Le mouvement ouvrier français traverse une période périlleuse, ne parvenant pas à protéger le salariat des coups qui lui sont portés ni à proposer un programme alternatif d'ensemble, crédible, qui lui permettrait d'accéder au pouvoir.Le PS se comporte au gouvernement comme une « deuxième droite ». Il décroche et semble embarquer avec lui le reste de la gauche. Un duel droite-extrême-droite en 2017 au second tour est possible, et pourquoi pas ? la victoire du FN – au passage, sans que cette formation dispose de groupe parlementaire ou de relais institutionnels. L'Union européenne poursuit son emprise dérégulatrice, destructeur des « modèles » propres à nos Etats-nations. Et la possibilité qu'un mouvement social d'ampleur puisse rebattre les cartes paraît lointaine.
C'est ce moment-là qu'a trouvé le Front de gauche pour se désunir.
PCF et PG ont tort, archi-tort.
Aucune recomposition des forces ne va s'opérer à partir de la gauche PS, pas plus que n'émergera un mouvement d'opinion salvateur à partir du Mouvement VIe république initié par Mélenchon. Nous aurons tout au plus perdu du temps sur la définition de ce que nous devons faire et où aller. Nous aurons pris notre part de la décomposition.
Le « rassemblement de la gauche » ? Les députés « frondeurs » du PS ne vont pas cesser de s'abstenir, permettant à sa majorité social-libérale de conduire les contre-réformes que l'exécutif veut. La crainte d'une dissolution de l'Assemblée nationale, qui redonnerait le pouvoir à la droite et du même coup leur ferait perdre leurs sièges, les conduira à boire le calice jusqu'à la lie. Leurs spéculations sur un congrès et un candidat commun à la Primaire PS ne parviendront pas à faire oublier le bilan calamiteux du quinquennat. Idem pour les députés d'EE-LV.
La nature de leurs divergences avec la politique du gouvernement n'est pas non plus suffisamment éloquente pour escompter qu'ils ne rentrent pas un jour dans le rang. Ne parlons pas du volet européen, dont ils attendent surtout une harmonisation des normes et une relance économique keynésienne, pour continuer de soutenir l'intégration européenne au prix de la souveraineté du peuple français
Par-delà ces frondeurs, l'élection de Hollande face à Sarkozy était une victoire de la dernière chance. Après la déception du gouvernement Jospin (1997-2002), il s'agissait de contredire le sentiment général que la gauche et la droite, c'est du « pareil au même ». Que Hollande déçoive à son tour, et la décomposition de la gauche s'accélèrerait. Nous y sommes. Se définir à gauche est désormais bien insuffisant pour enrayer la machine à perdre. Les écrits de J.-C. Michéa en la matière nous invitent à nous redéfinir.
Pour toutes ces raisons, et l'analyse n'est pas exhaustive, la stratégie du PCF, de Gauche unitaire et Socialisme et République, de « rassemblement de la gauche », n'aboutira tout au plus qu'à préserver des élus, sans ancrage véritable puisque qu'ils ne doivent leur majorité qu'à des taux d'abstention stratosphériques. Passée l'élection, la base sociale des formations de la « gauche » devrait continuer de se réduire. L'idée d'un « Front unique », d'un « rassemblement de la gauche », est de ce fait devenu un anachronisme – ce qui n'empêche nullement de préférer l'unité dans la clarté à la division, mais cela ne peut plus constituer l'objectif stratégique n°1..
Ce n'est pas faute d'y avoir longtemps cru : jusqu'à la Présidentielle, cette stratégie avait encore un sens. Mais depuis, avec la politique réellement existante du PS et la décomposition des forces de gauche, comment y croire ?
Le M6R, de son côté, a-t-il une chance de marquer la période ? Pas davantage. 100 000 signataires en ligne ne font pas un mouvement social dans la veine des Indignés espagnols, à plus forte raison de Posedemos. Poser la question des institutions avant de définir la politique d'urgence sociale qu'il faudrait mener, c'est croire qu'il suffit de déclamer des grands principes avant d'aider à éteindre le feu dans la maison ! Il y a là une démarche très idéologique quand d'autres se proposent plus simplement de résoudre le chômage, éradiquer la corruption, apporter la sécurité. Peu importe à la rigueur qu'ils y parviennent, le peuple ayant déjà testé l'« UMPS », pourquoi ne pas tenter le FN ? Qui ne cesse de marteler que le « peuple est invincible » là où les plus hardis proclament qu'il faut renégocier les traités.
Combien de temps le M6R se donne-t-il pour dresser un bilan de son activité, et décider peut-être de s'y prendre autrement pour lever un mouvement d'opinion ? C'est à tout le moins ce que ses militants devraient définir afin d'éviter de s'épuiser dans un puit sans fond.
Il reste la troisième option, expérimentée lors de la manifestation des 3A du samedi 15 novembre dernier, correspondant à la recherche de convergences des « politiques » avec le mouvement syndical et associatif, dans la veine « mouvementiste » du « Front du peuple ». L'affaire est handicapée par le surplace du FdG dans lequel PCF et PG l'ont placé. Mais est-ce la seule explication à l'échec de cette mobilisation nationale ? Probablement pas. Et nous revoilà nous coltinant avec la crise de la représentation, qui s'exprime davantage dans le fatalisme, le repli sur soi, la résignation ou l'éructation acide. Il faudra bien que le FdG aborde cette désaffection autrement qu'il le fait, ne serait-ce qu'en réfléchissant au jargon militant qu'il utilise ou aux affiches qu'il ne placarde plus ; à son absence devant les centres des Impôts ou les antennes de Pôle emploi ; à sa difficulté à battre le terrain.
Il n'existe pas d'autres portes de sortie pour le FdG que dans sa revitalisation, à travers son élargissement à d'autres formations, une architecture militante horizontale faite de mutualisation des moyens – pourquoi pas la publication hebdomadaire dans « l'Humanité », un même jour de la semaine, d'un supplément de 8-10 pages consacré exclusivement au FdG, au travail intellectuel de ses Front thématiques, et à ce qui pourrait répondre aux besoins des Assemblées citoyennes ? – et l'ouverture de chantiers programmatiques – la réduction du temps de travail, oui, mais quid d'un revenu minimum garanti (ou d'un salaire universel), ou comment articuler l'urgence d'un emploi et la prise en compte du travail non salarié, afin de mettre le travail à sa juste place dans l'organisation de la société ? De quelles revendications transitoires, qui fassent levier, entre les urgences à satisfaire et le passage à une autre société, le FdG doit-il se doter ? Comment recouvrer la souveraineté du peuple français à partir de son vécu prosaïque, ou comment desserrer le noeud coulant de l'U.E. et sa monnaie unique ?
Toutes ces questions doivent être résolues pour fournir un contenu moins mièvre à un travail d'éducation populaire opérant.
Nous avons perdu du temps, rattrapons-le vite !