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Billet de blog 20 septembre 2015

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Lettre à un camarade

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cher camarade

Merci pour ton message, j’ai plaisir à recevoir de tes nouvelles et j’espère en premier lieu que tu vas bien. As-tu eu l’occasion d’aller une nouvelle fois à la fête de l'Huma ?

Sur la pétition de la sociale.net

 (https://www.change.org/p/%C3%A0-tous-les-citoyens-appel-au-rassemblement-pour-le-soutien-au-peuple-grec-la-rupture-avec-l-ue-et-l-euro?tk=gOlkUDCJ1rqhT-PaeOZEqAIkSLcCuauOYAgXw_Y5hQk&utm_source=supporter_signature_milestone_email&utm_medium=email&utm_campaign=supporter_signatures_500&utm_term=supporter_signature_milestone_email),

tu as raison, le passage sur le PG est factuellement inexact. Je le leur ai dit. Il y a d'autres choses aussi mal énoncées. Mais l'essentiel du texte étant ailleurs (regrouper ceux qui s’opposent à l’UE et de l’euro), je l’ai signé et je soutiens cet appel. A cette étape de la vie militante et de la situation, l’indécision n’est plus de mise.
S’y retrouvent des gens comme Marc-Raoul Jennar, Jacques Cotta, Denis Collin et bien d’autres.

Comme tu sais, j’ai quitté le PG, j’ai réfléchi au bilan des sept années que j’y ai passées, du Front de gauche, etc.
Je suis arrivé à la conclusion que toute cette affaire ne mènera à rien, au mieux à une perte de temps, au pire à un désengagement supplémentaire des quelques forces qui poursuivent la lutte.
La gauche critique est stratégiquement défaite et je n’attends plus qu’elle se réforme. La décomposition va s’accélérer même si un probable regain d’espoir (d’illusions ?), suscité par la mise en scène de la société du spectacle, reprendra durant le 1er tour de la Présidentielle, pour retomber ensuite comme un soufflet.
Je crois que le Front de gauche a été l’ultime carte pour la gauche critique.
Tout comme la victoire de F. Hollande était la dernière carte pour faire vivre l’espérance autour du PS et la gauche…
Ce n’est plus l’attelage de forces décomposées et pointant leurs regards dans des directions différentes – toujours la question européenne ! – qui sont susceptibles d’apporter la perspective qu’il faut pour changer la donne.
Bien entendu, il n’y a jamais rien de définitif. Mais il y a des conditions qui rendent toujours plus difficile la lutte.

Tu m’indiques que la souveraineté nationale n’est pas un projet… Si, par projet, il s’agit de dessiner un projet de société, je ne sais pas comment nous pourrions de toute façon réaliser ce projet sans la souveraineté ! Pas de projet qui vaille sans l’instrument qu’est la démocratie. Faut-il une VIe république ou ré-oxygéner la Ve ? Quoi qu’il en soit, il n’est pas absurde que l’exigence d’une nouvelle république puisse se retrouver parmi les points d’un accord commun avec les forces favorables à la souveraineté nationale (entendue comme celle du peuple, par-delà les ergoteurs)…

