
Heike Buchter - Massot Editions– Ces financiers qui s’emparent de notre argent – 408 pages – 23 € –
Dans la sphère médiatique, la firme New yorkaise a remplacé Goldman Sachs au titre de la pieuvre tentaculaire de la finance mondiale. Mais qui est BlackRock ? Ce n’est pas un fonds de pension, ni un fonds spéculatif. Il s’agit d’un gestionnaire d’actifs qui collecte de l’argent auprès d’investisseurs institutionnels (assureurs , retraites privées, etc.) pour l’investir sur les marchés financiers, en leur nom. Outre son rôle d’investisseur pour les particuliers et professionnels, BlackRock analyse et conseille les institutions publiques, ministères des finances, banques centrales. La firme de Larry Fink jouit désormais d’une influence dans tous les domaines de notre vie, emplois, logement, routes, ponts, santé, éducation, retraites, d’où l’attention qu’elle suscite parmi les médias, institutions et politiques.
Créé en 1988, BlackRock est désormais le plus gros des « big three » dans la gestion d’actifs avec Vanguard et State Street. A eux trois, ils gèrent plus de 15.000 milliards d’actifs.
Comment la " banque fantôme " 1 a-t-elle réussi à acquérir des titres dans les entreprises les plus importantes telles qu’Allianz, Total, Adidas, Deutsche Bank et beaucoup d’autres, en dehors de la surveillance des autorités ? Les réponses détaillées sont dans ce livre. En France, BlackRock détient des parts significatives dans toutes les entreprises du CAC 40 et dans plus de 170 entreprises en tout, soit près de 90 milliards d’euros investis. Les actions de BlackRock dans les seules entreprises du CAC40 français pourraient lui rapporter plus d’un milliard d’euros de dividendes annuels.
Le livre traite beaucoup du rôle des « newyorkais » (autre nom de BlackRock) en Allemagne mais peu de ses implications en France. Pour cela, lire le livre « Larry et moi » de Denis Robert.
De Larry le loser à Larry le financier le plus puissant d’aujourd’hui
L’autrice nous fait découvrir comment Fink, l’un des pionniers des créances hypothécaires titrisées, vecteurs de l’énorme crise financière de 2008, avait auparavant subit un échec retentissant à la banque First Boston. Nul ne connait dans les détails le rôle de BlackRock dans la crise de 2008 en Amérique du Nord et en Europe, pas même les milieux financiers. D’où la défiance et la crainte qu’inspire BlackRock, d’autant qu’il passe sous le radar des autorités de contrôle bancaire. A ce jour, Larry Fink est le financier le plus influent du monde. Il a rencontré Emmanuel Macron à 4 reprises avec l’objectif principal de l’influencer pour ouvrir le système de retraite à la capitalisation privée via BlackRock. En effet, la France reste un territoire à conquérir, les français étant parmi les derniers dans le monde à conserver très majoritairement le système de retraites par répartition.
Les ETF, instrument financier privilégié par BlackRock depuis 2009
Rappel, un ETF ( Exchange Trade Fund) ou Fonds négociés en bourse est, en partie, un fond indiciel qui réplique l’ensemble des valeurs d’un indice boursier CAC40, Dax, S&P 500, etc. mais aussi sur l’immobilier, l’eau, les biotechnologies, bref, tout ce qui peut être côté. Il existe des milliers d’ETF. Un chapitre entier du livre leur est consacré. Ces produits spécifiques sont censés combiner les avantages de la robustesse d’un fond indiciel et d’actions acquises individuellement. C’est donc une invitation évidente à la spéculation.
Cependant, le cours de marché des ETF ne peut pas être identique à tout moment à sa valeur liquidative ce qui implique que le cours de transaction des ETF peut être différent de leur valeur liquidative. L’avantage principal pour les particuliers comme pour les entreprises et fondations est de pouvoir les revendre en quelque minutes. Un ETF permet une diversification qui peut initialement, limiter le risque de perte en capital mais le risque systémique n’est pas exclu.
