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Billet de blog 8 décembre 2019

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Comment les instituts Confucius constituent une menace pour la liberté académique

La Chine mène une guerre de propagande mondiale dans le but de faire taire les critiques d'outre-mer, tout en lançant les représailles les plus répressives contre la contestation interne depuis le massacre de la place Tiananmen il y a 30 ans.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet article a été publié originellement en anglais par Benedict Rogers le 5 mai 2019 par le journal Hong Kong Free Press. Pour accéder à la version originale : https://www.hongkongfp.com/2019/05/05/chinas-overseas-confucius-institutes-pose-powerful-threat-academic-freedom/?fbclid=IwAR3ptVwI2EcR9b0zkGeytFlBSkGid4C5eIyJTn91TDIkLwf-7C-TroPbGuc

Les soldats de cette guerre incluent des reporters chinois des médias d'État, des diplomates et des étudiants qui étudient à l'étranger, recrutés pour répondre aux attentes du Parti communiste chinois (PCC).  L'exemple le plus récent est le débat mené par la London School of Economics sur l'opportunité d'ajuster la représentation de Taïwan sur une sculpture, à la suite de plaintes d'étudiants chinois.

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«Le Monde à l'envers» de Mark Wallinger exposé à la London School of Economics. Photo: Apple Daily.

Ses armes incluent une infiltration et une influence politiques, une organisation médiatique mondiale, des menaces et agressions à l'encontre des activistes à l’étranger, une tentative de détourner et de faire dérailler le programme des droits de l’Homme des Nations Unies, et - comme certains le réalisent peu à peu - de déployer des centaines de termes inoffensifs et des institutions culturelles qui sont intégrés dans les écoles et universités.

Les instituts Confucius, qui apparaissent à première vue comme étant simplement  l'équivalent du British Council, du American Center, de l'Alliance française ou des Instituts Goethe allemands, sont désormais présents dans pas moins de 548 universités et 1 193 écoles répartis dans 154 pays, selon le rapport du développement annuel de l'Institut Confucius de 2017, qui note également qu'avec un budget de 314 millions de dollars US, 46 200 enseignants et 1,7 million d'étudiants, la Chine souhaite disposer de 1 000 instituts Confucius d'ici 2020 dans le cadre de ce qu'elle appelle une «révolution Confucius».

La Corée du Sud a ouvert le premier institut Confucius au monde en 2004 et en compte aujourd'hui 23, le plus grand nombre d’Asie.  La Thaïlande, deuxième dans la région, compte 16 instituts Confucius, le Japon en compte 15. L'Indonésie, le Pakistan, les Philippines et la Malaisie en ont quatre. Des instituts Confucius existent également à Singapour, en Afghanistan, au Sri Lanka, au Népal, en Mongolie, à Hong Kong, au Cambodge, au Laos et au Vietnam.

La Grande-Bretagne compte au moins 29 instituts, le deuxième plus grand nombre au monde après les États-Unis, intégrés dans de grandes universités telles que Édimbourg, Liverpool, Manchester, Newcastle, Nottingham, Cardiff et University College de Londres, ainsi que 148 «salles de classe» Confucius dans des écoles disséminées partout dans le pays.

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Institut Confucius de l'Université Troy. Photo: Wikicommons

Les instituts Confucius prétendent enseigner la langue et la culture chinoises, ce qui est certainement une bonne chose. Alors que la Chine se positionne comme une superpuissance mondiale, nous devons comprendre son histoire et sa culture, et nous avons besoin de plus de personnes pour parler la langue.

Mais un examen plus profond vous permet de constater que ce n'est pas tout. Ils représentent également une menace potentielle pour la liberté académique et la liberté d'expression dans les établissements d'enseignement et les démocraties. Il y a environ 12 ans, le chef de la propagande du PCC à l'époque, Li Changchun, a décrit les instituts Confucius comme «une partie importante de l'organisation de la propagande chinoise à l'étranger». En 2010, Xu Lin, directeur général d'une unité connue du ministère chinois de l'Éducation, le Hanban, a confirmé que le parti voulait étendre son influence et que les instituts Confucius constituaient une partie importante du pouvoir adouci de la Chine.