Tu me parles de F. Morvan [ex-responsable de la LCR passé chez Dupont-d'Aignan]
L’esprit de système que tu dis chez lui est bien possible, mais rétrospectivement ce qu’il disait à l’époque ne se révèle pas faux aujourd’hui… Il avait tort parce qu’il avait raison trop tôt ! Comme on dit, l’heure, c’est l’heure : avant l’heure, c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure. Tout comme le « Produire français » du PCF des années 70 : faux hier, juste aujourd’hui ; il y a un moment de bascule. Je pense que nous y sommes et si ce n'est pas maintenant, ce sera dans pas longtemps du tout.
Notamment parce qu’il n’est plus possible de rester au milieu du gué entre la position de soutien à la nation et celle à la construction de l’Union européenne. Les réponses à la Normande (1) de J.-.L. Mélenchon, J. Généreux, ou d’ATTAC-LDH-Copernic-Sud, arbitrées par le PCF de P. Laurent, ne sont plus audibles, particulièrement par notre cœur de cible social et électoral : les couches populaires.
Et aussi du fait que chaque crise est l’occasion pour les institutions européennes de raffermir ses positions.
La dé-légitimation de la souveraineté nationale est une œuvre de chaque instant. Lis ce qu’écrivent les fondations financées par l’UE, c’est très instructif ; on n’y parle plus de « nations » mais de « territoires » et « régions ». Comme tu sais, j’écris des piges pour des journaux. Actuellement, je m’occupe de Erasmus. Eh bien, songe qu’aucun bilan d’activité (statistiques, évaluations, etc.) de ce dispositif, dont profite parmi les têtes de liste la France, n’existe… en français ! Les rapports portent des titres en français mais leur contenu est exclusivement en anglais. Quoi de plus normal, d’ailleurs, lorsqu’on songe entre autres à la grande distribution où nombre de produits qu’elle met en rayon sont sans étiquetage en français ! Qui va aller vérifier le respect de la réglementation, puisqu’il n’y a quasiment plus de contrôle ? Pas plus dans le commerce que dans le monde du travail. Un confrère paye des cotisations à l’un de ses employeurs, qui ne les reversent pas aux organismes sociaux. Le patron se salarie à 10 000 € par mois tout comme son épouse (travail fictif) et dépose régulièrement le bilan afin d’éponger les dettes. Puis, par un mécanisme que j’ignore, il se trouve de nouveau à la tête de la boîte qui redémarre ! Cela fait plusieurs fois qu’il opère avec le même titre de presse. 
Notre pays va à vau-l’eau.
Dans « Le Monde » (Economie & Entreprise), un article explique que les délocalisations se poursuivent. « Depuis le départ de Montebourg du gouvernement, plus aucune politique particulière n’est menée en faveur des relocalisations », est-il écrit. Il fournit des exemples précis. Tandis qu’en cinq ans (depuis 2010), écrit le journaliste, « les importations de produits manufacturés ont progressé en volume de 14 % alors que la demande intérieure est restée étale » (11 sept. 2015)…
Faut-il te parler du rôle de l’euro monnaie unique dans cette affaire ?
Rappelle-toi que le PG n’a pas cessé de prétendre que l’euro n’était pas le problème, le problème venait de l’utilisation qui en était faite ! Rien ne vaut mieux qu’une école de la scolastique pour noyer le poisson. On voit bien de quoi souffrent nos courants politiques : la rhétorique spéculative. La nuance de la nuance de la nuance. En langage courant, on appelle cela le baratin. 
Résultat : nous surnageons dans la confusion la plus totale.

Jacques Sapir, pour venir à lui, explique exemples à l’appui (la dernière fois, c’était sur la crise du porc : http://russeurope.hypotheses.org/4217) année après année, mois après mois, le rôle de la monnaie unique dans des économies différentes. En quoi une telle monnaie (qui plus est forte, par rapport surtout au dollar, et gérée par une Banque prétendûment indépendante) contraint soit à approfondir les inégalités entre pays où elle a cours soit à imposer une politique économique commune, incluant une politique de péréquation de la richesse, ce qui suppose la fédéralisation des Vingt-Huit. Or de tels transferts recouvrent une masse financière si considérable (estimée par lui à 300 milliards €/an), qui devrait être financée en grande partie par l’Allemagne, qu’on voit mal comment ce pays s’y résoudrait. (Sans parler évidemment du caractère politiquement discutable pour les nations d’un tel fédéralisme !) Nous aurons donc le fédéralisme moins son avantage économique !
Enfin, l'euro est un vecteur de propagation infernale de la Finance.
La question de l’euro n’était donc pas un problème de demain, mais un problème pour tout de suite !
Xavier Ragot, directeur principal de l’OFCE, a ainsi estimé que 30 % du chômage en France provenait directement des conséquences de l’euro sur notre économie. Entre effets directs et indirects, J. Sapir estime ce pourcentage à 65 % (http://russeurope.hypotheses.org/3814), pardon du peu !
C’est pourquoi le PG n’a jamais pu présenter sérieusement un programme contre le chômage, ça l’aurait obligé à se coltiner à la théorie monétaire.
Devant l’obstacle, le PG a laissé filer le sujet.
Le FN s’en est emparé.
Ainsi, il ne fallait ni parler de l’UE ni de l’euro, qui n’étaient pas le problème qu’on disait…(Contrairement à ce que raconte M. Husson qui dit que l’on fait de l’euro un « totem », c’est ce courant politique-là qui en a fait un tabou.)

Il faut lire ce que racontait Sapir dès 2006 : http://russeurope.hypotheses.org/4306

