Assassinat ou accident ? Une enquête a commencé car tout est envisageable avec les services israéliens, y compris la complicité du régime marocain. L'homme était l'un des principaux animateurs du vaste mouvement de solidarité au Maroc avec le peuple gazaoui martyrisé.
Quoi qu'il en soit, une très triste nouvelle.
Je reprends ici l'article que vient de publier le journal « Le Monde » (9 novembre 2025).
« “C’est une partie de la mémoire du Maroc qui s’en va. Nous avons perdu les résistants, qui ont lutté pour l’indépendance, nous perdons à présent les derniers témoins des années de plomb sous Hassan II”, déplore Abdullah Abaakil, vice-secrétaire du Parti socialiste unifié. Figure de l’extrême gauche marocaine, de l’antisionisme et de la lutte pour les droits humains, Sion Assidon est mort à 77 ans à l’hôpital Cheikh Khalifa de Casablanca dans la nuit du 6 au 7 novembre, après trois mois passés dans le coma.
Né à Agadir en 1948, dans une famille juive originaire de Safi, Sion Assidon grandit auprès d’une mère comptable et d’un père entrepreneur. Après le séisme dévastateur de 1960, ses parents déménagent 400 kilomètres plus au nord, à Casablanca, où l’adolescent poursuit des études de mathématiques. Il accompagne par la suite l’émergence du Mouvement du 23 mars, fondé en 1970 par des militants marxistes-léninistes, auxquels se joint l’opposant Mohamed Bensaid Aït Idder, condamné à mort pour complot contre la monarchie, peu après la montée sur le trône d’Hassan II. Née d’une scission avec l’Union nationale des forces populaires, le parti créé par Mehdi Ben Barka, l’organisation, qui tire son nom du soulèvement populaire du 23 mars 1965, réprimé dans le sang, opère dans la plus complète clandestinité.
« Il a été torturé et en a bavé »
Arrêté en 1972, en même temps que d’autres activistes d’extrême gauche, Sion Assidon est jugé l’année suivante lors d’un procès retentissant, en présence d’avocats du barreau de Paris. La justice marocaine lui reprochait ses opinions marxistes et d’avoir, entre autres, imprimé des tracts.
Sa condamnation à quinze ans de prison – il en purgea douze – pour atteinte à la sûreté de l’Etat, en 1973, avait soulevé les mathématiciens français. Quatre cents d’entre eux s’étaient mobilisés pour obtenir sa libération, parmi lesquels des sommités : Laurent Schwartz, Michel Broué, Henri Cartan, Gustave Choquet et Jean Dieudonné. Incarcéré à la prison centrale de Kénitra, il tente à plusieurs reprises de s’évader. “Il a été torturé et en a beaucoup bavé”, témoigne Michèle Zirari-Devif, spécialiste du droit pénal marocain.
Libéré en 1984, Sion Assidon reprend les affaires de son père. Il embauche d’anciens compagnons de cellule et cofonde, en 1996, la branche marocaine de l’ONG Transparency International, dédiée à la lutte contre la corruption. “C’était courageux de sa part, car le mot même de corruption était tabou à l’époque”, confie un de ses membres, Fouad Zirari. “Plutôt que d’aller sur le terrain des droits de l’homme, il avait compris que la première arme du système pour se prémunir de toute opposition était l’argent”, observe Abdullah Abaakil.
Lutte antisioniste
Outre son plaidoyer pour la transparence, Sion Assidon marchait dans le sillage des Marocains juifs antisionistes, tels Abraham Serfaty, Edmond El Maleh et Simon Lévy. A l’orée des années 2010, il participe à l’implantation au Maroc du mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) contre les produits israéliens issus des territoires palestiniens occupés. “Il était fier de sa culture juive, mais il se disait athée et revendiquait avant tout sa nationalité marocaine. C’était sa meilleure arme contre les islamistes qui mêlent volontairement antisionisme et antisémitisme”, relève Omar Balafrej, ex-député de la Fédération de la gauche démocratique.
Avec le siège de Gaza, consécutif aux attaques du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, Sion Assidon, qui s’opposait à la normalisation des relations entre Rabat et Tel Aviv, s’était engagé dans un nouveau combat : faire cesser l’accostage au Maroc de navires chargés de matériel militaire à destination de l’Etat hébreu. En avril 2025, des milliers de manifestants avaient convergé vers les ports de Casablanca et de Tanger pour protester contre la venue d’un bateau suspecté de transporter des pièces de chasseurs américains F-35 vers Israël. Plus récemment, en mai, Sion Assidon s’était dit “révolté” par la participation de soldats israéliens à des manœuvres militaires au Maroc.
Sa disparition intervient alors qu’il était “très exposé”, affirme l’économiste Azeddine Akesbi, qui s’interroge sur les circonstances exactes de sa mort. Sion Assidon était plongé dans le coma depuis le mois d’août, après avoir été retrouvé inconscient à son domicile de Mohammedia. Probablement en raison d’un accident domestique, avait relevé le parquet marocain dans un premier temps. Effectuée à la demande d’une partie de son entourage, une autopsie révèle que son décès est dû “à des complications septiques consécutives à un traumatisme crânien”, selon un communiqué du procureur général de Casablanca, daté de samedi. “Ces éléments, précise ce dernier, corroborent l’hypothèse d’une chute d’une échelle, alors que le défunt taillait des arbres dans son jardin.” Une enquête est toujours en cours.
Marié par deux fois, Sion Assidon était père de deux enfants. De sa première union, brisée par son séjour en prison, est née Marie-Emmanuelle Assidon. Ancienne préfète déléguée à l’égalité des chances des Bouches-du-Rhône, elle est aujourd’hui la directrice de cabinet du maire de Marseille, Benoît Payan.
Alexandre Aublanc (Casablanca, Maroc, correspondance) »
(J'adresse mes vives condoléances à sa famille, que j'ai eue l'occasion de connaître à Marrakech en compagnie de Abraham et Christine.)