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Billet de blog 7 décembre 2025

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Le plan de paix de Trump pour l'Ukraine : Chronique d’un flop annoncé

Avec son "plan en vingt-huit points", Donald Trump se voyait en "faiseur de paix", promis au prochain Nobel. Aligné sur les exigences de Poutine, ce plan prévoyait le retrait de l’armée ukrainienne de la partie du Donbass qu'elle contrôle encore. Une condition massivement rejetée dans l’opinion publique ukrainienne et qu’aucun dirigeant ukrainien ne peut aujourd’hui prendre le risque d’accepter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est un bien curieux « plan de paix en 28 points », attribué à Donald Trump, qui a été dévoilé le 20 novembre, alors qu’en Ukraine le pouvoir du président Zelensky était ébranlé par un énorme scandale de corruption. Tout d’abord, par son contenu : un catalogue de prétentions extravagantes de l’État agresseur, sans rapport avec la réalité du front sur le territoire de l’État agressé, et en contradiction totale avec les normes du droit international. Un plan de paix curieux aussi par la manière dont il a été rendu public : non par une présentation officielle de l’administration américaine, mais par des fuites sur les réseaux sociaux. Et, pour ajouter à l’étrangeté, il s’avère que les deux textes diffusés le même jour, le premier à partir de l’Ukraine, puis, quelques heures plus tard, le second, des Etats-Unis… ne sont pas identiques !

Le texte du « plan de paix en 28 points », diffusé sur Telegram, en ukrainien, par le député Oleksi Hontcharenko, le 20 novembre, est non seulement le premier mais aussi, vraisemblablement, le plus ancien. Car celui qui est publié, dans les heures suivantes, en anglais, sur le site internet américain Axios, apparait comme en étant une version épurée. Cela est très net, particulièrement, si l’on compare les formulations du point 20. La première, en ukrainien, était :

« Les deux pays [la Russie et l’Ukraine] s’engagent à introduire des programmes éducatifs dans les écoles et la société visant à comprendre et tolérer les différentes cultures et à éliminer le racisme et les préjugés :

  1. L’Ukraine adoptera des règles de l’UE concernant la tolérance religieuse et la protection des minorités linguistiques ;
  2. Les deux pays s’accorderont à abolir toutes les mesures discriminatoires et à garantir les droits des médias et de l’éducation ukrainiens et russes ;
  3. Toute idéologie et activités nazies doivent être rejetées et interdites »

La seconde formulation du point 20, selon le texte diffusé par Axios, en anglais, se réduit à :

« Les deux pays s’engagent à mettre en œuvre des programmes éducatifs dans les écoles et la société visant à promouvoir la compréhension et la tolérance mutuelle ».

On le voit, cette dernière version a été débarrassé de la rhétorique poutinienne, provocatrice, selon laquelle il faudrait « dénazifier » l’Ukraine.

Le tableau ci-joint permet d’observer que des allègements significatifs ont été réalisés sur les points 12, 13 et 14. Mais, c’est surtout sur le point 21 – le plus sensible d’entre tous – que l’on observe un amendement particulièrement opportun. Son quatrième alinéa était formulé ainsi dans le texte en ukrainien :

« Les forces ukrainiennes se retirent de la partie de la région de Donetsk qu’elles contrôlent actuellement, et cette zone sera considérée comme une zone tampon neutralisée, démilitarisée, reconnue internationalement comme un territoire appartenant à la Fédération de Russie. Les forces russes n’entreront pas dans cette zone démilitarisée. »

Il devient dans le texte publié par Axios, en anglais :

« Les forces ukrainiennes se retireront de la partie de la région de Donetsk qu’elles contrôlent actuellement, qui sera ensuite utilisée pour créer une zone tampon. »

On le voit, l’exigence principale demeure : le retrait de l’armée ukrainienne de la partie de la région de Donetsk que les Russes ne sont pas encore parvenus à occuper. Ce qui disparaît, c’est une exigence absurde : la « reconnaissance internationale » de cette région comme appartenant à la Russie. Le droit international l’interdit ! Proclamer sa souveraineté sur une partie du territoire d’un Etat voisin, comme le fait la Russie, est inacceptable au regard de la Charte des Nations Unies.  Reste, dans la version publiée en anglais, le premier alinéa qui dit que « La Crimée et les régions de Louhansk et de Donetsk seront reconnus, y compris par les Etats-Unis, comme des territoires appartenant de facto à la Russie ». Cela suffit.

