Je vais donc juste essayer humblement de vous raconter ce que j'ai pu tirer comme leçon de vie à le lire et à l'écouter. Je vais donc vous raconter une histoire....des histoires ?
Prenons un fait, n'importe lequel (ici un accident de voiture assez grave), et nous sommes 10 témoins oculaires sains de corps et d'esprit. Le fait reste le même et pourtant nous allons avoir, après ces 10 témoignages, beaucoup de versions différentes sur l'incident. Pourquoi ?
Déjà, les témoins pouvaient être à des endroits différents et apporter, selon leur angle de vue, des informations certes complémentaires, mais toujours différentes des autres. Mais il y a plus, en fonction de votre culture, de votre expérience ou de vos intérêts, se rajoute une interprétation cognitive ; votre cerveau, en fonction de ce qu'il a déjà enregistré, va trouver des cheminements intellectuels qui donneront une orientation à ce que vous avez vu. Ex : un ex gendarme assistant à cet accident avec un conducteur qu'il pense avoir vu ivre par son comportement erratique, et sans autre explication, pensera presque instantanément : si on avait été plus durs avec l'alcool au volant, cela ne serait pas arrivé ! Un individu ayant perdu un ami sur la route, pensera un peu la même chose.
Nous avons donc un seul fait et plusieurs versions racontées (les témoignages en question dont le mien), alors, qui dit la vérité ? Moi, je la dit car je sais ce que j'ai vu....Mais les autres exprimeront aussi la même chose....Problème : qui dit la vérité ? Personne et tout le monde !
Début d'explication...
Un fait est un fait, physiquement dans l'espace et le temps il reste et restera toujours le même mais, dès que vous en témoignez, cela devient de l'information, une histoire, de l'histoire car vous relatez du passé, et, comme nous l'avons vu plus haut, nous l’interpréterons tous à notre manière. Ce n'est pas grave du tout, au contraire et on le verra plus tard, tant que celui qui l'émet accepte, assume et communique (si c'est un vrai journaliste par exemple) que l'information qu'il va donner aura été interprétée en fonction de son passé, de ses propres intérêts ou de ceux de sa caste : présenter que c'est sa vérité et en aucun cas une « vérité absolue ». Dans le cas contraire, ce n'est plus de l'information mais de l'ignorance ou une manipulation qui confine au dogmatisme. La vérité de l'un, devient la vérité de tous alors qu'à la base, il y en a 9 autres qui peuvent être complètement différentes mais on ne les connait pas (ignorance) ou on les ignore volontairement (manipulation).
Un fait n'est en aucun cas une information et celle-ci, toute seule, n'est en aucun cas une vérité générale mais bien particulière à celui qui la diffuse quelles que soient ses motivations!
Mais il y a plus grave encore : quand l'ignorance est manipulée. Dans cet accident il y avait une marque de voiture avec laquelle vous aviez déjà eu des problèmes. Vous allez donc racontez votre histoire en spécifiant bien, « cela ne m'étonne pas avec ce modèle de voiture ». Vous écrivez votre histoire sur internet, cela devient viral pour de multiples raisons (le lobbying du fabriquant d'un autre modèle par exemple) et vous avez ce qui se nomme une conspiration. Attention, il y a peut-être une éventualité que cela soit vrai, mais vous ne disposez d'aucun fait et d'aucune information pour asseoir cela : paroles, paroles, paroles !
Tout cela a des conséquences vitales dans notre vie de tous les jours au regard de la multitude d'items et de sollicitations (appelées dramatiquement « de l'information ») dont nous sommes les victimes incessantes.
1 seul fait, 10 histoires, 10 témoignages ? C'est bien la preuve que ce que l'on nomme vulgairement « La vérité » n'existe pas intrinsèquement, elle est un construit social complexe, un système ouvert (théorie des systèmes complexes) sur l'histoire, la compréhension ou les intérêts de ceux qui diffusent l'information.
J'espère que, comme moi, vous commencez à mesurer votre ignorance ou du moins la manière dont on peut nous manipuler tous les jours.
