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L’ambition de cette contribution est d’essayer d’éclairer d’une manière renouvelée l’approche du dialogue social et des RPS. Sur la base de quelques constats (tirés de mon expérience et de diverses sources lectures) relatifs aux liens actuels entre dialogue social et les RPS, nous allons, dans un premier temps, essayer de montrer que ces deux problématiques sont intimement liées. Dans un second temps nous analyserons comment elles peuvent s’auto-alimenter dans une dynamique qui peut s’avérer extrêmement destructrice. Nous poursuivrons en proposant des pistes de réflexions pratiques pour tenter d’inverser un processus qui peut produire une grande souffrance.
Le dialogue social : quel constat ?
On a tellement développé les divers cadres (Code du travail, divers accords, etc.) qui régissent le dialogue social que l’on pourrait se demander si la source n’est pas tarie. Pourtant, force est de constater que, nourrie voire pourrie par un contexte de plus en plus complexe, les cadres proposés n’ont pas fait forcément progresser le dialogue social. On pourrait même se poser la question de savoir si cette institutionnalisation « obligatoire » des rapports sociaux, sur laquelle nous nous reposons à travers les délégations de pouvoir, n’a pas quelque peu atteint sa limite et « éteint » le processus de concertation. Un cadre n’a aucune existence en lui-même si ce n’est par la volonté des individus qui le composent et leur faculté à pouvoir le faire vivre et « bouger ». Les institutions, avec les chiffres et pourcentages qui leur sont associés n’ont-elles pas fait disparaître les hommes ? Que faire alors ? Personne ne possède la réponse, elle est en nous tous. Mais elle demande une autre vision de notre implication : elle ne peut être que construite dans la richesse et le partage de nos expériences mutuelles de vie et non pas imposée sans cesse dans un « cadre » même s’il peut paraître confortable. En effet, si l’on se permet de caricaturer la manière dont est appréhendé le dialogue social d’aujourd’hui, on retrouvera les bons d’un côté (les salariés en général) et les méchants de l’autre (les Directions en général) chacun finalement étant installé dans son rôle respectif. Il me semble évident, la situation actuelle parlant d’elle-même, qu’il faille faire « autre chose » et arrêter de faire plus de la même chose. Mais avons-nous les moyens de le faire ? Les acteurs de ce jeu sont-ils capables de sortir d’une situation confortable et se mettre en danger pour essayer de faire « bouger » le cadre, sont-ils capables de construire une perspective de changement ? Parlons donc santé.
Les risques psychosociaux : quel constat ?
Ces dernières années, les parutions, écrits divers et recherches universitaires sur les RPS ont foisonné et se sont installés sur le devant de la scène. Nous avons entendu parler, jusqu’à satiété, des RPS tout en découvrant de nombreuses pistes de réflexions pour essayer de comprendre et de « s’attaquer » à cette problématique. Mais pourquoi tout ce « bruit », d’un coup, autour des RPS ? Pour donner un élément de réponse, il faut se plonger quelque peu dans le passé et faire référence à Adam Smith. Ce pasteur Ecossais, en pleine révolution industrielle, du capitalisme, s’est demandé un jour d’où venait la richesse des cités. La réponse est peut-être méconnue voire méprisée dans un système destructeur de « sens », mais elle a le mérite d’être claire : la richesse vient du travail de l’homme ! On pourrait imaginer qu’un homme en pleine forme physique et morale produit de meilleure manière que celui qui est malade ou préoccupé. Même si le « dialogue social » a fait beaucoup progresser la sécurité physique des travailleurs, la recherche d’une productivité de court terme et les organisations qui en découlent ont généré une dégradation de plus en plus importante de leur santé mentale. On parle des RPS car ils ont une influence non négligeable dans la production de richesses. Par manque de formation et de discernement on a cru, trop tôt, que l’on possédait à travers le « dialogue social » l’arme adéquate pour combattre ce nouveau mal. La conséquence en a été que l’on a abordé les RPS sans le recul nécessaire. On a beaucoup écrit sur ces problématiques en explorant diverses pistes. On a disséqué des organisations stressées et stressantes où le but unique recherché n’était plus de bien travailler mais bien de gagner absolument de la productivité de court terme. On a fustigé le « Lean management » dans lequel l’humain disparaît au profit d’une gestion « mécaniciste et manichéenne » de chiffres qui amplifie comme jamais le delta entre le travail réel (les stratégies mises en place par tout un chacun pour essayer de faire fonctionner le système tant bien que mal et malgré toutes les prescriptions qui semblent l’empêcher) et le travail prescrit (ce sont uniquement des chiffres qui « structurent » le travail et la seule « portion congrue » réservée à l’homme se retrouve uniquement dans les marges d’ajustement du prescrit). On a critiqué les nouveaux managers, plus passeurs d’ordres venant d’en haut que créateurs de réelles valeurs de travail associées à un véritable leadership… En fait, et même si c’est légitime, on a principalement insisté et travaillé sur les symptômes, sur les conséquences des RPS et, finalement peu sur leurs véritables causes. Nous trouvons cela excessivement réducteur et, on peut le constater dans nombre d’endroits, terriblement inefficace. Il faut, là aussi, changer les choses et s’intéresser aux causes.
