanves, cette “zone” où se construisit cinquante ans plus tard le boulevard périphérique. Après son certificat d’études primaires obtenu à l’âge de 12 ans en 1938, et trois ans passés en cours complémentaire industriel, il est embauché en 1941 comme apprenti dessinateur chez Ferodo, un fabricant de freins et d’embrayage, à Saint-Ouen, et suit en même temps une formation jusqu’à un CAP. Il y rencontre aussi un réfugié espagnol anarchiste qui lui « prête des livres »... et quelques idées.
À dix-sept ans, en 1943, il fit au hasard des rencontres la connaissance d’un ouvrier acquis aux idées révolutionnaires, Daniel Renard, et fut admis courant 1944 à intégrer l’organisation qui venait de réunifier la plupart des différents courants trotskistes actifs en France, le Parti communiste internationaliste (PCI). Il a participé à la “libération”, d’une barricade érigée dans son quartier du XVe arrondissement de Paris jusqu’à l’occupation de son usine Ferodo, située à plusieurs kilomètres de là.
Jamais isolé, toujours avec d’autres, partageant les mêmes espoirs : c’est déjà la marque d’Henri qui l’accompagnera tout au long de ses décennies d’engagement.
C’est de cette année que date l’autre fil conducteur de la vie militante d’Henri, son internationalisme.
La manifestation du 1er mai 1945 à Paris, la première après la fin de l’Occupation, est pour lui fondatrice avec le cortège massif, en plein Paris, de l’émigration algérienne du PPA -MTLD, drapeaux nationaux déployés. Une semaine avant les massacres de Sétif et Guelma le 8 mai 1945. Et, au retour de son service militaire en Allemagne, il participe aux brigades Spartacus de soutien à la Yougoslavie organisées par le PCI, à la suite à la rupture de Tito avec Staline.

Après avoir animé un travail « jeunes » dans la CGT, et participé à la reconstruction syndicale dans l’usine Ferodo de Saint-Ouen puis chez Alstom, il est embauché chez Renault en 1950 comme dessinateur. Il y passera plus de trente ans de vie professionnelle et militante. Le PCI décide dans un premier temps de son adhésion à FO pour y favoriser l’unité syndicale, mais en 1952 il co-signe avec la CGT un appel à la grève générale sur l’usine. Exclu pour ce motif de FO, il rejoint la CGT. Et c’est au cours de ces journées tumultueuses qu’il rencontre Clara, employée chez Renault, militante CGT qui deviendra son épouse jusqu’à son décès, en décembre 2023.
Dessinateur, Henri appartient au deuxième collège et poursuit une activité de délégué auprès de ses collègues de travail. Les salariés Renault des centres d’études actuels seraient étonnés de savoir que les enquêtes salaires encore aujourd’hui diffusées datent des initiatives qui furent les siennes pour agir contre l’arbitraire patronal, « à la tête du client ».
Henri, toujours cohérent avec ses orientations, se lie d’amitiés politique et personnelle avec les militants immigrés, notamment algériens du syndicat. C’est à eux, Clara et Henri, qu’est annoncée en priorité la création sur l’usine d’une instance du FLN. C’est cette pratique militante qui a conduit la IVe Internationale à associer Henri à l’aide politique et matérielle apportée au FLN. De ce moment date son amitié avec Mohamed Harbi, qui a préfacé l‘ouvrage de Henri et Clara, L’Algérie au cœur.

Illustration 2

L'ouvrage de Henri et Clara Benoits publié en 2014.


Après l’interpellation de Henri par la DST, ils se concentrent sur la solidarité avec l’UGTA au cœur de l’organisation des prolétaires algériens pour l’indépendance. Et c’est dans la continuité de cet engagement que la fédération de France du FLN choisit Henri et Clara, avec quatre autres salariés de Renault Billancourt, comme observateurs de la manifestation préparée pour le 17 octobre 1961. Henri et Clara étaient placés sur le parcours de la manifestation entre Opéra et le cinéma Le Rex au métro Bonne-Nouvelle. Leur témoignage sera apporté, quelque trente ans plus tard, lors du procès que Papon, l’organisateur de la répression sanglante du 17 octobre contre les Algériens, intenté à Jean-Luc Einaudi, l’historien qui a révélé, après une enquête inédite, l’étendue du massacre perpétré.
A leur place de militants, Henri et Clara participent dans l’usine de Billancourt, en mai 68, à la grève générale et à l’occupation de l’usine, poussant à l’auto-organisation, dans les limites permises par la conscience à ce moment, des ouvriers et employés grévistes.

Illustration 3

Clara Benoits, Henri et leur fille Sophie durant Mai-68.