Toutes ces modifications, que l’on peut observer en comparant le texte publié en anglais au texte publié en ukrainien, indiquent qu’une consultation des dirigeants ukrainiens était en cours le 20 novembre. Les diplomates américains (les services du secrétaire d’État Marco Rubio ?) chargés de transmettre le texte du « plan de paix en vingt-huit points » à leurs homologues ukrainiens auraient admis rapidement qu’il avait certains défauts qu’il fallait corriger.

C’est évidemment la version « nettoyée » de certaines formulations à caractère inutilement provocateur, qui a été discutée à Genève entre la délégation américaine dirigée par Marco Rubio et la délégation ukrainienne dirigée par Andri Yermak, le 23 novembre.  A l’issue de ce premier round de négociations entre Américains et Ukrainiens, un projet révisé, réduit à dix-neuf points, aurait été établi. Mais, faute d’accord sur tous les points, il n’a pas été rendu public.   

Les révélations de Bloomberg éclairent sur la genèse du projet

C’est alors que l’on s’interrogeait sur l’avenir de ce plan de paix brouillon, mal ficelé, encore susceptible d’évoluer, que, le 25 novembre, l’agence de presse Bloomberg publie des transcriptions d’enregistrements d’échanges téléphoniques.  Ils apportent un éclairage précieux sur la genèse du projet.

Les enregistrements des échanges téléphoniques remontent à plusieurs semaines. Ils sont au nombre de deux. Dans le premier, daté du 14 octobre, le conseiller diplomatique de Donald Trump, Steve Witkoff, appelle son homologue russe, Iouri Ouchakov, ancien ambassadeur de Russie à Washington et conseiller diplomatique de Vladimir Poutine. Dans le second, daté du 29 octobre, le même Iouri Ouchakov échange des propos d’apparence sibylline avec Kirill Dmitriev, un autre conseiller du président russe.

Pour comprendre ce qui se trame alors, derrière ces échanges téléphoniques, il faut rappeler le contexte : le 13 octobre, Donald Trump triomphe à la Knesset. Les députés israéliens lui font une standing ovation de plus de deux minutes. Le président de l’Assemblée compare Trump à Cyrus – l’empereur perse qui, selon les Ecritures, a libéré les Juifs de Babylone – Il le qualifie de « géant de l’histoire juive » dont on se souviendra « des milliers d’années ». Dans son discours de remerciements, Trump, gonflé par les louanges, prétend avoir « réglé huit guerres en huit mois ». Il ajoute, pour être bien compris : « On dira peut-être que ça a été rapide, car hier, je parlais de sept guerres, mais aujourd’hui, je peux dire huit ».

Passons sur les sept guerres qu’il aurait « réglées » avant. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas pour grand-chose dans la fin de la guerre de haute intensité qu’Israël a menée à Gaza. Lorsqu’il présente son « plan de paix pour Gaza », le 29 septembre à la Maison blanche en présence du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, la ville de Gaza et les autres localités de la zone sont dévastées et le Hamas est à terre. Trump lance un ultimatum auquel ce dernier n’a plus les moyens de s’opposer. La première phase d’un accord entre Israël et le Hamas est signée le 8 octobre. Elle prévoit la libération des derniers otages israéliens. Laquelle est effective au moment où Trump arrive à la Knesset.

Les émissaires que Trump – son gendre, Jared Kushner et Steve Witkoff – qui sont censés avoir obtenu l’accord de Netanyahou sur un « plan en vingt points », n’ont pas eu besoin de beaucoup insister. Israël avait un plan : la capitulation du Hamas. Il était en phase avec la réalité du terrain où Israël avait terrassé son adversaire. La proposition venait à point. Trump, en faisant sien le plan israélien était utile à Netanyahou. Il faisait de son plan de paix aux conditions d’Israël, un plan de paix approuvé par la « communauté internationale » – du moins, par les Européens, la Turquie et les pays de la Ligue arabe.