Peut-on y faire quelque chose ? Oui avec de la production de connaissances, en faisant de la recherche. Si, bien entendu, le chercheur communique sur son histoire, ses références ou les intérêts qui le motivent : ce n'est pas le cas de tout le monde surtout de ceux que l'on voit et entend le plus dans les médias. Donc merci à Laurent Mucchielli et aux autres chercheurs que je connais et dont je respecte profondément le travail.
Le chercheur ne diffuse pas de l'information mais doit essayer de produire de la connaissance. Donc, ici, il va prendre en compte les 10 témoignages, les mettre en lien et cela devient donc un avantage de posséder de multiples histoires différentes pour approcher la réalité du fait. Il va vite s’apercevoir que s'il peut (avec ces 10 vérités différentes) à peu près savoir ce qui s'est passé, il lui manque toujours la cause réelle et un dernier témoignage ; celui de la personne qui a causé l'accident (y avez-vous pensé? Pas Moi !). Hors, après un témoignage nébuleux (le témoin avait l'air hagard), le chercheur est sur sa faim, toujours pas d'explication ! Il décide de s'intéresser au passé médical du conducteur et constate qu'il avait des antécédents de santé assez importants. Le résultat des examens réalisés à l'hôpital où il a été admis, confirmeront que c'est son état de santé qui a probablement causé son comportement erratique au volant et donc généré l'accident....
Ici, nous commençons à peine à mesurer ce qu'est la production de connaissance alors que le cheminement n'est pas simple et qu'il faut du temps pour « découvrir » d'autres faits pour avoir l'interprétation la plus complète possible, la plus proche de la réalité. Mais même cette connaissance, peut être critiquée, disputée par un autre chercheur qui va creuser encore plus et découvrira encore d'autres faits qui donneront une direction différente à l'interprétation globale et finale. Et ainsi de suite...
C'est pour cela que je respecte la réelle production de connaissances, elle est valable un jour, une année mais peut à tout moment, par la découverte d'autres faits, être remise en question. Si la vérité d'un jour n'est pas celle du lendemain, comment peut-on prétendre en quelques secondes ou quelques minutes, même en la répétant sans cesse, que cela représente une quelconque réalité. Ce sont juste des histoires....
Résumons ma petite histoire d'accident (Eh bien sûr que j'ai aussi un intérêt à la diffuser !)
Un fait n'est en aucun cas une information et celle-ci, toute seule et surtout très proche du fait, n'est en aucun cas une vérité générale mais bien particulière lié à de l'ignorance (des infos non connues) ou à un intérêt ! Une telle information n'est donc pas critiquable, ni objective, ni objectivable, c'est juste une affirmation sémantique « Bon sang que c'est bien sûr » ou « élémentaire cher Watson »
Seuls le temps et un travail énorme de recherche peuvent produire cela !
Donc, je vous supplie, quoi que vous voyez ou entendez, méfiez-vous d'une interprétation rapide et surtout pensez bien que votre vérité n'est que la vôtre, sans celle des autres, du temps et du travail de recherche, vous n'avez qu'une partie du problème et donc une partie encore moins grande de la solution.
Nous sommes tous des ignorants mais nous pouvons faire des efforts et de la recherche pour produire de la connaissance...Et, donc se rapprocher d'un certaine vérité que nous aurons donc construite ensembles : l’œuvre de « vérité » est bien un construit social !
Becker (1982/1988) et sa thèse provocatrice sur l’œuvre artistique : « Il n’est pas excessif de dire que c’est le monde de l’art plutôt que l’artiste lui-même qui réalise l’œuvre » (Bernoux, P. 2010. P. 264) :
ATTENTION ! Ne me croyez pas sur parole, imaginez une telle situation et réfléchissez y bien !
Mon seul intérêt était juste de vous faire réfléchir....D'avoir un autre regard sur le monde qui nous entoure. C'est ma vérité, à vous de vous faire la vôtre !