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Billet de blog 12 octobre 2025

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L’IA démonte le mythe devenu une justification des inégalités en classe

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Pourquoi 0,3 x 5 nous piège tous ?

Introduction : L'énigme tenace de la multiplication

Avez-vous déjà eu l'impression qu'une opération comme 0,3 x 5 = 1,5 défiait la logique ? Si le résultat vous semble contre-intuitif parce qu'il est plus petit que 5, vous n'êtes pas seul. Ce sentiment est incroyablement courant et provient d'une idée reçue profondément ancrée : « la multiplication rend plus grand ».

Ce n'est pas une simple erreur d'enfance. Il s'agit d'un problème persistant, documenté depuis des décennies, qui affecte les élèves, les futurs enseignants et même les adultes instruits. Pour comprendre pourquoi cette erreur est si tenace, nous allons d'abord explorer les deux explications que l'on entend depuis toujours. Puis, nous révélerons pourquoi elles sont incomplètes et comment un simple changement de mot offre une solution bien plus puissante.

Idée Reçue n°1 : Une erreur d'enfant qui ne disparaît jamais vraiment

Le cœur du problème réside dans une conception erronée que les chercheurs appellent « la multiplication rend plus grand » (MMB). Elle se définit par l'attente d'un élève que le résultat d'une multiplication soit toujours plus grand que les nombres de départ. Cette règle fonctionne parfaitement avec les nombres entiers (5 x 3 = 15), mais elle s'effondre face aux nombres décimaux.

Ce qui est surprenant, c'est la persistance et la prévalence de cette erreur. Les recherches montrent qu'on la retrouve non seulement chez les élèves du primaire et du secondaire, mais aussi parmi les futurs enseignants. Cela met en lumière un défi cognitif majeur, car cette intuition est si profondément ancrée que la simple présentation de contre-exemples — comme démontrer que 4 x 0,7 = 2,8 — est insuffisante pour provoquer un véritable changement conceptuel. Il faut une solution plus profonde pour déraciner cette certitude.

Idée Reçue n°2 : Nos premières leçons de maths nous tendent un piège

Les chercheurs identifient traditionnellement deux raisons principales à l'origine de cette erreur tenace :

  • L'addition répétée : La multiplication nous est d'abord présentée comme une addition répétée. Par exemple, 3 x 5 signifie « ajouter 5, trois fois » (5 + 5 + 5). Ce modèle est très intuitif pour les nombres entiers, mais il perd tout son sens avec les décimaux. Essayer de se représenter « ajouter 5, zéro virgule trois fois » est conceptuellement impossible.
  • Le biais du nombre naturel : Il s'agit de notre tendance cognitive à appliquer de manière inappropriée les propriétés des nombres entiers aux autres types de nombres, comme les décimaux. Parce que la multiplication agrandit presque toujours les nombres entiers, notre cerveau généralise cette règle à tort.

Ces modèles d'apprentissage initiaux ne sont pas des erreurs en soi. Ils sont utiles au début, mais ils deviennent ce que l'on appelle un « obstacle épistémologique » ou créent une puissante « inertie cognitive ». L'ironie est cruelle : l'outil même qui a déverrouillé la compréhension initiale de l'élève devient le cadenas qui bloque son apprentissage futur.

La Vraie Révélation : Le coupable est un simple mot

Pendant des décennies, ces deux raisons ont dominé la discussion. Mais si elles étaient la réponse complète, le problème serait résolu. Or, il persiste. C'est parce qu'elles ignorent le coupable qui se cache à la vue de tous : un simple mot. La manière dont nous disons une multiplication à voix haute façonne fondamentalement notre compréhension et peut déclencher le mauvais modèle mental.

Comparons simplement ces deux formulations pour l'opération 0,3 x 5 :

« Zéro virgule trois fois cinq » : Le mot « fois » active directement le modèle défaillant de l'addition répétée. Notre cerveau essaie d'imaginer l'action de répéter quelque chose "0,3 fois", ce qui est absurde et crée une confusion.

« Trois dixièmes de cinq » : L'utilisation de la préposition « de » change tout. Elle implique naturellement l'idée de prendre une partie d'une quantité ou de la mettre à l'échelle. Cette formulation nous prépare intuitivement à un résultat plus petit que 5, ce qui est conceptuellement correct.
Pour tout enseignant ou parent, ce simple changement de vocabulaire n'est pas un détail : c'est un levier pédagogique d'une efficacité redoutable. Étonnamment, cette dimension linguistique, si évidente une fois pointée du doigt, a été largement sous-estimée par la recherche didactique pendant des années. Ce n'est pourtant pas un cas isolé ; penser à la confusion créée en disant « trois virgule zéro huit » au lieu de « trois-cent-huit centièmes », qui pousse à voir deux nombres entiers séparés plutôt qu'une seule quantité.

 L'Effet Domino : Comment l'éducation perpétue le problème

Si le langage est au cœur du problème, cela révèle un défi systémique. Ceci montre qu'un « cercle vicieux » peut s'installer dans le système éducatif. Ce cercle vicieux se nourrit d'une ignorance collective. Si les manuels scolaires, la recherche et les programmes de formation des enseignants n'abordent pas adéquatement cette cause linguistique profonde, ils produisent des futurs enseignants qui ont eux-mêmes une compréhension incomplète du sujet. À leur tour, ces enseignants perpétuent involontairement les mêmes difficultés chez leurs élèves. En se concentrant uniquement sur le biais du nombre naturel et le modèle de l'addition répétée, la formation des enseignants omet l'outil le plus simple et le plus puissant pour briser le cycle : un changement de langage.

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