On notera que Trump, dans son discours devant la Knesset, le 13 octobre, fit un hommage appuyé à son conseiller diplomatique, Steve Witkoff, « quelqu’un de formidable ». Il raconta comment il l’avait envoyé pour une réunion en tête à tête avec Poutine. Elle devait être bouclée « en quinze ou vingt minutes », mais « Steve » réussit à la prolonger durant cinq heures. Un exploit ! Cela, alors que, observa Trump, il « ne connaissait rien à la Russie, ni à Poutine. C’était trop pour lui. Il ne connaissait pas grand-chose à la politique, cela ne l’intéressait pas vraiment. Il était très doué dans l’immobilier, mais il avait cette qualité que je recherchais et que je ne voyais pas souvent ». Epaté par la performance, demandant à Witkoff de quoi il avait bien pu parler pendant cinq heures avec Poutine, Trump poursuivit: « Juste beaucoup de choses intéressantes. Nous avons juste… Nous avons parlé de beaucoup de choses intéressantes, y compris de la raison pour laquelle on était là ». Mais on ne peut pas en parler pendant cinq heures. On peut en parler pendant un certain temps et on sait ce qu’on obtient. Mais c’est un talent. C’est un talent que de pouvoir faire ça. La plupart des gens que j’enverrais, premièrement, ne seraient pas acceptés. Deuxièmement, s’ils l’étaient, la réunion durerait cinq minutes. Et c’est comme ça que ça se passe avec Steve. Tout le monde l’aime. »...

De toute évidence, à leur retour à Washington, Trump et Witkoff étaient euphoriques. Le « règlement » de la guerre à Gaza avait été rondement mené. Le succès appelant le succès, Trump pensait qu’il aurait bientôt l’opportunité de « régler » une neuvième guerre. Elle lui vaudrait, à coup sûr, le prochain prix Nobel de la paix !

C’est dans ce contexte, au lendemain du triomphe de son boss à la Knesset que Steve Witkoff appelle son homologue russe, Iouri Ouchakov. Il lui demande un projet de plan pour la paix en Ukraine du type du plan en vingt points qui a fonctionné pour mettre fin à la guerre à Gaza. Telle est la teneur du script de l’échange téléphonique que les deux hommes ont eu le 14 octobre. L’extrait suivant, dans lequel, après avoir suggéré que Poutine appelle Trump, Witkoff prodigue quelques conseils, est particulièrement édifiant :

Steve Witkoff : Iouri, Iouri. Voilà ce que je ferais. Ma recommandation.

Iouri Ouchakov : Oui, s’il te plaît.

Steve Witkoff : J’appellerais et je redirais que vous félicitez le président pour cet accomplissement, que vous l’avez soutenu, vous l’avez soutenu, que vous soutenez le fait qu’il soit un homme de paix et que vous êtes vraiment heureux d’avoir vu arriver ça. Je dirais ça. Je pense qu’à partir de là, ce sera un très bon appel.

Parce que – laisse-moi te dire ce que j’ai dit au président. J’ai dit au président que vous, la Fédération de Russie, avez toujours voulu un accord de paix. C’est ma conviction. J’ai dit au président que c’est ce que je croyais. Et je crois que la question est – le problème – est que nous avons deux nations qui ont du mal à trouver un compromis et lorsque nous y parviendrons, nous aurons un accord de paix. Je pense même que nous pourrions présenter une proposition de paix en 20 points, comme nous avons fait pour Gaza. Nous avons élaboré un plan Trump en 20 points pour la paix, et je me dis que nous pourrions faire la même chose avec vous. Ce que je veux dire, c’est que…

Iouri Ouchakov : OK, OK, mon ami. Je pense que ce point précis pourrait être discuté par nos dirigeants. Hé Steve, je suis d’accord avec toi : il va le féliciter, il va dire que M. Trump est un véritable homme de paix, etc. C’est ce qu’il dira.

Steve Witkoff : Mais voilà ce que je pense qui serait incroyable.

Iouri Ouchakov : OK, OK.

Steve Witkoff : Et si, et si… Ecoute-moi bien…

Iouri Ouchakov : Je vais en parler avec mon patron et je reviendrai vers toi. OK ?