Les instituts Confucius sont directement contrôlés, financés et dotés du personnel du Hanban, qui est actuellement présidé par Sun Chunlan, un membre du Politburo qui était auparavant à la tête du Département du Front Uni, le principal organe de propagande du parti.
Le ministre chinois de la propagande, Liu Yunshan, a déclaré en 2010 que "la propagande à l'étranger devrait être complète, à plusieurs niveaux et de grande envergure… Nous devrions faire le bien en créant et en faisant fonctionner des centres culturels et des instituts Confucius à l'étranger."
Même le président Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, a approuvé les instituts en tant que moyen «de former et de préparer un groupe (ou une armée) de personnes afin de s'assurer que le PCC sera au pouvoir à l'avenir… et d'accroître son influence à travers le monde.”

Plus tôt cette année, la Commission des droits de l’homme du Parti conservateur britannique a publié un rapport basé sur une enquête sur les instituts Confucius.  Il s'appuie sur des témoignages d'experts et sur le film documentaire "Au nom de Confucius". Il conclut que les instituts Confucius menacent la liberté académique et la liberté d'expression et représentent - comme le dit le PCC lui-même - une tentative du régime chinois de répandre sa propagande et de réprimer ses critiques au-delà de ses frontières.

" Au nom de Confucius ". © 假孔子之名In the Name of Confucius

Cette conclusion est conforme à celle du Congrès américain, de la CIA et des agences de renseignement du Canada et de la Belgique.

En 2018, la CIA a mis en garde contre les offres de financement chinois aux universités en échange d'une censure académique, et le directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI) a informé la Commission du renseignement du Sénat que les instituts Confucius étaient sous enquête.

Le Congrès américain a introduit une législation renforçant les exigences en matière de transparence du financement étranger des universités et obligent les instituts Confucius à s'enregistrer auprès du ministère de la Justice en tant qu'agents du gouvernement chinois.

Michael Juneau-Katsuya, ancien chef du renseignement du Canada en Asie-Pacifique, affirme que les instituts Confucius sont liés aux services de renseignement chinois et «représentent une menace claire et indéniable pour notre société».

Les instituts Confucius ont un thème commun: la suppression totale des discussions sur trois thèmes commençant par «T»: Tiananmen, Tibet et Taïwan.

Rachelle Peterson, directrice des politiques de la National Association of Scholars, basée aux États-Unis, a déclaré que les instituts Confucius représentaient un "programme politique subversif supervisé par le gouvernement chinois", tandis que Tao Zhang, un conférencier de l'Université de Nottingham Trent, était "stratégiquement placé dans diverses universités étrangères, ce qui permettait aux autorités chinoises de s'imposer en exerçant un contrôle sur les programmes d'étude de la Chine."

Ils sont, ajoute-t-elle, "une extension du système éducatif chinois, directement contrôlé par l'État et jouant les mêmes rôles idéologique et propagandiste que les écoles et universités de Chine".
Les exemples abondent d'universités retirant des invitations d'orateurs controversés sous la pression de la Chine ou supprimant certaines publications.

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Célébration du Nouvel An chinois à l’Institut Confucius de Liverpool. Photo: Université de Liverpool.

En 2014, lors d'une conférence de l'Association européenne d'études chinoises au Portugal, le directeur général du Hanban, Xu Lin, a confisqué tous les programmes imprimés et a ordonné la suppression des pages annonçant un co-sponsor taïwanais.

De même, un livre publié par un institut Confucius a complètement censuré toute une section sur l’activisme environnemental du dissident chinois Wu Lihong dans un chapitre écrit par la spécialiste chinoise Isabel Hilton. Les invitations au Dalaï Lama ont été annulées ou lancées hors du campus.

Discrimination contre les croyances personnelles

Le plus inquiétant est sans doute la prétendue discrimination dans les pratiques d'embauche dans les instituts Confucius.  Selon l'Association nationale des érudits, les critères d'éligibilité au Hanban pour les enseignants de l'Institut Confucius indiquent notamment que les candidats ne devraient «avoir aucune trace de leur participation au Falun Gong».

Sonia Zhao, une enseignante chinoise qui pratiquait le Falun Gong, un mouvement spirituel de l'école Bouddhiste, a été employée par le Hanban et envoyée à l'Institut Confucius de l'Université McMaster au Canada.

