La guerre en Ukraine n’est pas encore une guerre mondiale. Elle est déjà une guerre européenne. Une guerre que nous n’avons pas déclarée. Mais que nous faisons aujourd’hui par procuration et dans laquelle nous serons inexorablement entraînés, car elle n’aura d’autre fin que celle de Poutine et de son régime.
Le problème est là, en effet : en déclenchant la guerre, une guerre totale, destructrice d’un grand nombre de vies humaines et d’infrastructures majeures en Ukraine, Poutine a commis l’irréparable. On ne saurait maintenant envisager des négociations avec lui que pour parvenir à un retrait de l’armée russe d’Ukraine – de toute l’Ukraine – et au paiement de réparations qui se chiffreraient en centaines de milliards d’euros. Il perdrait la face, devrait quitter le pouvoir et son régime ne lui survivrait pas. Aucune paix durable n’est envisageable sur la base de négociations qui conduiraient à consolider l’occupation par la Russie de tout ou partie du territoire ukrainien. Comme pour Hitler, la guerre ne prendra fin qu’avec l’arrestation ou la disparition du criminel en chef et l’effondrement de son régime.
L’Union européenne avait annoncé des « sanctions massives et sans précédent » à la veille de l’agression russe en Ukraine. Elles ont été, depuis, durcies, et le seront encore. Il faudra arriver à l’arrêt total des importations de gaz et de pétrole de Russie, comme l’a justement demandé François Hollande dans une tribune au Monde. Chaque mètre cube de gaz ou litre d’essence, produit d’hydrocarbures importés de Russie, sert à financer la guerre de Poutine en Ukraine. Nous devrons renoncer à cette consommation, quoi qu’il en coûte, et quoi qu’il nous en coûte pour notre confort.
Face au caractère exceptionnel de la situation, l’Union européenne par la voix de ses ministres de la Défense réunis, le 28 février, autour de Josep Borrell, Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est prononcée unanimement pour donner un nouvel élan à la construction de l’Europe de la Défense. Ce nouvel élan est nécessaire. Il est nécessaire pour assurer les Ukrainiens de notre solidarité, sous des formes diverses et qui pourront évoluer. Il est nécessaire aussi pour assurer la sécurité des Etats de l’Union qui appartiennent à l’« étranger proche » de la Russie. L’impulsion pour ce nouvel élan, ne peut être donné, en fait, que par la France. C’est elle qui devrait prendre une initiative qu’aucun autre Etat de l’Union, n’est en mesure de prendre à sa place.
L’Initiative pour la Défense européenne
L’Initiative pour la Défense européenne serait prise par le Président de la République. La France proposerait à ses partenaires de l’Union européenne la création de l’Armée européenne.
Dans un premier temps, la création de l’Armée européenne se ferait sur la base de la réunion des forces armées existantes des Etats de l’Union européenne. Les Armées des Etats deviendraient parties constitutives de l’Armée européenne. Elles auraient vocation à être rapidement intégrées et redéployées selon une organisation cohérente.
Dès 2023, la Défense de l’Union européenne ne relèverait plus du budget des Etats mais du budget de l’Union européenne. Ce budget serait géré par un Ministère de la Défense de l’Union européenne.
L’Union européenne deviendrait membre de l’OTAN. Elle y prendrait la place des Etats de l’Union qui en sont membres actuellement.
Pour montrer sa détermination, la France prendrait deux décisions importantes :
- Elle abandonnerait la dissuasion nucléaire ;
- Elle proposerait à l’Union européenne de prendre sa place au Conseil de sécurité des Nations Unies.
L’Union européenne serait une puissance non nucléaire
La France adopterait le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, entré en vigueur en janvier 2021, et déjà adopté par la majorité des pays du monde.
Ce traité qui rend illégales les armes nucléaires en droit international, serait adopté aussi par l’Union européenne, puissance non nucléaire.
L’idée d’abandonner la dissuasion nucléaire surprendra, et peut-être même, choquera. Comment abandonner notre « force de frappe » alors que la guerre est en Europe et que nous avons affaire, avec la Russie de Poutine, à une puissance nucléaire ? Ne conviendrait-il pas mieux de la mettre au service de l’Union européenne ?
Il faut abandonner la dissuasion nucléaire pour deux raisons essentielles :
- Nos partenaires européens n’en veulent pas, et insister pour la conserver ou la mettre au service de l’Union serait source de discorde ;
- La dissuasion nucléaire est inutile et impraticable. Peut-on donner à un chef d’Etat le pouvoir de déclencher le feu nucléaire sur Moscou ou Saint-Pétersbourg et ainsi, perpétrer un crime contre l’humanité ?
Ajoutons que l’Union européenne, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, pourrait peser sur les puissances nucléaires officielles et non officielles. Elle pourrait contribuer fortement à un accord sur l’élimination des armes nucléaires dans le monde. La diplomatie de l’Union européenne, puissance non-nucléaire, aurait entre les mains une carte très intéressante à jouer dans le concert des nations.
L’Armée européenne devrait coûter moins cher que l’ensemble des armées de l’Union
Il a été question, ces derniers jours, dans plusieurs pays de l’Union européenne, d’augmenter les dépenses militaires pour faire face à la menace de la Russie de Poutine. C’est une mauvaise orientation.
L’exemple de la résistance ukrainienne montre que ce n’est pas l’importance des dépenses militaires qui fait la défense d’une nation.
Notre idée est que le budget du Ministère de la Défense de l’Union européenne, ne devrait pas dépasser 200 milliards d’euros. Il devait se situer dans une fourchette de 1 à 1,5% du PIB de l’Union européenne.
Reste la question du financement de l’Armée européenne. Les dépenses des budgets des Etats seraient allégées de la dépense jusque-là consacrée à leur Défense. Et donc, certaines recettes fiscales des Etats pourraient être disponibles et venir abonder le budget de l’Union (selon des critères à définir). Elles lui permettraient de financer ses dépenses nouvelles liées à la création de l’Armée européenne. On peut penser aussi à une taxe (de 15%, par exemple) sur tous les combustibles fossiles (produits pétroliers, gaz, charbon) importés dans l’Union. Elle serait directement affectée au budget de l’Union européenne. Elle serait payée immédiatement, au moment de l’importation, et, à la différence de la TVA, elle ne serait pas récupérable par les entreprises. Cette taxe aurait aussi l’avantage d’inciter à la transition écologique…
Nous considérons que le contexte est maintenant favorable à la création de l’Armée européenne. Il n’y aurait pas grand risque politique pour le chef de l’Etat à prendre l’initiative audacieuse que nous proposons.
En attendant, il serait intéressant de demander aux candidats à l’élection présidentielle de dire ce qu’ils en pensent. Il y a fort à parier qu’avec la guerre en Ukraine, le clivage déjà à l’œuvre depuis plusieurs années entre partisans de l’Europe, libéraux de gauche, écologistes et conservateurs modérés, d’un côté, et souverainistes, anti-américains, populistes, de l’autre, prendra le pas sur la traditionnelle opposition gauche-droite. On devrait le retrouver sur cette question de l’Armée européenne.