Steve Witkoff : Oui, parce qu’écoute ce que je dis… Je veux juste que tu dises, peut-être que tu dises simplement ça au président Poutine, parce que tu sais que j’ai le plus profond respect pour le président Poutine.

Iouri Ouchakov : Oui, oui.

Steve Witkoff : Peut-être qu’il peut dire au président Trump : Tu sais Steve et Iouri ont discuté d’un plan en 20 points très similaire pour la paix, et ça pourrait être, selon nous, quelque chose qui pourrait un peu faire changer la donne, on est ouvert à ce genre d’initiatives, à explorer ce qu’il faudra pour parvenir à un accord de paix. Maintenant, entre toi et moi, je sais ce qu’il faudra pour conclure un plan de paix : Donetsk et peut-être un échange de territoires quelque part. Mais je dis, au lieu de parler comme ça, parlons de manière plus positive, car je pense que nous allons parvenir à un accord. Et je pense, Iouri, que le président me donnera beaucoup de latitude et de liberté d’action pour parvenir à cet accord.

Iouri Ouchakov : Je vois…

On observera que, outre la demande formelle faite aux Russes de fournir un projet pour le « règlement » de la guerre en Ukraine, ce que cet échange révèle, c’est la très grande complicité de Witkoff avec le pouvoir poutinien. Ses propos pourraient être considérés comme relevant de la haute trahison. On a là, peut-être, une explication de l’origine de la fuite vers Bloomberg de l’enregistrement de l’échange téléphonique : les services de renseignements américains, maltraités par Trump, auraient voulu alerter l’opinion publique.

Un autre élément pourrait conforter cette hypothèse : durant son échange téléphonique avec Ouchakov, le 14 octobre, Witkoff avertit que Zelensky est attendu à la Maison blanche le 17 octobre. Il suggère à Ouchakov que Poutine appelle Trump avant. Il y a là encore matière à accuser Witkoff d’intelligence avec un pays qui demeure sous sanctions américaines pour cause de guerre d’agression contre un pays ami…

On sait que le 16 octobre, soit 3 heures avant l’atterrissage de l’avion de Zelensky aux États-Unis, Poutine a appelé Trump et lui a parlé, conformément à la demande de Witkoff à Ouchakov. Le rapport que fait ce dernier, publié sur le site de la présidence de la Fédération de Russie (kremlin.ru), montre, en particulier, que les "recommandations" en matière de flatterie ont été retenues :

Commentaires de l’assistant du Président de la Russie Iouri Ouchakov sur les résultats de la conversation téléphonique de Vladimir Poutine avec le président des USA Donald Trump

 La conversation fut longue et a duré presque deux heures et demie. Il est clair qu’elle a eu un caractère substantiel et fut en même temps extrêmement franche et digne de confiance.

Notre Président a commencé en félicitant Donald Trump pour le succès de son travail en faveur de la normalisation de la situation dans la bande de Gaza. Cette activité du Président des États-Unis en faveur de la paix a été appréciée au Moyen-Orient, en Amérique même et dans la plupart des pays.

(…)

Une attention particulière pendant la conversation téléphonique a eu lieu sur les questions de la crise ukrainienne. Vladimir Poutine a donné une évaluation détaillée de la situation actuelle, soulignant l’intérêt de la partie russe pour une solution politique et diplomatique pacifique.

Il a été noté, en particulier, que dans le cours de l’opération militaire spéciale, les Forces armées russes gardent pleinement l’initiative stratégique sur toute la ligne de front. Dans ces conditions, le régime de Kiev recourt au terrorisme, il frappe des cibles civiles et des infrastructures énergétiques auxquelles nous sommes obligés de répondre en conséquence.

Donald Trump a souligné à plusieurs reprises la nécessité d’établir la paix en Ukraine dès que possible. L’idée que le conflit russo-ukrainien s’est avéré être le plus difficile à résoudre dans toutes les activités en faveur de la paix du président des États-Unis, a été le leitmotiv tout au long de la conversation. Et, bien sûr, il a rappelé ses succès dans huit autres conflits régionaux.