D’où viennent les RPS ? Quelle est l’origine de ces souffrances diffuses et souterraines qui souvent n’émergent que trop tard ? Les RPS et le dialogue social : même combat ? On l’a vu plus haut, des liens très clairs apparaissent entre les RPS et le dialogue social. Ce couple ne serait-il pas encore plus intimement lié que ce que l’on croit ? Ne serait-il pas même, complètement indissociable ? Souffrance et rapports sociaux ne s’alimentent-ils pas ? Yves Clot avance dans son ouvrage « Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux » que la souffrance ne naît pas de la difficulté de la situation, mais bien de l’impression que l’on a de ne plus avoir les moyens de faire changer les choses. En fait l’impression qui nous semble dominer est celle de ne plus savoir pourquoi et dans quel but nous faisons notre travail : cela peut restreindre immensément notre capacité à nous projeter et donc à construire d’autres repères pour faire évoluer le milieu de travail. Ceci-dit, nous parlons bien d’impression, pas d’une réalité tangible mais bien d’un « sentiment humain » qui la construit comme telle. Les RPS c’est de l’humain, rien que de l’humain et quoi de plus humain que les relations sociales ? Les relations sociales sont le rapport que nous entretenons avec le travail, l’entreprise, les autres, le rapport que nous avons avec les Institutions Représentatives du Personnel, la Direction, mais aussi avec soi, sa vie, son devenir, etc. Les relations sociales sont la globalité des interactions que nous construisons avec le contexte et elles structurent et définissent la place que nous occupons en tant qu’individu dans la société. Si nous souffrons autant aujourd’hui, si les RPS sont aussi lourds n’est-ce pas parce que nous n’arrivons plus à correctement définir notre place dans la société et dans l’entreprise ? Relations sociales et RPS sont inextricablement liés et s’autoalimentent : si nos relations sociales sont mauvaises nous allons ressentir de la souffrance. Si nous souffrons comment avoir de bonnes relations sociales ? Le dialogue social étant la forme institutionnelle des relations sociales dans l’entreprise, il est alors logique d’affirmer que plus il sera défectueux, plus il alimentera de la souffrance. En fait, c’est bien là que pourrait se trouver la réponse à la question posée par le titre : « qui soigne qui ? ». Comment, alors que notre dialogue social et par conséquent les individus qui l’animent sont en souffrance depuis des décennies, comptons-nous régler cette problématique ? On ne peut que constater le peu de résultats et d’actions significatives réelles mises en place pour prévenir, au fond, les RPS, à part des affichages de circonstance et des numéros verts (quand ils existent) collant utilitairement à la législation. Essayer de traiter les RPS avec un mauvais dialogue social ne donne pas grand-chose.
