Communication et décision sont devenues une seule et même chose, selon M. Lucien Sfez, professeur à la Sorbonne. Il place la technologie au centre de sa réflexion pour dire qu'à trop vouloir communiquer, on ne communique plus.
Cette communication, qui prône la convivialité, la proximité ou même la relation d'amitié avec l'ordinateur, envahit tous les domaines, relève M. Sfez. Le marketing, qui concernait le produit, travaille aujourd'hui l'image de la firme elle-même; les milieux politiques ne jurent que par le marketing politique de l'image de marque... Et la liste est longue.
" Nous communiquons par les instruments qui ont précisément affaibli la communication, voilà le paradoxe où nous sommes jetés". La question de la technologie est ici centrale, précise-t-il, car cette technologie - discours (logos) sur la technique - a envahi la totalité des activités humaines, y compris la communication. Le problème, confie-t-il, c'est de croire que l'on va résoudre la communication par la technologie.
De l'avis de M. Sfez, les politiques, les hommes de médias et les industriels ne parlent pas de techniques mais de technologies. C'est un discours supérieur qui prétend surplomber la société. Les contenus donnés au terme communication varieront en fonction des techniques. "A chaque avancée technique, la communication se réaffirme comme devant être ce que les plus récentes inventions la font".
Il insiste par ailleurs sur l'idée que la communication est le recours des collectivités pauvres en symboles historiques. Pour assurer leur cohésion, les sociétés à mémoire se servent de l'histoire, les sociétés sans mémoire de la communication. "Ne nous étonnons pas si la grande majorité des théories de la communication, de la psychothérapie à l'intelligence artificielle, des mass media studios, nous viennent en droite ligne des Etats-Unis".
Abordant les rapports entre la décision, la communication et le pouvoir, le chercheur dira d'emblée que désormais la décision c'est la communication elle-même: décider c'est; communiquer et communiquer c'est décider. "Je ne dresserai cette équivalence qu'en inscrivant la décision et la communication dans une même logique de pouvoir et de production des idéologies", déclare-t-il.
Dans les années 60 et 70, "décider c'était bien décider, la bonne décision, la décision comme marque des hommes et des sociétés viriles. Idéologie des grands décideurs publics dans un premier temps et signe des managers privés dans un second temps". Décideurs et managers non seulement décidaient et manageaient mais ils avaient aussi seuls le droit de dire le vrai. Dans ces conditions, critiquer la décision, estime M. Sfez, revenait à critiquer la production des normes de vérité par l'appareil de production, en particulier l'appareil politico-administratif. C'est cet appareil qui prétendait dire le vrai de la société. Il s'agit là d'une première lecture de la décision.
Dans les années 80, la couverture a été tirée par les politiques et c'est la représentation politique qui a commencé à dire le vrai.
Depuis le début de cette décennie, c'est la communication, c'est l'appareil de communication qui dit le vrai. La communication, condition préalable pour bien décider, s'est ainsi transformée en condition unique.
Avec la machine de communication émetteur et récepteur se confondent
"L'objet créé devient créateur. La machine créée par l'homme devient son propre créateur. Sorte d'adéquation entre le sujet humain et l'objet technique qui fait du premier un doublet du second". Tous les paradoxes de l'auto-référence sont là, indique M. Sfez. Le producteur est produit et producteur en même temps. Il n'y a donc plus ni commencement ni fin.
Appliqué à la communication, ce schéma aboutit à la confusion totale de l'émetteur et du récepteur. "Plus de communication et c'est cela que je nomme tautisme". Inventé par M. Sfez, ce néologisme contracte autisme et tautologie, tout en évoquant la totalité et le totalitarisme. Le tautisme utilise la tautologie comme seule vérification: si je répète, je prouve, explique-t-il. Le tautisme c'est en fait la confusion de l'expression et de la représentation: "on prend la réalité représentée pour une réalité exprimée".
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On ne peut pas ne pas communiquer (Ecole de Palo-Alto) mais la communication d'aujourd'hui n'est-elle pas un leurre? La distanciation sociale ne vient-elle justement pas nourrir encore plus notre dé-errance communicationnelle et augmenter un pouvoir symbolique déjà corrompu:
"on prend la réalité représentée pour une réalité exprimée".