Ils seront pourtant accusés, contre toute vraisemblance, par la direction du syndicat CGT d’être à l’origine de la bronca qui accueille la lecture du contenu des accords de Grenelle par Georges Séguy. Dénonciation vite oubliée en raison du respect dont ils ne
cesseront de bénéficier auprès de leurs camarades et collègues de travail.
Militant chez Renault et internationaliste convaincu, Henri s’est constamment référé à la IVe Internationale dont l’histoire est traversée de nombreuses scissions et regroupements. Les actions d’Henri furent toujours guidées par ce qu’il croyait être le plus décisif en termes de solidarité internationaliste. Ce fut le cas en 1953, lorsqu’aux côtés des Vietnamiens des cellules Renault, il choisit d’être minoritaire avec Pierre Franck dans la section française. Ce fut le cas en 1965, lorsqu’il accompagna Michel Pablo dans sa sortie du cadre organisé de la IVe Internationale et milita ensuite au sein de l’Alliance marxiste-révolutionnaire, l’AMR, se revendiquant de l’autogestion.
Les courants auxquels il a appartenu le firent devenir par deux fois membre du PSU, en 1960 où il y fut membre de la direction nationale au titre de la tendance socialiste- révolutionnaire et co-secrétaire de la section d’entreprise Renault, puis en 1975 avec l’AMR. Ensuite, au début des années 1990, il rejoignit à nouveau le cadre organisé de la IVe Internationale, et en France la LCR puis le NPA.
Retraité de Renault en 1984, Henri ne renonça jamais. Militant actif de la section retraités de la CGT Renault, ses activités les plus constantes et les plus obstinées furent au service des travailleurs immigrés. Il assura notamment, jusqu’à l’âge de 90 ans, une permanence hebdomadaire, tout près de l’ancienne localisation des usines Renault à Boulogne-Billancourt, pour assurer la défense des droits de la population immigrée avoisinante, à commencer par les retraités de Renault et leurs familles.
Ces dernières années, il était devenu, surtout depuis le décès de Clara, moins autonome. Il n’empêche qu’il lisait tous les jours les quotidiens Le Monde et L’Humanité et qu’il continuait d’être abonné à la presse du NPA et de la IVe Internationale, L’Anticapitaliste et Inprecor. Son dernier acte militant fut porté par sa fille Sophie il y a un mois : témoigner sur le 17 octobre 1961 lors d’une réunion tenue au jour anniversaire, en hommage à Jean-Luc Einaudi. Henri exprima le vœu que, le moment venu, le drapeau de la IVe Internationale recouvre son cercueil. Une vie militante digne d’être vécue !
Salut et fraternité ! »

Ses camarades du blog « NPA auto critique, actualités des luttes dans l'automobile » PELLETIER Robert, VESSILLIER Jean-Claude
(texte publié aussi sur le site de Europe Solidaire Sans Frontières, ESSF)

Voir aussi la vidéo du témoignage de Clara et Henri Benoits sur le massacre des Algériens par la police française du 17 octobre
1961

https://lanticapitaliste.org/videos/massacre-du-17-octobre-1961-le-temoignage-de-clara-et-henri-benoits

Autre témoignage :
« Décès d’Henri Benoits (1926-2025) : Une vie dédiée aux travailleurs et à la cause nationale
Né en 1926 à Paris, Henri Benoits est mort le jeudi 27 novembre 2025, à trois jours de ses [100] ans. Il a consacré une grande partie de sa vie à la cause des travailleurs et au soutien de l’Algérie dans sa guerre de Libération pour l’indépendance. Dès les années 1940, il se rapproche des militants algériens en France, participe à l’hébergement de militants du FLN, à la collecte de fonds et à la diffusion de la presse clandestine.
Cette solidarité indéfectible restera le fil rouge de son engagement tout au long de sa vie syndicale et politique. Benjamin d’une fratrie de huit enfants, Henri Benoits grandit dans un foyer marqué par la précarité. Son père, ancien étudiant en médecine devenu médecin auxiliaire pendant la Première Guerre mondiale, enchaîne les emplois instables après le conflit. Sa mère, comme il le rappelait lui-même, était « mère au foyer », assumant le quotidien d’une famille nombreuse.
Ces premières années dans un environnement modeste forgent chez lui une conscience précoce des inégalités sociales. Henri obtient son certificat d’études primaires à douze ans, en 1938, puis suit un cours complémentaire général et industriel jusqu’en 1940. En juin 1941, il devient apprenti ajusteur chez Férodo, fabricant de garnitures de freins et d’embrayages, à Saint-Ouen, tandis que son frère aîné rejoint Chausson à Asnières. Sur ses heures de travail, il prépare et obtient en juin 1944 son certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de dessinateur-calqueur.
C’est à cette époque que commence son engagement politique.