Mais voici qu’entre J. Sapir et F. Lordon, un nouveau débat s’installe : la stratégie. L’autre volet (avec le programme) qui constitue une politique. Comment deux intellectuels favorables à la rupture avec l’euro et l’UE comptent-ils faire avancer leur idée ?
De F. Lordon, on n’en saura rien. J. Sapir, lui, croit à la pertinence d’un Front de libération nationale… Pour des gens qui n’ont jamais compris les FLN que dans le territoire de pays pauvres et colonisés, l’idée heurte et provoque.
Mais songent-ils à notre adhésion à l’OTAN sous Sarkozy, sans consultation populaire ?
A la primauté du droit européen sur notre droit national, sans consentement populaire non plus ?
A l’état d’assujettissement dans lequel nous sommes par rapport aux directives et à tous les traités ? Le dernier en date des traités est celui de l’accord sur l’austérité de Merkel-Sarkozy (le TSCG) au nom duquel se réalise la politique d’austérité de l’Etat et de nos collectivités territoriales (régions, départements, communes).
Songent-ils aux rétorsions nord-américaines ? Après la BNP-Paribas (8,8 milliards €), c’est le Crédit agricole qui est mis à l’amende (peut-être de l’ordre d’un milliard €), toutes deux pour avoir contrevenu à l’embargo US sur l’Iran ? 
A l’accord, bien avancé, de libre-échange PTCI (TTIP ou TAFTA en anglais) entre l’UE et les EU ?
Comprennent-ils les évolution structurelles en cours ?
Ont-ils saisi la nature des difficultés à mobiliser dans pareil contexte ? Pris du temps pour apprécier l’état du rapport de forces ?
Probablement pas, vu la façon qu’ils ont de contourner la réalité. (Sans oublier le fonctionnement peu démocratique de leurs formations, du PCF, du PG, d’EE-LV, etc. qui ne peut que les aveugler davantage. D’où peut-être leur déception à l’égard du caractère marginal des mouvements de solidarité des peuples avec la Grèce de Syriza.)

Je ne reviendrais pas sur la proposition de J. Sapir. A propos de laquelle la bonne conscience politico-médiatique n’a voulu voir que l’aspect le plus polémique et hypothétique – une possible évolution d’un FN sur la question du droit du sang et la préférence nationale qui le rendrait acceptable.
Il suffit de bien lire ses billets.
On condamne J. Sapir comme on l’a fait de J.-P. Chevènement en 2002. La gauche de gauche a-t-elle prouvé quoi que ce soit entretemps ? 
L’optimisme de J. Sapir à l’égard d’un FN qui évoluerait (certains parlent de « naïveté ») peut ne pas être partagé. Mais au moins J. Sapir agit un peu sur le FN, préférant renforcer sa frange « souverainiste » que libérale, plutôt que se satisfaire d’une « diabolisation » discutable, qui nous fait voir passer le train.

Exit J. Sapir.

Et voici qu’après avoir donné l’extrême-onction au Front de gauche et ses Assemblées citoyennes en appelant au soulèvement d’une génération spontanée (le Mouvement pour la VIe république, M6R), puis à la création d’appels citoyens pour les élections régionales (2015), J.-L. Mélenchon relance (après l’échec de l’un et l’autre) le Front de gauche, en appelant à l’unité de tous ! Le pompier-pyromane. Est-ce sérieux, de notre part, de s’accorder sur un tel porte-parole pour 2017 ? Qui part dans des aventures individuelles, n’a rien pu faire de nos 11,1 %, et qui parle de fonder une Fondation après la Présidentielle… ?
Comment ne pas y voir des sautes d’humeur, un fonctionnement personnel erratique, une pratique politique peu compatibles avec le combat que nous menons ?

De toute manière, avec l’attelage politiquement hétéroclite dont nous avons parlé, sa candidature (même sous couvert de la « VIe république » ou d’une « Constituante ») aura bien déjà du mal à supplanter le PS au 1er tour. Elle laissera le 2e tour se faire entre l’UMP et le FN, ce qui est l’enjeu essentiel d’une Présidentielle. Sauf évènement inattendu, le scénario est écrit.
Au lendemain, cette gauche de gauche se re-divisera sur le sujet de fond que le magicien aura réussi à évacuer durant la campagne.

Ce sera une nouvelle fois la démonstration qu’unir les forces anti-austérité de gauche ne fait ni un projet de société ni un projet de gouvernement en commun. Pour convaincre notamment les abstentionnistes, il faudra remettre sur le métier la nécessité d’un projet pour la France et l’exigence d’une stratégie pour gagner.

Que de temps perdus, de forces fragilisées pour assumer, enfin !, la dé-mondialisation…

Il est encore temps de réagir. De ne suivre ni Dieu, ni César, ni Tribun. On pourra déplorer de toutes les manières possibles la division, l’effritement des forces, mais il faut choisir.

« Une démocratie à l’échelle planétaire n’est pas présentement possible, disait Edgar Morin. Une démocratie à l’échelle de l’Europe mettra du temps à s’instaurer, via des partis et syndicats transnationaux. Je crois malgré cela qu’il existe au niveau de la France la possibilité d’une politique de civilisation » (« Le Monde 2 » n° 168, mai 2007).

Il est l'heure. 
A la gauche révolutionnaire de ne plus se tromper d’orientation !

1) Encore qu'il suffit de se rapporter à un Conseil national du Parti de gauche pour comprendre que « l'intégration européenne » fait partie de ses objectifs. Voir : http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/resolution-du-parti-de-gauche-sur-l%E2%80%99euro/

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