Avant de se rendre au Canada, elle a suivi un cours de formation de trois mois à Beijing.  «On nous avait dit de dire aux étudiants qu'il n'y avait qu'une seule Chine, que Taïwan en faisait partie… Que le Tibet fait partie de la Chine… On nous a dit de ne pas parler des problèmes, comme Taïwan et le Tibet», dit-elle.
«Nous avons également dû signer un contrat.  Dans le contrat, il est stipulé que «nous ne pouvons pas être des pratiquants de Falun Gong»… Ce contrat entre en vigueur dans tous les instituts Confucius, dans tous les pays. Ce contrat témoigne d’une discrimination contre les convictions personnelles des enseignants et c’est la manière dont ils violent la liberté de croyance dans le monde ».
En 2011, Sonia Zhao alerte l'Université McMaster de ses préoccupations. Elle avait peur que si elle admettait être une pratiquante de Falun Gong, elle aurait pu être punie. À la suite de sa plainte, l'Université McMaster a mis fin à ses relations avec le Hanban et a fermé son Institut Confucius.

Depuis lors, d'autres ont emboîté le pas. Au moins 30 universités et un conseil scolaire ont ou vont couper les liens avec les instituts Confucius.

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Crédit photo: PolyU

Les instituts Confucius ne sont en aucun cas le seul outil d'un pouvoir adouci de la Chine.  Mais combinés avec les associations d'étudiants et de chercheurs chinois, ils représentent une grave menace pour la liberté académique. Ils permettent également de surveiller les étudiants chinois qui étudient à l'étranger, qui pourraient autrement trouver les libertés de penser et d'expression séduisantes.

Le professeur Christopher Hughes de la London School of Economics (LSE) a déclaré dans un article sur le sujet que, lorsque la LSE a ouvert un institut Confucius en 2006, «les étudiants chinois… ont révélé qu'ils étaient déçus d'arriver dans une université étrangère pour découvrir que leur propre gouvernement avait établi sur leur campus une organisation qui leur donnait l'impression d'être encore sous le régime de surveillance avec lequel ils devaient vivre en Chine. "

Une étudiante a confié au professeur Hughes que l'Institut Confucius donnait l'impression d'être une télévision en circuit fermé et qu’il «pourrait potentiellement faire disparaître ma pensée critique».

Alors que faut-il faire? De toute évidence, nous ne pouvons pas nous désengager de la Chine. Toutefois, comme le soutient le rapport du comité des affaires étrangères de la Chambre des communes du Royaume-Uni publié la semaine dernière, nous devons recalibrer nos relations et accorder la priorité à la sécurité nationale.

Dans le cadre de ce recalibrage, nous devrions réexaminer non seulement la balance entre le commerce et les droits de l'homme, les problèmes de sécurité autour de Huawei et les questions d'influence politique, mais aussi la question des Instituts Confucius.

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Hamilton Hall à l'Université McMaster. Photo: Wiki Commons

«Je connais la pression et la peur», déclare Sonia Zhao. «Personne ne mérite ça.  J'espère que les Instituts Confucius pourront être fermés afin que les enseignants puissent enseigner la langue chinoise librement et que les étudiants puissent en apprendre davantage sur la vraie Chine et la culture chinoise, et non sur la culture des communistes chinois. "

Si nous ne voulons pas fermer tout de suite les Instituts Confucius, nous devrions au moins envisager des mesures analogues à la législation américaine - procéder à un examen approfondi, suspendre toute nouvelle transaction avec les Instituts Confucius jusqu'à ce que l'examen soit achevé et veiller à ce que des mesures soient mises en place pour garantir la liberté académique et la liberté d'expression, la non-discrimination et la transparence totale des sources de financement.

Nous ferions bien de nous rappeler les paroles du diplomate britannique à la retraite Roger Garside, qui a déclaré que «la liberté académique est fondamentalement compromise en permettant à une agence de l’État contrôlée par le Parti communiste chinois d’établir une opération d’enseignement dans une école ou une université».

Ou bien, comme le dit Rachelle Peterson, «il existe une menace non seulement pour l'intégrité de nos institutions aujourd'hui, mais également pour l'avenir de l'enseignement supérieur de tous les pays libres». C'est certainement une raison d'agir.

A propos de l’auteur :

Benedict Rogers est un écrivain et militant des droits de l'homme, spécialiste de l’Asie. Il est également un ancien candidat au Parlement et cofondateur et vice-président de la Commission des droits de l'homme du Parti conservateur au Royaume-Uni. Ben a vécu à Hong Kong de 1997 à 2002 et se rend régulièrement dans la région. Il est le fondateur et président de Hong Kong Watch.

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