Pourquoi ne pas traiter notre dialogue social pour s’attaquer à la problématique des RPS ? Quelles pistes « pratiques » pour un meilleur dialogue social ? Comment faire pour changer les choses ? Nous ne pouvons pas aborder de pistes crédibles sans avoir défini quelque peu ce qu'est le changement pour nous. Le changement, est un mot qui a fini par faire peur, tellement les Directions l’ont utilisé de manière biaisée. Mais est-il destiné à être négatif et répondre uniquement à des objectifs pragmatiques de court terme liés au contexte ? Le changement n'est-il pas aussi le véhicule d'un avenir que l'on pourrait penser meilleur, le véhicule d'un projet citoyen pour vivre autrement ? En galvaudant et trahissant ce mot, on nous a enfermés dans une posture idéologique de laquelle nous n'arrivons pas à sortir : le changement est négatif et il est à peu près synonyme de restructurations ! Il est vrai que changer est déstabilisant et peut nous faire souffrir quand on se trouve au milieu du guet : on vient de quitter un cadre rassurant et l’on se projette dans un inconnu dont on n’a pas encore les codes. Pourtant, on naît, on grandit, on vieillit et finalement on quitte ce monde : on change constamment et tout le temps, le changement c'est la vie. De plus, qui n'a pas rêver de changer, d'être plus riche, d'être plus âgé pour sortir le soir, d'être plus beau, d'être plus intelligent, d'être quelqu'un d’autre pour se sentir mieux dans sa vie ? Dans ce cadre-là, il faut avouer que l'on considérait ou que l'on a considéré le changement comme positif. En fait le changement n'est ni négatif, ni positif, il est le changement. Son appréciation est uniquement le résultat d'un sentiment humain dépendant lui-même de la perception que nous avons de notre capacité à influer sur la réalité. L’abord du changement doit, à notre sens, d’abord passer par un travail de chacun. Nous proposons de nous servir des objets que la société d'aujourd'hui met à notre disposition pour en faire des outils du changement et de traitement pour un meilleur dialogue social :
■ Réapprendre notre histoire pour exister et comprendre : il faut absolument pousser les individus à se former, à se cultiver sur l'histoire sociale, l'histoire des idées, l'histoire des changements de notre monde (en partant des grands mouvements de pensées jusqu’à la mondialisation).
■ Apprendre les méthodologies de travail pour être efficace : il est nécessaire de s'adapter (pas d’accepter !) aux objets d'aujourd'hui. Il faut savoir où chercher de l'information, ce que nous devons en faire et savoir la faire circuler, apprendre à « lire », à s'approprier l'information pour pouvoir l'utiliser de la meilleure des manières. Il faut savoir synthétiser, réécrire et reformuler afin de pouvoir intégrer et digérer l'information.
■ Apprendre la communication pour la maîtriser : c'est l'objet actuel par excellence. C'est la circulation instantanée de l’information qui fait croire que l'on peut agir sur tout immédiatement et fausse notre perception du temps. Le fait qu'elle soit un élément constamment présent aujourd'hui nécessite une approche beaucoup plus complexe des interactions humaines. Comment nous faire entendre dans un dialogue si nous ne possédons pas les codes de traduction des individus que l'on a en face de nous et vice versa ?
C'est un sujet que nous allons creuser un peu en essayant d'analyser les paramètres institutionnels du dialogue social en entreprise; les IRP. Paradoxalement on peut les voir comme des lieux d'enfermement où l'on veut nous obliger à communiquer : ce sont des lieux / temps clos où l’on doit sortir, à force de dialogue, avec une réponse à un problème ou un avis sur ce problème. On ne se rend vraiment pas compte de la difficulté énorme et complexe que cela représente. C'est un « théâtre » où se joue une multitude de phénomènes de communication : un comportement peut engendrer une parole qui va demander une réaction et cette réaction va venir alimenter d'autres comportements qui vont alimenter à leur tour d'autres comportements, etc. Si l’on fait référence à l' approche de base de Watzlawick, P. et à celle de Goffman, E. nous savons qu'il est « impossible de ne pas communiquer » et que les interactions humaines qui en découlent réagissent à des codifications de « statut » et de « classe » que l'on ne doit pas transgresser sous peine de « perdre la face » ou de la faire perdre à l'autre : dans tous les cas la communication devient difficile à maintenir. Il est donc essentiel de connaître et comprendre tous ces mécanismes pour savoir les dépasser y compris en cherchant du dialogue social en dehors de cette institutionnalisation du dialogue social : d'autres lieux, d'autres moments avec la Direction, avec les salariés, avec la formation, avec la culture pour enclencher le processus d'un meilleur dialogue social porteur d'espoirs et de force de changement. L'Homme est l'avenir de l'homme il est temps de le mettre vraiment au centre de nos préoccupations.
« Dialogue social » Les cahiers des rps 38
Serge Dodoussian Secrétaire CCE de GRT Gaz
Bibliographie : : Clot, Y., (2010), Le travail à cœur, Broché, Editions La Découverte : Goffman, E., (1974) Les rites d’interaction, Editions de Minuit : Morin, E., (2000) Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, Editions du Seuil. : Watzlawick, P. Helmick Beavin, J. Jackson, Don D., (1972), Une logique de la communication, Editions du Seuil.