Pourquoi agir en coproduction et/ou en coopération
C’est la division du travail qui a construit la cohésion des sociétés : la division du travail dans les entreprises ou entre elles supposent le contrat, la dépendance mutuelle et donc pousse à la "solidarité" qui nécessite une coopération efficace pour performer.
Il est évident donc que toute évolution des organisations (le changement), même à des niveaux de responsabilités différenciés, ne peut être que produit par tous les acteurs : "coproduction" et/ou coopération. Même, si souvent, c’est les directions (les décideurs) qui déclenchent un changement (ou ce quelles pensent être un changement), la réussite de ce processus ne peut être garanti sans "l’acceptation" des exécutants:
Les exécutants sont « contraints » mais peuvent donner un sens à cette contrainte. Qu’ils la pensent "injuste" ou "inappropriée" et ils refuseront d’agir, dans le cas contraire ils s’impliqueront, en légitimant les positions de commandement (permet d'assoir l'animateur d'un collectif dans son rôle et sa crédibilité), et construiront la coopération nécessaire au changement.
Donc, la coopération - axe principal du changement - , dans toute société et organisation est étroitement liée à l’idée de la représentation de la justice. Le processus pourrait être présenté de cette manière : le changement suppose la coopération qui, elle, suppose des règles comprises et validés par tous basées sur une idée de justice et de réciprocité : c’est un consensus hétérogène dont les coopérations se heurtent sans cesse aux conflits d’intérêts. Si, ceux-ci ne se "règlent" pas dans une représentation d’une justice et d’une équité "raisonnable", il ne peut y avoir de coopération!
Regardons deux théorie très connues:
Jean-Jacques Rousseau nous présente "le contrat", fondement pour lui de toute société, à travers la parabole d’une chasse au cerf dans une société primitive. Il avance qu’il faut que chacun abandonne une certaine "liberté" pour créer des institutions collectives et « acquérir l’idée des engagements mutuels et de l’avantage de les remplir » .
Le lien entre des comportements favorables à la "collectivité" et les intérêts individuels à été mis en lumière aussi par l’exemple emblématique sur la théorie des jeux qu’est « le dilemme du prisonnier » : sans confiance et donc sans coopération la relation aboutit à des effets contre-productifs. Cela suppose la volonté de coopérer et s’entend de la sorte : non pas coopère si l’autre coopère, mais coopère pour que l’autre coopère: cela nécessite donc toujours une prise de risque, de faire un "pas dans le vide" vers l'autre. Mais, cet échange "marchant" n'est pas suffisant et Marcel Mauss (1923) répond clairement ; « l’échange ne se limite pas "au marchandage", mais englobe la totalité de la vie économique et civile » (Bernoux, P. 2010. P 213) à travers une triple obligation de donner, de recevoir et de rendre. La restitution, en l’occurrence, prévenant les conflits (Sahlins, 1976).
Mais la coopération n’est pas une caractéristique naturelle des organisations: comment la faire émerger ?
LE LEADERSHIP DES GROUPES COOPÉRATIFS
Pouvoir et hiérarchie sont des mécanismes qui doivent exister mais la coopération ne peut que se construire dans ce cadre organisationnel : la structure et les fonctions ne peuvent obliger personne à coopérer. Regardons ce qui peut donc favoriser la coopération.
La nécessité de coopérer (voir plus haut) montre l'importance de venir aussi et surtout en tant que soi-même, dans un collectif, comme une personne normale de la société dont le rôle et la position ne doit pas dominer. La vie de l’organisation repose sur un modèle où s’entremêle l’action gratuite et intéressée dans un cadre connu et compris de tous et c’est le respect des règles qui en découle qui devient la condition principale de la coopération.
Il est donc essentiel que les règles de ces groupes soient absolument respectées entre "action gratuite" et "intéressée". Cela demande donc de sortir d'une animation classique, hiérarchisé où le résultat et la production est la première chose recherchée. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas de résultats mais qu'il faut qu'ils reposent sur le respect des règles de coopération.