Illustration 4


Par l’intermédiaire de son frère, il rencontre Daniel Renard (1925-1988), militant des Auberges de jeunesse clandestines et membre de la IVe Internationale. Sensibilisé à un “internationalisme” qui l’éloigne du soutien à Charles de Gaulle (1890-1970), il participe à des collages nocturnes d’affiches et à la distribution de tracts sur les chantiers de la Société nationale des chemins de fer (SNCF).
Lors de l’insurrection de Paris en août 1944, il tient les barricades dans le XVe arrondissement, avant de traverser la ville avec son frère pour occuper les usines Chausson et Férodo, dans l’espoir d’y reconstituer la Confédération générale du travail (CGT). Il consigne quotidiennement les adhésions sur un carnet qu’il dépose ensuite à la Maison des Métallos. Il rejoint les Gardes civiques républicaines et devient responsable de la commission Jeunes de la CGT chez Férodo. De 1944 à 1946, il anime l’Union locale des jeunes de la CGT à Saint-Ouen et forme différentes commissions de jeunes dans des usines comme Alsthom.
C’est à cette période qu’il adhère au Parti communiste internationaliste (PCI). De novembre 1946 à septembre 1947, il effectue son service militaire en Allemagne, dans le Palatinat, abrégé en raison de sa situation familiale. A son retour, il entre chez Alsthom, place Balard, à quelques jours des grandes grèves de l’automne 1947. Il y joue un rôle actif comme responsable du contrôle téléphonique, avant d’être rappelé sous l’uniforme le 3 décembre 1947, l’armée étant mobilisée pour contrer la contestation, jusqu’en février 1948.

Témoin oculaire de la répression du 17 octobre 1961
De retour à Alsthom, il participe à la création d’un syndicat autonome né du refus de la scission entre la CGT et la Force ouvrière (FO), avant de s’en éloigner pour défendre une conception confédérale du syndicalisme. Le 15 septembre 1950, il rejoint Renault-Billancourt, où il retrouve Daniel Renard et intègre la cellule trotskiste du PCI. Embauché comme dessinateur d’études dans les bureaux d’Outillage-Tôlerie, il devient membre du secrétariat de la cellule et participe au renforcement du mouvement trotskiste dans cette “forteresse ouvrière” qui attire
de jeunes ouvriers déçus de la grève de février 1950 pour la convention collective de la métallurgie.
Côté syndical, la direction du PCI lui demande de se syndiquer à FO en 1951, syndicat majoritaire chez les “mensuels”. Il y signe l’appel à la grève générale de la CGT du 12 février 1952, unique syndiqué FO à le faire. Désavoué par la Commission exécutive, il rompt avec FO et prend part activement aux barricades et manifestations de solidarité avec les licenciés. C’est alors qu’il rencontre Marius Apostolo (1924-2007) et Clara Hesser (1930-2023), qui deviendra sa femme en 1963. Il adhère ensuite à la CGT et est élu délégué du personnel en 1954, fonction qu’il exercera pendant vingt ans, notamment lors de la grève des dessinateurs en 1956, prenant en charge la section syndicale des “mensuels” au sein de la CGT-Renault. Politiquement, convaincu qu’il faut être “partie prenante du mouvement réel des masses”, il soutient la ligne de Michel Pablo (1911-1996) lors de la crise trotskiste de 1952 et s’engage dans les luttes anticoloniales aux côtés de militants vietnamiens et algériens dès 1945. A Renault, il se rapproche des travailleurs algériens de toutes obédiences.
A partir de 1955, il travaille avec le FLN en France, assurant l’hébergement de militants, la collecte de fonds et l’organisation de l’impression et de la diffusion de la presse clandestine avec Mohamed Cherchelli et Mohammed Harbi. Ces activités se poursuivent jusqu’en septembre 1959, lorsqu’il cesse l’aide directe au FLN sous pression de la DST, continuant néanmoins son soutien via l’Association générale des travailleurs algériens (AGTA).
En 1958, il adhère au Parti socialiste autonome (PSA) puis au Parti socialiste unifié (PSU) en 1960, dont il devient secrétaire de la section Renault. En octobre 1961, sur demande du coordinateur FLN Mohammedi Sadek, il observe, avec Clara Hesser, la manifestation du 17 Octobre à Paris depuis la place de l’Opéra, témoin de la répression sanglante contre les Algériens. Après l’indépendance, il se rend à Alger en juillet 1962 pour évaluer les besoins de l’UGTA, mission restée sans suite dans le contexte politique du pays. De retour en France, il se consacre aux travailleurs immigrés, participant aux mobilisations de Mai 68 et des années 1970.
Avec Clara, il rejoint l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) à Issy-les-Moulineaux à partir de 1976 et soutient les premières luttes des sans-papiers ainsi que les mouvements de chômeurs et précaires.

Illustration 5

Militant d’Agir contre le chômage, il reste actif jusqu’à sa préretraite en 1984, vivant ensuite à Issy-les-Moulineaux.
Henri Benoits laisse le souvenir d’un homme engagé, profondément attaché à l’Algérie et à la défense des travailleurs, témoin de la lutte anticoloniale en métropole et figure marquante du syndicalisme ouvrier français. »

Dimanche 30 novembre 2025, par SOUAG Abdelouahab (in « El Watan »).

Robi MORDER a également mis en place une vidéo dans laquelle Henri et Clara relatent la grève dans leur usine de Renault-Billancourt en mai 68 :
https://www.youtube.com/watch?v=S0UPMn7O_Lk

Clara et Henri Benoits.

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