Il est remarquable que l’une des principales thèses du président américain est que la fin du conflit en Ukraine ouvrirait des perspectives colossales – il l’a souligné – colossales pour le développement de la coopération économique entre les États-Unis et la Russie.

(…)

Les problèmes liés à la livraison possible à l’Ukraine de missiles de croisière Tomahawk à longue portée ont également été abordés. Vladimir Poutine a répété sa thèse selon laquelle les Tomahawks ne changeraient pas la situation sur le champ de bataille, mais cela nuirait de façon significative aux relations entre nos pays, sans parler des perspectives d’un règlement pacifique.

Dans ce contexte, Il est à noter que les présidents ont discuté de la possibilité d’organiser une rencontre personnelle. C’est en effet une affaire très importante. Il a été convenu que les représentants des deux pays prendront immédiatement en charge la préparation d’un sommet, qui pourrait être organisé, par exemple, à Budapest.

La suite des évènements est connue : le lendemain, 17 octobre, Zelensky rencontre Trump à la Maison Blanche. L’entrevue qui dure deux heures et demie, n’a rien d’amical. Trump rejette la demande ukrainienne de livrer des missiles Tomahawk et insiste, une nouvelle fois, sur la nécessité pour l’Ukraine d’accepter des concessions territoriales à la Russie. Il aurait même, selon le Financial Time, averti Zelensky qu’il « devait accepter les exigences de paix de Poutine, « sinon il le détruirait » ». Concernant le « sommet » qui « pourrait être organisé, par exemple, à Budapest », dont l’annonce a été faite la veille, à l’issue de l’échange téléphonique entre Poutine et Trump, Zelensky doit comprendre que, faute d’accepter « les exigences de paix de Poutine », il n’y a pas sa place. Il en est réduit à dire, à son retour de Washington, qu’il est prêt à s’y joindre, s’il reçoit une invitation...

En fait, l’idée d’un sommet à Budapest a été rapidement abandonnée par Trump et Poutine. On comprend mieux pourquoi quand on lit le script – rapporté par Bloomberg – de l’échange téléphonique du 29 octobre entre Ouchakov et Dmitriev : la priorité a été donnée à la rédaction de ce qui sera le « plan de paix » de Trump. C’est l’affaire de Dmitriev et de Witkoff, le premier en contact avec Poutine, via Ouchakov, le second, en contact direct avec Trump.

Conformément à la demande faite à Ouchakov par Witkoff, le 14 octobre, les Russes ont mis au point un projet de « plan de paix », qu’on peut appeler le « plan Poutine ». Dmitriev a été chargé de l’apporter à Witkoff. Ils doivent, tous les deux, ensemble, le retravailler pour en faire un « plan Trump ». Ils le font à Miami, dans l’un des palaces de Witkoff, où Dmitriev se rend le 24 octobre. Le 27 octobre, Dmitriev retourne à Moscou et remet le plan amendé (le « plan Trump ») à Ouchakov pour accord.

De toute évidence, l’appel téléphonique de Dmitriev à Ouchakov le 29 octobre, porte sur le sort de ce plan qui a été révisé à Miami. Ouchakov dit qu’il a « donné le papier ». Cela sous-entend qu’il l’a transmis à Poutine, mais qu’il n’a pas encore de retour. Il exprime une certaine inquiétude. Il craint que certains amendements ou ajouts apportés par Witkoff sur instructions de Trump ne soient pas validées. Dmitriev laisse entendre que s’il y avait un problème (sous-entendu, si Poutine ne validait pas) il renverrait le document, de façon informelle, aux Américains pour qu’ils le retravaillent dans le sens voulu, tout en continuant à donner l’impression que c’est le leur.

La paix aux conditions de Poutine, toujours inacceptable en Ukraine

On ne saurait dire quand, finalement, le « plan de paix en 28 points » de Trump a été validé par Poutine.  Peut-être le « papier » a-t-il dû faire un nouvel aller-retour entre la Russie et l’Amérique, avant de prendre la forme sous laquelle il a été présenté aux Ukrainiens et révélé sur Telegram par le député Hontcharenko, le 20 novembre. Il demeure que le plan de paix devait être aligné sur les exigences de Poutine. Et, dans l’esprit de Trump, il n’avait pas vocation à être négocié avec les Ukrainiens. Ils devaient l’accepter tel quel.  Ainsi, le 22 novembre, le président américain leur lançait un ultimatum : ils avaient jusqu’à la fête de Thanksgiving, jeudi le 27 novembre, pour l’accepter !

