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Billet de blog 21 octobre 2025

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Un échec pédagogique exemplaire de l’Éducation Nationale : 2,3 × 10 = 2,30 !

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https://www.youtube.com/watch?v=1Jm1_1TMkZY

Le Mystère de l'Erreur Persistante

 Pourquoi un grand nombre d’élèves en fin de cycle collège écrivent 2,3 × 10 = 2,30 ?
C’est la fameuse astuce « ajouter un zéro », apprise pour les nombres entiers plusieurs années plus tôt, dès les premières années de l’école primaire, qui rattrape les élèves fragiles. Cette erreur est le symptôme documenté d'une faille pédagogique profonde dans le système éducatif français, touchant un nombre significatif d'élèves jusqu'en fin de cycle collège.

L'analyse qui suit révèle une vérité inattendue : la racine du problème n'est ni le manque de logique des élèves, ni la négligence des enseignants, mais une lacune structurelle pensée au plus haut niveau du système éducatif.

Le piège de l'astuce : Pourquoi "ajouter un zéro" est une règle mathématiquement fausse

L'une des premières "astuces" de calcul enseignées est la suivante : pour multiplier un nombre par 10, il suffit de lui "ajouter un zéro". Cette règle est en réalité une généralisation abusive d'une procédure non expliquée et non justifiée qui ne fonctionne que pour les nombres entiers.

Son échec est flagrant avec les nombres décimaux. Prenons l'exemple de 8,56 x 10. L'application de la règle mène à 8,560, ce qui est mathématiquement égal à 8,56. Le résultat est donc incorrect, car la valeur du nombre n'a pas changé.

"Multiplier un nombre entier par 10 c’est rajouter un zéro" est mathématiquement faux.
Ce qui est déconcertant, c'est de constater qu'une "règle" enseignée pendant des années en primaire est en réalité un raccourci conceptuellement vide qui ancre des idées fausses et durables chez les élèves fragiles.

L'illusion d'optique : La virgule ne se déplace jamais

Le second raccourci enseigné est celui qui consiste à "déplacer la virgule". Cette astuce est encore plus insidieuse, car elle donne souvent le bon résultat dans les cas simples, créant une dangereuse illusion d'efficacité.

Pourtant, la fragilité de cette règle apparaît dès que les cas se complexifient. Pour calculer 8,75 x 100, il faut déplacer la virgule de deux rangs, ce qui donne 875 : la virgule "disparaît". Mais pour 8,75 x 1000, il faut non seulement la faire disparaître, mais en plus "ajouter un zéro" pour obtenir 8750. Ces exceptions prouvent qu'il ne s'agit pas d'un principe mathématique stable, mais d'un simple "truc" qui est à l’origine des difficultés des élèves fragiles.

Le concept fondamental que ce 'truc' occulte est pourtant simple : la virgule ne voyage pas. Elle est un repère, une borne immuable qui signale où se trouve le chiffre des unités. Lors d'une multiplication par 10, ce ne sont pas les repères qui bougent, mais bien les chiffres qui "glissent" vers des positions de valeur supérieure. Enseigner le contraire dénature profondément le sens des opérations.

Enseigner son déplacement, c'est transformer les mathématiques en une « "boite noire magique" ».

Le vrai coupable : Un "vide" laissé par l'institution

Si ces raccourcis sont si répandus, à qui la faute ? L'analyse pointe une responsabilité surprenante : celle de l'institution elle-même (Eduscol), qui encadre les programmes scolaires.

Le paradoxe est le suivant : les documents officiels énoncent un principe mathématique parfaitement juste. Ils expliquent que lorsqu'on multiplie par 10, « chaque chiffre prend une valeur 10 fois plus grande ». Cependant, et c'est là que réside la faille, ils échouent complètement à traduire ce principe en une méthode de calcul claire, structurée et applicable par un élève sur son cahier.

Ce "vide méthodologique" volontaire force les enseignants et les éditeurs de manuels scolaires, en quête d'une procédure simple à transmettre, à se tourner vers les seules options disponibles : les raccourcis fallacieux. La prolifération de ces mauvaises pratiques n'est donc pas une déviance ou un choix délibéré contre la raison mathématique, mais la conséquence logique et prévisible d'une "insuffisance structurelle" de l'institution.

L'usage de ces astuces renforce un obstacle cognitif majeur chez les élèves : la vision du nombre décimal comme "deux entiers accolés et séparés par une virgule". Au lieu de voir 35,2 comme un nombre unique, ils le perçoivent comme un "35" et un "2".

Cette conception erronée explique des erreurs typiques, qui sont la signature d'un raisonnement défaillant : confronté à 35,2 x 10, l'élève écrira 350,2, appliquant la règle des entiers à la partie "35" tout en laissant la partie "2" inchangée. D'autres, face à 2,3 x 10, produiront 20,3 pour la même raison. Ces erreurs ne sont pas aléatoires ; elles sont la signature directe d'un enseignement qui a privilégié des "trucs" mécaniques au détriment du sens et de la structure des nombres.

Repenser la transmission du savoir

Les difficultés persistantes de milliers d'élèves avec la multiplication par 10 ne sont pas une fatalité. Elles sont le résultat direct d'un choix pédagogique institutionnel défaillant : celui de fournir un principe théorique juste, mais sans la méthode claire pour l'appliquer.

Pourtant, une solution rigoureuse existe : une méthode en trois temps (1. Décomposer le nombre en ses unités ; 2. Transformer la valeur de chaque chiffre ; 3. Recomposer le nouveau nombre). Cette approche, logique et unifiée, rend le calcul transparent et ancre une compréhension durable, là où les "trucs" ne sèment que la confusion.

Ce constat nous laisse avec une question fondamentale : si un concept mathématique aussi central est victime d'un tel malentendu pédagogique, combien d'autres pans de notre savoir mériteraient d'être réexaminés avec un regard neuf ?

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