Tout cela suppose un leadership où le respect de chacun doit être la base que tous respectent et alimentent. Cela suppose donc aussi un respect de chacun pour tous avec un devoir de s'investir, de travailler et se professionnaliser pour "justifier" le respect reçu: le respect ne peut être unilatéral!!!!
Le management de ces groupe doit être donc motivant, entrainant, protecteur, faire preuve de reformulation et de recadrage. Il doit permettre à tous d'être un individu à part entière avec son histoire de vie pour venir enrichir le référentiel social du groupe. Il ne doit pas "brimer" la parole mais au contraire la libérer au besoin d'en recentrer ou d'en réguler l'expression et le débit. Comme il est évident que l'on ne retrouvera pas forcement ces compétences dans un seul individu (qu'il soit ou non le responsable du groupe), celui qui aura en charge ces groupes aura aussi la responsabilité de faire en sorte que cette dynamique de groupe fonctionne en permanence : faire en sorte, quoi qu'il se passe, que ces rôles soient absolument tenus dans la vie de chaque regroupement. Il est donc primordial, pour ce faire, que chacun (même si le responsable en sera le garant) fasse preuve d'une réflexivité (prise de distance sur son action dans le groupe) de bon aloi. D'ailleurs, il serait peut être nécessaire que de tels groupes réalisent une fois par an une réunion où l'objet ne doit être qu'uniquement l'analyse des ses propres pratiques en la matière.
Pour faire un travail collectif, il faut en premier lieu, créer et entretenir un collectif
Ce titre a tellement l'air d'une évidence que l'on oubli souvent l'essentiel : construire et entretenir un collectif n'est surtout pas une chose simple. C'est long et complexe alors que, dans le même temps, il peut presque se déliter dans un claquement de doigt. Avoir le même but ne suffit aucunement! Il faut donner de « soi » pour que les autres puissent faire de même : construire une relation qui dépasse les faux semblants pour entretenir la confiance !
Comme un collectif est fait d'individus qui en fonction du contexte de leur vie ne sont jamais les mêmes, il est reste dans une mouvance perpétuelle : il a donc toujours besoin pour garder son « équilibre », de régulations. Donc, au delà du contenu, l'animateur doit absolument et surtout s'occuper des individus qui composent son collectif. Il doit observer finement les effets que peuvent avoir les diverses interactions. En effet, la recherche d'intérêt et de pouvoir, même inconsciente, peut disposer d'une certaine « violence institutionnelle ». Ce n'est donc pas le contenu de ce que l'on propose qui est essentiel mais bien les effets qu'il génère dans l'auditoire. Il est donc du ressort et du devoir de l'animateur d'en réguler les effets pour maintenir son collectif à flot :
Mettre en avant l'idée d'une personne qui parle rarement.
En cas de « comportement différent » des autres réunions, ne pas hésiter à la pause, d'aller voir la personne pour lui demander ce qui se passe.
Défendre celui qui se fait « attaquer »
Etc, etc...
Il faut que tout le monde se sente à sa place pour pouvoir partager des désaccords dans une confiance et un sentiment de sécurité jamais démenti :
c'est la seule puissance d'un collectif
§§§§§§§§§§§§§§§§
Bernoux, P. (2009). Sociologie des organisations. Nouvelle Édition. Seuil.
Bernoux, P. (2010). Sociologie du changement. Nouvelle Édition. Seuil.
Enrègle, Y. (1985). Du conflit à la motivation. Éditions d'Organisation.
Jarrosson, B. (2004). 100 ans de management. Deuxième édition. Dunod.
Kourilsky-Belliard, F. (1999). Du désir au plaisir de changer. Deuxième Édition. Dunod.
Watzlawick, P. Helmick Beavin, J. Jackson, Don D. (1972). Une logique de la communication. Éditions du Seuil.