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Billet de blog 7 juin 2008

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Safari caïman dans les marais de Kaw

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Consternation en lisant mon journal préféré: un article de Jade Lindgaard nous informe que Cambior repart en guerre pour imposer sa maudite mine d'or. Dans ce trésor qu'est la montagne de Kaw, IamGold (puisque c'est son nouveau nom) ne voit que l'or qui lui permettra d'empocher des millions. Pourtant la vraie valeur de ce site est d'une autre nature.

Explorer les marais de Kaw en pleine nuit à la recherche de caïmans, voila qui a de quoi faire frissonner, non? Alors me voila en route avec un copain, barque alu en remorque, direction le bout du monde... Après avoir mis à l'eau au degrad, nous nous dirigeons vers le village au milieu du pripri. Il paraît qu'il y avait même des lamentins avant. Le copain me passe la barre, c'est la première fois que je "conduis" une barque. Tiens, une pirogue arrive en face, je pousse la barre vers la droite pour m'écarter. Nom d'un crocodile! La barque tourne à gauche et fonce vers le piroguier dont le visage se décompose au fur et à mesure. Rectification, vite: barre à gauche toute pour aller à droite. Voila maintenant que c'est un ilôt de savanne flottante qui nous fonce dessus (à moins que ce ne soit nous qui fonçons sur l'ilôt, comment savoir, tout est inversé!). Plus qu'une solution: couper les gaz! Ouf! Catastrophe évitée de justesse. Ok, pour cette nuit, le copain tiendra la barre, et je m'occuperai du repérage. Manier une torche électrique, c'est plus dans mes cordes!

Arrivée au village, installation des hammacs sous le carbet, petite ballade avant le dîner. Des cris, des rires, des gamins courrent dans tous les sens en soulevant la poussière des rues de terre battue. Les voila qui s'aglutinent et, triomphant, soulèvent un énorme serpent qu'ils portent en procession pour l'enfermer dans un frigo couché (il n'y a pas d'électricité, le frigo sert de placard). Quelques pierres bien lourdes sur la porte pour empêcher une nouvelle évasion, et ce coup-ci, c'est sûr, la bestiole passera à la casserole. Un peu plus loin, sous le auvent de sa maison, un vieil homme tourne une manivelle fixée sur un tonneau. Il prépare de la glace avec du lait et des fruits!

Mais la nuit est tombée, et une fois le dîner avalé, il est temps de partir explorer les marais. Sans lune, le noir est complet. Une grande trainée blanche partage le ciel et les étoiles: c'est la Voie Lactée! La barque avance au ralenti pendant que je balaye le rivage de ma torche. Sensation étrange de ces bouts de réalité qui émergent du néant dans le rond de lumière. La nuit est chaude sous l'équateur mais n'a rien de silencieuse. Sous le bruit du moteur, les bruissements, les cris sont la manifestation d'une intense activité nocturne. Rien n'est visible, rien ne bouge, mais la vie est là, tout autour, je peux la sentir courir dans mes veines. Mais peut-être est-ce juste de la peur?

Soudain, un éclair rouge déchire l'obscurité, comme un rubis gigantesque que l'on éclaire brusquement. J'en ai le souffle coupé! Ma torche vient d'accrocher l'oeil d'un caïman! Surtout ne pas le perdre. L'approche est délicate, il faut maintenir le reptile dans la lumière et ne surtout pas créer de vagues. Ses yeux sont au raz de l'eau, la moindre vaguelette peut les recouvrir, brisant ainsi le rayon aveuglant qui le tient prisonnier. Maintenant il est là, à portée de main. Je pourrai le toucher et je n'ose pas. Aucune grille, vitre ou autre barrière n'interfère entre nous. C'est magnifique. Ce soir, la reine du bout du monde, c'est moi!

Mitraille de flashs, pendant des heures. Ou peut-être juste quelques secondes, je ne sais pas, le temps n'a plus d'importance. Enfin je dévie légèrement ma torche, libérant la créature magnifique qui disparaît en une fraction de seconde. A-t-elle même jamais existée? Peut-être la nuit était-elle enchantée?

Réveil à l'aube, retour sur les marais. Ce monde là n'a rien à voir avec celui dont j'ai rêvé cette nuit. Il n'y a plus de tension, plus de peur, de sensation d'irréel. Mais tout cela est remplacé par l'émerveillement. Dans le ciel, les perruches fendent l'air de leur vol si particulier. Perchés sur les ilôts de verdure, des oiseaux fantastiques profitent de l'heure matinale pour pêcher avant que la chaleur ne devienne écrasante. Des oiseaux, il y en a partout, leurs couleurs chatoyantes forment un kaleidoscope inconnu et fascinant.

Retour au degrad, récupération de la voiture. Des petits singes traînent sur la route, on dit qu'ils annoncent la fin de la saison sèche.

C'était il y a dix ans, à l'époque où j'habitais en Guyane. Est-ce trop demander qu'espérer que dans 20 ans, 50 ou 100, d'autres puissent connaître à leur tour ce moment unique?

Isabelle Mirouze

PS: notre rencontre était un caïman à lunette d'un peu moins d'un mètre. Il est pratiquement impossible d'en rencontrer de plus gros à moins de s'aventurer profondément dans le territoire. Depuis le 13 mars 1998, Kaw-Roura est une réserve naturelle gérée par l'association Arataï. Aux dernières nouvelles, il n'est plus possible d'aller à la rencontre des caïmans seul, il faut passer par les tours organisés.

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