Le problème, c’est que la situation sur le terrain, en Ukraine, actuellement, n’a rien à voir avec Gaza, fin septembre-début octobre. Certes, les Ukrainiens souffrent. La population civile est tous les jours menacée par les missiles et les drones qui visent les infrastructures énergétiques et les immeubles d’habitation. Mais l’armée ukrainienne tient un front qui ne recule que très lentement depuis deux ans. Et les Russes n’ont réussi, en plus de onze ans de guerre (depuis le printemps 2014), dont près de quatre ans à haute intensité, qu’à occuper un cinquième du territoire ukrainien (Crimée comprise). Le plan de paix de Trump, qui est un plan de capitulation de l’Ukraine, apparaît complètement décalé par rapport à la réalité.

C’est la raison pour laquelle l’ultimatum a fait long feu. Et, finalement, Trump a admis qu’il fallait encore discuter avec les Ukrainiens. Le plan était négociable, pratiquement sur tous les points, y compris sur la taille de l’armée ukrainienne et l’appartenance de l’Ukraine à l’OTAN, sauf un : l’abandon par l’armée ukrainienne de la partie de la région de Donetsk qu’elle tient encore.

C’est certainement le sens de la poursuite des négociations, après Genève, cette fois aux États-Unis, entre une délégation ukrainienne conduite par Roustem Oumerov (remplaçant Andri Yermak) et une délégation américaine, toujours conduite par Marco Rubio, mais cette fois, flanqué de Steve Witkoff et de Jared Kishner. Qu’en est-il sorti ? Rien n’a été publié qui permette de dire précisément sur quoi insistaient encore les Américains et ce que refusaient catégoriquement les Ukrainiens. Et l’on comprend pourquoi : Steve Witkoff et Jared Kushner devaient d’abord faire leur rapport à Poutine.

Leur rencontre avec le maître du Kremlin, le 2 décembre, aurait duré « cinq heures », selon le compte rendu qu’en a fait Iouri Ouchakov, plus tard, en conférence de presse. Il a justifié la durée de la réunion, par le besoin d’échanger sur des questions « complexes », en relation avec les vingt-huit points du « plan Trump ». À un journaliste qui lui demandait si parmi ces questions, la plus importante était bien la « question territoriale ». Il a répondu : « Je la considère parmi les questions les plus importantes que nous avons abordées. Elle est, évidemment, la plus importante pour nous. Et pour les Américains aussi ».

Lors d’un entretien avec India Today, à la veille de sa visite d’Etat en Inde, le 3 décembre, Poutine a confirmé que la rencontre avait duré longtemps, car « les parties ont examiné en détail chaque point des initiatives de paix proposées. Il a déclaré que « la Russie n’a pas accepté certains points des propositions de paix des Etats-Unis sur l’Ukraine », estimant que « c’est un travail complexe ». De son côté, Trump, a déclaré que la rencontre à Moscou, avait été « relativement bonne », et que, selon ce que lui on rapporté ses émissaires, Poutine « voudrait mettre fin à la guerre ». Ajoutant : « Ce qui va découler de cette rencontre, je ne peux pas vous le dire parce que le tango se danse à deux ».

En fin de semaine des « négociations » ont repris, en Floride, entre Américains et Ukrainiens. Mais tout indique qu’elles devraient continuer à buter sur la question la plus importante : la « question territoriale ».

L’idée d’un retrait de l’armée de la partie de la région de Donetsk qu’elle contrôle encore, avec des villes importantes comme Sloviansk et Pokrovsk, demeure massivement rejetée dans l’opinion publique ukrainienne. Pour Zelensky, déjà très affaibli sur le plan intérieur par le scandale de corruption qui l’a fait se séparer de Yermak, ce serait un suicide politique.

Sans parler de la paix, le cessez-le-feu sur le front ukrainien n’est donc pas pour demain.

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