Aladdin, le coeur du réacteur de BlackRock
Pour analyser les sommes considérables qui passent par ses serveurs informatiques , la firme a crée la puissante intelligence artificielle Aladdin (Asset, Liability, Debt and Derivative Investment Network qui signifie "Réseau d’investissements en actifs, passifs, dettes et dérivés" . Avec ce très puissant outil de calcul, BlackRock pense avoir trouvé la pierre philosophale qui permettrait de transformer des milliards de données financières en milliards de dollars. Aladdin 2, conçu pour BlackRock par des centaines d’analystes, développeurs et experts de la valorisation de la donnée est proposé à ses clients pour vendre du conseil hautement qualifié ou supposé l’être. Le résultat de ce que l’autrice appelle un « djinn » numérique provient du calcul constant, parfois avec des temps de l’ordre de la seconde, de milliers de produits d’investissements: actions, obligations, devises, titres de crédit, etc. La valeur de cet ensemble d’instruments financiers est conditionnée à la conjoncture économique, par exemple, chiffres de vente des entreprises, cours monétaires qui dégringolent, prix du pétrole et des matière premières. Le nombre d’interaction entre toutes ces variables est colossal et seul Aladdin est aujourd’hui capable de le faire efficacement dans le monde de la finance. Face à la complexité de la sphère financière, l’intelligence artificielle de la firme newyorkaise est censée trouver les réponses opportunes pour investir au bon moment avec les bons supports. Malgré cela, il est très complexe de déceler la véritable valeur d’un investissement et Aladdin peut procurer l’illusion qu’il s’agit d’un outil quasi infaillible. On retrouve ici la croyance aux outils numérique qui seraient maîtrisables par l’homme tout en amplifiant ses capacités. Beaucoup d’experts financiers mettent en garde contre cette puissance de calcul qui pourrait se retourner brutalement en raison d’un aléa non prévu à ce jour. Aladdin est la première plateforme informatique d'analyse qui concurrence les analystes financiers ce qui induit une rupture majeure dans le monde de la finance
L’image fausse d’une entreprise respectueuse de l’environnement
Extinction Rebellion, groupe activiste social et écologiste, estime que BlackRock brasse plus de 300 Milliards de $ dans les entreprises liées au pétrole, au charbon et au gaz naturel malgré son crédo environnemental affiché. Et l’autrice de citer cette affiche placée au dessus des convives d’un diner de gala organisé par BlackRock " Lorsque le dernier arbre aura été coupé, le dernier poisson pêché et la dernière rivière polluée, alors vous vous rendrez compte que l’argent ne peut être mangé " . Un discours en parfaite contradiction avec la réalité de la finance qui commence à faire grincer des dents parmi ses clients. Ainsi, la caisse de retraite japonaise, par exemple, a retiré une partie de ses investissements car elle veut fonder sa stratégie d’investissement sur des critères environnementaux et sociaux. Cela dit, la firme new yorkaise, doit s’adapter à la demande des fonds indiciels portée par les nouveaux investisseurs qui réclament plus d’engagement dans ces domaines essentiels pour l’humanité.
Une absence de légitimité démocratique dangereuse
Tout cela paraît vertueux mais Fiona Morton, professeur d’économie à l’Université Yale flaire un risque pour la démocratie. Elle prévient que BlackRock qui n’a aucune légitimité démocratique pourrait, avec son énorme puissance financière, influencer les Etats quant à l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle, etc. Là aussi, l’encadrement de la finance par le politique est indispensable mais ce n’est pas le chemin pris par les Etats-Unis, l’Europe ou la Chine. L’heure est bien plus au bidouillage des modèle de rendements spéculatifs toujours croissants qu’à la recherche de solution pour faire face au réchauffement climatique.
Un seul faux pas, la défaillance d’un acteur de l’économie ou d’une banque comme Lehman brothers en 2008 et le monde financier pourrait être ébranlé jusqu’à ses fondations. Une crise financière encore plus importante dont la planète aura les plus grandes difficultés à se remettre et qui générera d’immenses troubles sociaux dans un monde déjà secoué par la crise du Covid.

Les actifs gérés par BlackRock sur sa plateforme Aladdin sont équivalents au PIB des Etats-Unis
1 Qui sont les banques fantômes ? Retenir qu’elles ne sont pas soumises à la réglementation bancaire traditionnelle et que leurs activités ne sont pas garanties par les États et les Banques centrales
2 Aladdin est l'outil d'Intelligence artificielle de BlackRock qui collecte une masse considérable de données de diverses catégories (informations financières, géopolitique,actualités, etc.) les analyse et produit des résultats filtrés censés éviter les risques et valoriser les investissements, mieux que n'importe quel autre outil au monde.